L’extrême droite française et les Chrétiens d’Orient, entre conspirationnisme et instrumentalisation

Daniel Bensoussan-Bursztein
Née d’une révolte populaire, la guerre civile dont la Syrie est le théâtre s’accompagne d’une profusion de théories conspirationnistes en tous genres. Fait significatif, la surreprésentation des groupes ou individualités d’extrême-droite parmi les thuriféraires de Bachar Al-Assad.Pour une partie de ces derniers, le conflit peut se résumer de la manière suivante : les pétromonarchies du Golfe, marionnettes d’Israël et des Etats-Unis, expédient depuis 2011 djihadistes et mercenaires en Syrie dans le but de renverser Assad.
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Demeurant le grand bénéficiaire de cette entreprise funeste, Israël poursuivrait de la sorte un triple objectif. Premièrement détruire Bachar Al-Assad et le Hezbollah qui incarneraient depuis toujours la « résistance » à l’Etat juif auquel les wahhabites se seraient soumis en raison d’une vénalité intrinsèque doublée d’une haine ancestrale du chiisme. Dans un second temps, l’objectif serait de faire éclater les Etats arabes. Ce « complot sioniste » se trouverait exposé en toutes lettres à travers le plan « Oded Yinon », article de stratégie militaire datant de 1982 (avec son inévitable cortège d’hypothèses et autres « projections »), considéré par d’aucuns comme une nouvelle version des Protocoles des sages de Sion appliquée à la géopolitique moyen-orientale. Entamée avec l’Irak, la destruction des Etats nés des accords Sykes-Picot répondrait ainsi au désir israélien de voir le morcellement du monde arabe en une multitude de petites entités à caractère ethnique, réduisant d’autant la menace contre Israël et justifiant de la sorte, en miroir, le caractère juif de cet Etat. Enfin, dernier objectif du complot « judéo-américano-sioniste » en Syrie, salir l’image de l’Islam auprès du public occidental, (les islamistes étant en dernière analyse des fanatiques manipulés au profit d’Israël et des Etats-Unis) et ce faisant justifier le « choc des civilisations », dont la Syrie comme le Liban, vitrines du « dialogue islamo-chrétien », constitueraient le démenti le plus cinglant. Fondé sur une judéophobie rabique, ce discours reprend celui porté il y a une vingtaine d’années par la même extrême-droite dans la défense de Saddam Hussein.

Du complot judéo-israélien contre l’Irak à celui contre la Syrie, la transition se fit aisément. Après l’assassinat de Rafic Hariri en 2005 qui entraîna un isolement accru la Syrie, il se trouva un journal proche de l’extrême-droite, Le Choc du Mois, pour donner la parole au dictateur syrien. Dans cet entretien réalisé en juin 2006 par Jean-Michel Vernochet (qui écrit aujourd’hui sur le Proche-Orient sous le pseudonyme de Léon Camus dans les colonnes du journal antisémite Rivarol), Assad fils devait à mots couverts désigner Israël comme le responsable, sinon le commanditaire de l’attentat qui couta la vie au président libanais. Dans le même ordre d’idées, on peut citer Jean-Marie Le Pen qui, interrogé par le journal Minute (29 novembre 2006) après l’assassinat de Pierre Gemayel (fils de l’ancien président Amine Gemayel), dédouana la Syrie tout en accusant à demi-mots son voisin israélien.

Les révoltes qui ont secoué le monde arabe ces dernières années sont devenues, pour nombre de conspirationnistes, une nouvelle source d’inspiration à l’image du négationniste autrichien Josef Königshofer affirmant que la Shoah serait un mensonge des « banksters sionistes qui sont en Israël et sont derrière les printemps arabes » (Kurier, 7 septembre 2016). Des propos qui ne sont pas sans faire écho à ceux tenus sur Facebook, dès les tous débuts de la révolte syrienne, par le créateur du site Infosyrie, Frédéric Chatillon : « Le lobby sioniste (aux ordres duquel est la presse française) rêve de déstabiliser votre magnifique pays. Tous ceux qui participent directement ou indirectement à ces manifestations se font complices de ce lobby ». Longtemps, il n’y eu guère que la revue Reflexes pour s’intéresser à cet ancien leader du GUD en relation depuis l’automne 1994avec le ministre de la Défense de Hafez el-Assad, le général Mustapha Tlass.

Frédéric Chatillon semble avoir commencé à susciter la curiosité médiatique, d’une manière plus poussée, à compter du voyage de Dieudonné au Liban à l’été 2006. Un journal parisien fit alors état d’une « note blanche » des Renseignements généraux relative à Chatillon. On pouvait y lire qu’entre fin novembre et début décembre 2001, il « projetait » une visite des camps du Hezbollah ainsi qu’une rencontre avec son dirigeant Hassan Nasrallah. Depuis l’accession de la fille de Jean-Marie Le Pen à la tête du FN en 2011, la présence de Chatillon n’a eu de cesse de s’amplifier au point d’être aujourd’hui récurrente. Officiellement, il ne serait pour le FN qu’un simple « prestataire de service ».

Les observateurs un peu trop curieux sont donc priés d’admettre que son influence politique supposée est à peu près équivalente à celle de la société d’entretien chargé de la propreté des locaux du parti de Marine Le Pen. La publication par le site Reflexes de photos montrant l’intéressé en présence de Robert Faurisson avec son ami Axel Loustau, et d’islamistes manifestant en faveur du Hamas, n’a entraîné aucune conséquence notable. Parallèlement, Chatillon semble s’être rapproché avec succès du Hezbollah. Témoin, cette photo publiée en 2006 par le site « quibla » où on peut le voir (avec Dieudonné) au côté de Hussein Khalil un des dirigeants les plus importants du « Parti de Dieu ». De son côté, le journaliste Frédéric Haziza relate dans son livre, Vol au-dessus d’un nid de fachos, ses entrevues avec Nasrallah dont il fut amené à rencontrer la famille. Un point qui en long sur le degré de confiance que lui accorde l’organisation islamiste chiite quand on sait la protection qui entoure Nasrallah décrété « cible militaire » par Israël. En cas de victoire de Marine Le Pen à l’élection présidentielle, le Hezbollah pourrait par ce biais obtenir ainsi un accès au plus niveau de l’Etat français.

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