Coup de torchon

Noémi Garfinkel
La chronique "Strabismes"
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Commençons par dissiper un malentendu, point de conflit diplomatique sous-jacent ici : qu’on l’entende au sens belge (serpillère) ou français (essuie-vaisselle) importe peu, le torchon qui nous intéresse est symbolique. En effet, au sens figuré, l’expression évoque un changement radical, une rupture brutale avec la tradition. Dans le collimateur de votre obligée loucheuse aujourd’hui : la propagation du concept de revisite culinaire, maladie contagieuse qui fait autant de ravages que d’émules, notamment chez les amateurs d’émissions de télé-réalité gastronomiques, dans lesquelles de pauvres gens en apparence consentants se retrouvent obligés, sous les vociférations hystériques de juges tyranniques, de préparer en 20 minutes un dîner quatre services à base d’ingrédients mal assortis.

La démarche ré-interprétative en cuisine serait presque louable si elle se contentait de respecter les contraintes d’un régime alimentaire choisi ou subi, sans vider nos recettes historiques de leur contenu, jusqu’à leur voler leur nom. En outre, l’opération s’accompagne en général d’un lexique plus prétentieux qu’un Français sur la plage de Netanya. Appeler “pâtes carbonara”, des nouilles végétalisées, dans une sauce à base de crème, de vin blanc, de moutarde à l’ancienne, de levure maltée, de basilic, de tofu fumé et d’une petite touche de curcuma pour la couleur, c’est vraiment très mal les nommer, et comme disait Albert Camus « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ». Je ne juge pas la qualité du plat. C’est peut-être très bon. Mais dans la mesure où aucun des ingrédients précités n’entre dans la composition de la pasta alla carbonara et que pas un seul des ingrédients de la recette originale n’est repris dans ce plat, on a un peu envie d’y mettre les pieds. Dans le plat. Les recettes revisitées doivent changer de nom.

Parce que si on dit oui à ça, après, quoi ? La pente savonneuse… La porte ouverte à toutes les fenêtres… Un tiramisu aux fraises* ? Du tarama de saumon* ?! Du gefilte fish sans carpe* ? Moi je veux bien qu’on prépare un pain de mycoprotéines -on ne peut pas toujours empêcher les gens de se faire du mal- mais ça devrait être interdit par le Tribunal Pénal International de l’appeler klops veggie, c’est tout. Donner le même nom en même temps qu’on déstructure un classique, qu’on interchange le salé et le sucré, qu’on enrichit un quatre quarts d’un cinquième ingrédient, en proportion inégale aux quatre premiers (qui devraient être les seuls, c’est mathématique), c’est juste insensé. Non, en tant que convive, je ne souhaite pas être surprise par une crème brûlée aux champignons en entrée, et une terrine fruitée en dessert. Je n’accepterai pas davantage une autre option, moins radicale, mais tout aussi trompeuse, qui voudrait faire passer pour conforme une blanquette à laquelle on a ajouté de la vanille*.

Mais si la tendance persiste, attendez-vous à ce que je signe mes articles Birgitt Ölafssøn, mannequin suédoise, 1m82, 55 kg.

 

* On m’en a déjà servi. Sous ce nom. Vraiment. Le scandale.

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Pascale Angelini
Pascale Angelini
10 mois il y a

Serpillière est le terme français et essuie le belge

Hanni R. Lewerenz
Hanni R. Lewerenz
10 mois il y a

Venez manger à notre table et jugez ! Notre juge interne dicte ingrédients frais – notre luxe en Andalousie – quelques volailles ci et là, mais bien macérés en vinaigrette de… on ne vous dit pas le secret, et ensuite et ensuite, cuisinés lentement ou très court selon et le tout dicté par un refus de payer des sommes absurdes pour des dons de la terre et des personnes encore disponibles et connaisseurs de la vie en soi, naissance mort.
Heureux de vous lire de nouveau. HR+ M

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