L’habilité des cuisinières, dans la préparation du strudel, se traduisait dans leur aptitude à créer une pâte élastique, fine, travaillée avec énergie et qu’elles enroulaient à l’aide d’une nappe en lin. La préparation de cette pâte avait atteint un tel degré de perfectionnisme que le cuisinier de l’Empereur aurait lui-même décrété qu’elle devait être si fine que l’on puisse y lire à travers une lettre d’amour.
Channa Blima, originaire de Silésie, émigra en France au début du 20e siècle. Dans sa cuisine d’Ivry-sur-Seine, elle continua à faire des gâteaux de là-bas, dont l’apfelstrudel. Sa fille, Annick Prime Margules, du haut de ses trois pommes, la regardait mélanger, malaxer, frapper la pâte, enfourner sans laisser aucune trace écrite de ces recettes. Pourtant, elles sont bien restées gravées et vivaces dans sa mémoire. Elle fit son premier strudel, comme par hasard, juste au moment où sa mère, déjà très âgée, arrêta de cuisiner.
J’ai découvert son strudel à l’occasion de l’atelier de cuisine qu’elle a animé dans le cadre des Journées européennes de la culture juive à la Maison de la culture yiddish, à Paris, en septembre 2017.
A l’issue de l’atelier, des gens lui dirent : « C’est bien, Annick, mais ma mère ne faisait pas le strudel comme ça ». Evidemment. A chacun sa madeleine. Chaque mère est unique ! Chaque strudel est unique !
Un jour, Saul Bellow, l’écrivain juif canadien et prix Nobel de littérature, invita l’écrivaine Ruth Meyer à prendre le thé, chez lui. Sa femme d’alors, Anita, lui proposa un morceau de strudel qu’elle avait préparé.
Lorsque Ruth Meyer lui dit que sa tante préparait, elle aussi, du strudel, mais sans noix, Anita répliqua : « Non, non. Ce n’est pas possible. Il doit y avoir des noix ! »
La réplique fut suffisamment cinglante pour que Ruth Meyer la glisse dans sa biographie de Saul Bellow. La vengeance est un plat qui se mange froid !
*@ se dit strudel, en hébreu
Le strudel de Channa Blima pour 12 personnes
Ingrédients pour la pâte
• 250 gr de farine T65
• 1 œuf
• 1 càs d’huile de tournesol ou arachide
• 1 pincée de sel
• 100 ml d’eau tiède
Ingrédients pour la farce
• 1,5 kg pommes, style boskoop, épluchées et coupées en petits morceaux.
• Jus d’1 citron
• 100 gr de sucre
• 2 càc de cannelle
• 150 gr de raisins secs
• 100 gr de pain d’épices râpé
• 100 gr de beurre
• Sucre glace (facultatif)
Préparation de la pâte
Mélangez la farine, le sel, l’œuf et l’huile, l’eau tiède.
Pétrir pendant 10 minutes.
On doit obtenir une pâte lisse et élastique.
Enveloppez dans un film alimentaire et laissez reposer 1/2 heure.
Préparation de la farce
Versez les morceaux de pommes dans un saladier, arrosez de jus de citron. Ajoutez le sucre et les raisons secs. Mélangez et laissez reposer 1 h.
Sur le plan de travail, recouvert d’une nappe très fine en coton, saupoudrez de farine et abaissez la pâte avec un rouleau à pâtisserie.
Afin de l’agrandir au maximum, et la rendre la plus fine possible, placez les poings sous la pâte et étirez délicatement.
Badigeonnez de beurre fondu et recouvrez ensuite de pain d’épices râpé.
Versez le mélange pommes/raisins dans le sens de la longueur en gardant une marge de 2 cm.
Saupoudrez de cannelle.
Pliez le bord de 2 cm sur les pommes et enroulez la pâte dans la nappe jusqu’à ce qu’elle forme un rouleau.
Pincez les bords et amenez l’excédent de pâte sous le strudel.
Déposez le strudel sur une plaque recouverte de papier sulfurisé.
Si le rouleau est trop long, on peut l’incurver. Badigeonner de beurre fondu.
Préchauffez à 190° et enfournez pendant 30-40 minutes.
Le strudel doit être à peine doré.
A la sortie du four, saupoudrez de sucre glace.
Plan B pour ceux qui ne sont pas doués pour faire la pâte
Prenez 7 feuilles de pâte filo, chacune badigeonnée de beurre, empilées l’une sur l’autre.
Versez les pommes/raisins et procédez comme écrit plus haut.
Bon appétit !