Les moments clés du procès

Géraldine Kamps
Le procès de l’attentat du Musée juif de Belgique s’est achevé le 11 mars 2019 avec la condamnation des deux accusés, après plus de neuf semaines de plaidoiries, de débats, d’images, d’auditions, d’analyses, de déclarations, de répliques. Douze jurés, huit parties civiles, cinq avocats pour la défense, deux procureurs fédéraux, deux juges d’instruction, une centaine de témoins, sans compter les experts et les enquêteurs venus à la barre. Un procès historique pour juger le premier attentat terroriste sur le sol belge.
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14 janvier 2019 – L’acte de défense

L’acte de défense n’est pas une obligation. Les avocats de Mehdi Nemmouche pourtant y tenaient, donnant rapidement le ton de la thèse qu’ils allaient développer tout au long du procès, celle du « complot », du « piège » dans lequel leur client serait tombé. Face aux 184 pages de l’acte d’accusation, les 18 pages de l’acte de défense font pâle figure, mais les dégâts dans l’opinion publique peuvent être catastrophiques. « Me Courtoy ne s’adresse pas au prétoire, mais bien à l’extérieur », dénoncera Me Lurquin, avocat des parties civiles, illustrant ses dires par le fait que Courtoy n’ait même pas assisté aux plaidoiries de ses confrères. « La Cour d’assises se voit transformée en véritable tribune médiatique », déplorera Me Ramet.

La tuerie du Musée juif ? « Pas un attentat, mais l’exécution ciblée d’agents du Mossad », assène la défense, qui n’hésite pas à faire le procès des victimes. Les photos ? « Truquées ! » Les images des caméras de surveillance ? « Manipulées ! » Le sac d’armes avec lequel Nemmouche a été arrêté à Marseille ? « Il n’en connaissait pas le contenu ! ». La connexion à son ordinateur après la tuerie ? « Quelqu’un s’est infiltré dans son appartement ! » Les traces ADN à l’intérieur de la culasse de la kalachnikov ? Sur le marqueur qui a écrit les revendications ? Sur la veste à laquelle a été collée la caméra GoPro pour filmer l’attentat ? La trace de semelle laissée sur la porte d’entrée du bureau d’accueil correspondant au modèle et à la pointure de ses chaussures ? La défense ignore les preuves gênantes et multiplie les arguments, quitte à en inventer de nouveaux qui ne se trouvent curieusement pas dans son acte de défense. Elle se perd dans les incohérences et les contradictions, jusqu’à devenir incompréhensible. « Il s’agirait d’un complot libano-chiite-iranien avec la complicité des services belges et français ?! », résumera Me Koning. « Pourquoi la défense n’a-t-elle jamais porté plainte pour collusion de fonctionnaires ? »

La défense annonce sans cesse des révélations qui ne viennent pas, tandis que son client promet qu’il parlera : « Soyez patiente, Madame la Présidente… ». En vain. Plus personne n’y croit. A défaut, comme il le voulait, « de tutoyer les étoiles », les répliques de Me Courtoy auront fait l’effet d’un soufflé écœurant. Son mépris à l’égard des enquêteurs comme de ses confrères suscité l’indignation de toute la profession.

18 janvier 2019 – Shira et Ayalet Riva

L’audition très attendue des deux jeunes filles du couple Riva, Ayelet (19 ans) et Shira (21 ans) aura sans conteste constitué l’un des moments marquants de ce procès. Myriam et Emanuel Riva se trouvaient ce 24 mai 2014 au Musée juif, à l’occasion de leur 18e anniversaire de mariage qu’ils étaient venus fêter à Bruxelles. Elle, comptable pendant quelques années pour le Mossad, avant de prendre sa retraite, lui également fonctionnaire de l’Etat pensionné, ils aimaient les voyages. Celui-ci aura malheureusement été le dernier. C’est pour parler de la « tragédie » qu’elles ont vécue, mais aussi et surtout de leur vie actuelle, sans leurs parents, que les deux jeunes filles sont venues parler devant la Cour. Un témoignage très digne, des réponses presque chuchotées aux questions d’une présidente profondément humaine, de courtes phrases laissant comprendre l’essentiel, une infinie douleur dans laquelle Ayelet et Shira sont toujours plongées. « Elles continuent de fonctionner, mais le nid familial a été démoli », ont expliqué leurs oncle et tante, le frère jumeau d’Emanuel et la sœur de Myriam, qui les ont pris sous leur aile. « Tant qu’elles n’auront pas leur propre famille, le poids sera trop lourd à porter. Ce qui les maintient, c’est leur relation entre elles », conclura-t-il, confiant que « le procès a réveillé la douleur que l’on avait essayé d’enfouir avec les années ». Les quatre membres de la famille Riva quittent la salle d’audience, escortés par une sécurité rapprochée qui ne les a pas quittés. Le silence n’a jamais été aussi lourd.

1er février 2019 – Les auditions filmées de Nemmouche

Le « DAS » (droit au silence) répété par Mehdi Nemmouche tout au long des auditions qui ont suivi son arrestation restera dans les mémoires. Huit heures d’auditions filmées qui seront visionnées devant la Cour d’assises à la demande des procureurs fédéraux, pour mieux cerner le principal accusé qui a décidé pendant le procès de se murer dans le silence. A leur visionnage, soudain moins à l’aise dans le box des accusés qu’à l’écran, Mehdi Nemmouche gardera la tête baissée, se passant la main dans les cheveux. Comme annoncé, ces auditions sont particulièrement révélatrices de la personnalité du tueur : glaçant, moqueur, narcissique, ludique, n’hésitant pas à faire des jeux de mots, à rire parfois, à reprendre les enquêteurs qui l’interrogent. « J’utiliserai désormais DAS pour économiser ma salive ! », ose-t-il après avoir répété son droit au silence. « Si ces auditions sont inutiles, je peux retourner faire ma sieste en cellule », lance-t-il, insolent. « Les médias ne disent que des conneries ! », poursuit celui qui ne peut s’empêcher de s’en saisir avidement pour voir ce qu’on y écrit à son sujet. Et d’ironiser sur ses menottes : « C’est dans les vieilles marmites que l’on fait les meilleures soupes ! » Le tout avec « une parfaite maitrise », estimera le procureur, et « des expressions très particulières qui en font une signature », selon Me Masset, avocat du Musée juif. La promesse de parler « le moment venu » sera faite devant la Cour, comme elle l’avait été dans la vidéo de revendication enregistrée dans son appartement de Molenbeek et retrouvée sur son ordinateur le jour de son arrestation.

12 février 2019 – Les journalistes français, ex-otages en Syrie

L’avocate du Comité de coordination des organisations juives de Belgique (CCOJB), Me Hirsch, tenait à ce qu’ils soient présents et le tribunal aura répondu positivement à sa requête, permettant notamment d’établir les connexions entre Mehdi Nemmouche et d’autres djihadistes, dont les auteurs des attentats de Paris et Bruxelles. L’audition des deux journalistes français Didier François, 58 ans, et de Nicolas Henin, 43 ans aura été déterminante dans ce procès pour comprendre le degré de dangerosité et le côté sadique du principal accusé, mieux connu en Syrie sous le nom d’Abou Omar et qu’ils reconnaitront formellement comme le geôlier de leur détention du 5 juillet au 23 décembre 2013. Mehdi Nemmouche alias Abou Omar profitait des tournées des toilettes qui rythmaient leurs journées, raconteront-ils, pour les humilier, les torturer, alors qu’ils marchaient en file indienne, tête baissée, un bandeau sur les yeux. Comme il viendra, lâchement, par-derrière, abattre le couple Riva… « Mehdi Nemmouche était le bras armé, celui qui mettait les baffes », se souviendront les ex-otages, quand il ne menaçait pas de les décapiter avec son sabre, « avant de sortir en riant ». Ils témoigneront aussi de sa haine envers les Juifs, ce fan de Mohamed Merah, « le plus grand homme que la France ait produit », aurait bien lui aussi « fumé une petite Juive de 4 ans ». De sa violence aussi, revenant sur ses récits de guerre et sa fierté d’avoir assassiné, violé… « Il nous avait fait état de son passé judiciaire, imitait le juge d’instruction, et chantonnait le générique de « Faites entrer l’accusé », en retroussant le col de sa veste, comme le présentateur ». Et puis de son côté joueur et sadique, quand il lâchait soudain « Mon p’tit Didier ». Un souvenir qui fera instantanément sourire Mehdi Nemmouche, assis dans son box, attentif et jusque-là impassible, résonnant comme un aveu. Le seul signe d’humanité, réflexe involontaire, perçu pendant ce procès. Abou Omar leur avait annoncé en Syrie qu’ils viendraient témoigner à son procès, il ne s’était pas trompé. Il devra d’ailleurs encore répondre de ces faits devant la justice française.

7 mars 2019 – Le verdict

Deux jours et demi de délibération auront encore été nécessaires aux jurés pour reconnaitre Mehdi Nemmouche coupable le 24 mai 2014 de l’assassinat de quatre personnes au Musée juif de Belgique, « dans un contexte terroriste, avec volonté d’intimider la population d’un pays et en particulier la communauté juive ». Nacer Bendrer, accusé d’avoir fourni les armes pour commettre l’attentat, sera quant à lui reconnu comme « coauteur ». Un verdict pour le co-accusé allant au-delà du réquisitoire du Ministère public (qui avait conclu à sa complicité) et le rendant par conséquent passible d’une peine égale à celle du tireur. Alors que Mehdi Nemmouche, pareil à lui-même, ne réagit pas, Nacer Bendrer s’effondre. Ses avocats qui avaient plaidé l’acquittement de leur client semblent, eux aussi, sous le choc. Avant le débat sur les peines, ils souligneront que la condamnation a été forte et que le message envoyé par le jury populaire est clair : Nacer Bendrer est lui aussi un terroriste. Sa « téléphonie de guerre », le fait d’avoir négligé « sciemment » les raisons pour lesquelles Nemmouche voulait une kalachnikov en sachant pourtant qu’il était radicalisé lui font risquer la peine maximale. La motivation particulièrement détaillée de l’arrêt s’est voulue irréprochable en se fondant sur les preuves accumulées par l’enquête belgo-française, un faisceau d’éléments qui concluent à la totale culpabilité des deux accusés.

Il faudra encore plus de huit heures pour fixer les peines. Sans surprise, Mehdi Nemmouche est condamné le 11 mars à la réclusion à perpétuité, avec 15 ans de mise à disposition du Tribunal d’application des peines qui permet de le garder sous surveillance après l’exécution de sa peine de prison. Nacer Bendrer écope d’une peine de 15 ans de prison, plus cinq ans de mise à disposition, correspondant à ce que ses avocats ont requis pour le différencier du tueur. Une issue dont l’ensemble des parties civiles se disent satisfaites. Avec l’espoir que les familles des victimes parviendront à se reconstruire.

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