Regards n°1095

Coup de torchon

Commençons par dissiper un malentendu, point de conflit diplomatique sous-jacent ici : qu’on l’entende au sens belge (serpillère) ou français (essuie-vaisselle) importe peu, le torchon qui nous intéresse est symbolique. En effet, au sens figuré, l’expression évoque un changement radical, une rupture brutale avec la tradition. Dans le collimateur de votre obligée loucheuse aujourd’hui : la propagation du concept de revisite culinaire, maladie contagieuse qui fait autant de ravages que d’émules, notamment chez les amateurs d’émissions de télé-réalité gastronomiques, dans lesquelles de pauvres gens en apparence consentants se retrouvent obligés, sous les vociférations hystériques de juges tyranniques, de préparer en 20 minutes un dîner quatre services à base d’ingrédients mal assortis.

La démarche ré-interprétative en cuisine serait presque louable si elle se contentait de respecter les contraintes d’un régime alimentaire choisi ou subi, sans vider nos recettes historiques de leur contenu, jusqu’à leur voler leur nom. En outre, l’opération s’accompagne en général d’un lexique plus prétentieux qu’un Français sur la plage de Netanya. Appeler “pâtes carbonara”, des nouilles végétalisées, dans une sauce à base de crème, de vin blanc, de moutarde à l’ancienne, de levure maltée, de basilic, de tofu fumé et d’une petite touche de curcuma pour la couleur, c’est vraiment très mal les nommer, et comme disait Albert Camus « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ». Je ne juge pas la qualité du plat. C’est peut-être très bon. Mais dans la mesure où aucun des ingrédients précités n’entre dans la composition de la pasta alla carbonara et que pas un seul des ingrédients de la recette originale n’est repris dans ce plat, on a un peu envie d’y mettre les pieds. Dans le plat. Les recettes revisitées doivent changer de nom.

Parce que si on dit oui à ça, après, quoi ? La pente savonneuse… La porte ouverte à toutes les fenêtres… Un tiramisu aux fraises* ? Du tarama de saumon* ?! Du gefilte fish sans carpe* ? Moi je veux bien qu’on prépare un pain de mycoprotéines -on ne peut pas toujours empêcher les gens de se faire du mal- mais ça devrait être interdit par le Tribunal Pénal International de l’appeler klops veggie, c’est tout. Donner le même nom en même temps qu’on déstructure un classique, qu’on interchange le salé et le sucré, qu’on enrichit un quatre quarts d’un cinquième ingrédient, en proportion inégale aux quatre premiers (qui devraient être les seuls, c’est mathématique), c’est juste insensé. Non, en tant que convive, je ne souhaite pas être surprise par une crème brûlée aux champignons en entrée, et une terrine fruitée en dessert. Je n’accepterai pas davantage une autre option, moins radicale, mais tout aussi trompeuse, qui voudrait faire passer pour conforme une blanquette à laquelle on a ajouté de la vanille*.

Mais si la tendance persiste, attendez-vous à ce que je signe mes articles Birgitt Ölafssøn, mannequin suédoise, 1m82, 55 kg.

 

* On m’en a déjà servi. Sous ce nom. Vraiment. Le scandale.

A lire également

Les Servantes écarlates d’Israël contre la réforme judiciaire
Écrit par : Noémi Garfinkel

Esc pour fermer

Visuel SITE UTICK 2024-2025 (15)
DATING GAME – Spécial célibataires 40-55 ans
Tu en as marre des apps ? Viens jouer en vrai ! Le mercredi 5 juin, participe à une soirée(...)
Non classé
Aimer israel refuser inacceptable
Aimer Israël, c’est refuser l’inacceptable
Le gouvernement israélien a choisi d’utiliser la privation délibérée de nourriture et de ressources essentielles pour contraindre le Hamas à
Le conseil d’administration du CCLJ
Israël
788 Fenerberg
Bernard Fenerberg, combattant juif armé et Mensch 2009, nous a quittés
Avec d’autres camarades, Bernard Fenerberg a compté parmi les résistants belges les plus déterminés contre les nazis. Modeste lorsqu’on évoque(...)
Nicolas Zomersztajn
Vie Juive
Visuel SITE UTICK 2024-2025 (13)
Projection de "Jews by choice"
Dans une petite ville tchèque des citoyens ordinaires sont motivés par la rénovation de leur synagogue détruite, leur conversion au
Non classé
73
Condamner sans renoncer à ses valeurs
La position du CCLJ n’a jamais été facile. Cette organisation se définit comme juive, mais elle est résolument laïque ;
Joel Kotek
Antisémitisme, Politique
schillo-100
Parviendrons-nous un jour à nous reparler ?
Empathie à géométrie variable, hypocrisie, propagande, agenda politique… Des termes qui ressortent beaucoup quand on débat du Moyen-Orient. Mais chose(...)
Sarah Borensztein
Société