Son ami égyptien avait au bout des lèvres une question qu’il lui posa (j’étais présente) avec une pointe de chagrin : « Mais alors, depuis 1956, tu ne regardes donc plus de films arabes, avec Oum Koulsoum et Farid El Atrash ? »
« Rassure-toi », lui répondit mon oncle. « Je les regarde tous les vendredis après-midi, à la télévision israélienne, avant Shabbath, avec un paquet de mouchoirs à côté de moi ».
En 1956, après la guerre de Suez, la communauté juive, soit environ 75.000 âmes, se vit forcée de quitter le pays, léguant également sous la contrainte tous ses biens au gouvernement égyptien d’alors. Parmi les 75.000 personnes, 35.000 se réfugièrent en Israël, 10.000 en France,15.000 au Brésil et 9.000 aux Etats-Unis. Cet exode (le second après celui relaté dans la Haggada) mit fin à la présence juive en Egypte, vieille de plus 2.500 ans.
On situe la naissance d’une cuisine proprement juive en Egypte à l’époque où les Hébreux y étaient esclaves. On y préparait déjà le molokhiya ou pot-au-feu, un plat riche en viande, en ail et coriandre. L’odeur de ces épices était présente dans chaque foyer, le coriandre avec le cumin, la cannelle, le clou de girofle et la noix de muscade étant les épices les plus importantes de la cuisine égyptienne.
Parmi les plats typiques, la belila, une préparation sucrée à base de blé ou d’orge perlé que l’on mangeait en l’honneur de la première dent du bébé. C’est avec l’arrivée des Juifs syriens et libanais que l’ont vit apparaître des courgettes farcies sur la table.
La cuisine juive en Egypte se divisait en trois catégories : la cuisine du terroir, la cuisine de chaque communauté installée en Egypte depuis des générations (grecque, turque, syrienne, libanaise…), et la cuisine judéo-égyptienne, préparée dans les foyers issus de mariages intercommunautaires, à laquelle s’ajoutait la cuisine du terroir. Chaque nouvelle alliance avec un membre d’une autre communauté venait ainsi enrichir le patrimoine culinaire.
Dans son monumental ouvrage (et ma « Bible »), Le livre de la cuisine juive (Flammarion), l’anthropologue Claudia Roden raconte son retour dans Le Caire de son enfance, après trente ans. Elle est retournée à la boulangerie où les Juifs apportaient jadis leur pudding au lait à cuire au four. Il en ressortait brûlant, avec une croûte dorée. Lorsque Claudia Roden commanda le pudding de son enfance, elle expliqua au commerçant que ses parents étaient nés dans ce quartier.
« Dans ce cas… », lui dit-il, « pour vous, ce sera gratuit ».
Courgettes farcies à l’égyptienne pour 4 personnes
« Que tous ceux qui ont faim soient ici rassasiés » (Haggada de Pessah)*
• 6 longues courgettes
• 300 gr de boeuf haché
• 100 gr de riz basmati rincé
• 1 gros oignon émincé
• 2 gousses d’ail écrasées
• 4 branches de coriandre fraîche
• 1 cuillère à café de cumin, cannelle, noix de muscade (perso, j’ajoute 1 càs de curcuma)
• 30 gr de pignons de pin
• 1 poignée de persil plat finement haché
• 1 càc de menthe sèche (alternatif)
• le jus d’un citron
• 1 pincée de sel et poivre
• 1 cube de bouillon de poulet
Recette
– Mélangez dans un saladier la viande hachée, le riz, l’oignon, l’ail, les pignons de pin, les épices, le sel, le poivre, le persil et la coriandre. Arrosez de jus de citron. Mélangez et réservez au frigidaire.
– Pelez et découpez les courgettes en deux. Avec un vide-pomme, évidez-les et mélangez les morceaux restants de courgettes avec la préparation à la viande.
– Remplissez les courgettes avec la farce et disposez-les dans une casserole.
– Recouvrez les courgettes de bouillon et laissez mitonner jusqu’à ce qu’elles soient bien tendres et le riz bien cuit.
Bon appétit !
* Les Juifs pratiquants ashkénazes sont les seuls à interdire la consommation de riz à Pessah