Fauda, de Djennine à Molenbeek en passant par Tel-Aviv

Frédérique Schillo
Série phénomène en Israël et dans le monde entier, "Fauda" débarque sur Netflix pour une quatrième saison endiablée qui nous entraîne au cœur du conflit israélo-palestinien, de Jérusalem au Liban et en Syrie, en passant par Molenbeek. Rencontre avec son créateur Avi Issacharoff.
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De série confidentielle diffusée sur le câble en Israël, Fauda est devenue un immense succès international, en particulier dans le monde arabe. La quatrième saison s’est même hissée en tête des séries les plus vues au Liban. Vous attendiez-vous à pareil succès ? Avi Issacharoff Ajoutez votre titre ici

C’est incroyable, on ne s’y attendait pas ! D’abord on était loin d’imaginer que la série pourrait être un succès en Israël, alors à l’international c’est inespéré. Je reste frappé par le fait que Fauda ait autant de vues dans le monde arabe. Les héros sont des combattants israéliens qui traquent des terrorismes palestiniens, donc c’est surprenant que la série plaise tant. J’imagine que le public arabe est curieux de savoir ce qu’il se passe en Israël et dans les Territoires. Nous présentons les deux côtés du conflit de façon humaine et réaliste, c’est cela qui passionne. L’une des raisons du succès vient sans doute aussi du fait que la moitié de la série est en arabe. J’ai lu récemment dans un journal libanais [L’Orient Le Jour] que Fauda était la série « que les Libanais détestent adorer ». Après, j’ignore s’ils savent que Lior Raz [le héros] et moi sommes des vétérans de Douvdevan, une unité d’élite qui opère sous couverture en Cisjordanie. En tout cas je ne le cache pas.

Dans la nouvelle saison, Fauda débarque à Molenbeek, où le capitaine Gabi Ayoub, chef de la Sécurité intérieure israélienne, est enlevé par une cellule terroriste liée au Hezbollah. Pourquoi ce choix de Molenbeek alors que la population musulmane y est en majorité sunnite ? S’est-il s’est imposé à vous en raison de la globalisation du géant du streaming Netflix ?

Issacharoff: Oui, nous avons choisi la Belgique car nous voulions transporter l’histoire en dehors d’Israël. Or, l’un des endroits les plus intéressants en Europe où le terrorisme est devenu un sujet majeur est bien Molenbeek. C’est là où ont grandi plusieurs membres du commando des attentats du Bataclan ; d’autres djihadistes partis combattre dans les zones de guerre en Syrie et en Irak en sont originaires. Il est vrai que Molenbeek n’est pas un bastion chiite, mais le personnage d’Omar Tawalbe est un sunnite à l’origine, qui va embrasser la cause du Hezbollah. En réalité, nous n’avons pas pu tourner en Belgique pour des raisons de budget. Il était prévu de filmer la partie sur Molenbeek en Ukraine, mais la guerre a éclaté et nous avons dû tourner en Hongrie. C’est la production hongroise qui s’est occupée du casting et je pense que les membres du groupe d’intervention de la police bruxellois sont plutôt bien choisis !

Il y a quelques années, vous m’aviez dit avoir eu comme professeur de littérature au lycée la célèbre auteure de romans policiers Batya Gour (Meurtre au kibboutz, Meurtre au Philarmonique…). Est-ce elle qui vous a donné envie d’écrire de la fiction ?

Je dois avouer que Batya Gour ne me considérait pas comme un bon étudiant. Elle m’a donné de mauvaises notes en fin d’année ! Pendant longtemps, je n’ai pas pensé à la fiction, mais je voulais écrire sur le conflit, c’est certain. Fauda est né d’une discussion une nuit entre Lior et moi alors que nous étions en période de réserve à l’armée. Il m’a parlé de son rêve de faire un film et moi de celui d’écrire un livre. Deux semaines plus tard on s’est revu à Tel-Aviv et on a commencé à travailler sur le scénario. Mais cela a pris encore beaucoup de temps car nous n’avons essuyé que des refus auprès des chaînes de télé en Israël. Finalement YES a accepté et il a fallu attendre encore trois ans avant de voir la série à l’antenne.

A quel point votre expérience d’ancien reporter des affaires arabes pour Haaretz et d’ancien membre des mistaaravim (sous couverture) vous inspire dans l’écriture de Fauda ? Je pense par exemple à votre blessure lors d’une mission spéciale dans la région de Hébron en janvier 1994. Le médecin qui vous a soigné était Baruch Goldstein, qui allait massacrer 29 Palestiniens au Tombeau des Patriarches un mois plus tard. Est-ce le genre de situation qui peut être transposée dans la série ?

Issacharoff: Mon vécu est une source d’inspiration mais Fauda ne repose pas sur mon expérience personnelle. Lior et moi puisons dans nos histoires et on s’inspire beaucoup de faits réels. C’est ce qui rend Fauda si réaliste : tout ce qu’on y voit est arrivé dans la réalité. La quatrième saison est basée sur l’histoire vraie d’un membre du djihad islamique, présenté comme un « combattant de la liberté » par ses proches. Une nuit, il a dû être exfiltré de Cisjordanie car sa situation était devenue trop risquée. C’est à ce moment que sa famille a compris qu’il collaborait avec le Shin Bet. Ce fut un choc terrible car elle ignorait tout de ses activités. A partir de cette histoire vraie, Lior et moi avons construit le scénario. Il existe de nombreuses histoires de terroristes, d’agents et d’agents doubles. Le terrorisme juif n’a pas encore été abordé dans la série, mais pourquoi pas dans une prochaine saison.

Fauda est l’une des rares séries bilingue hébreu et arabe. Vous qui êtes moitié kurde, moitié boukhari, quel est votre rapport à la langue arabe ? Est-ce la langue de la maison, celle de l’autre, de l’ennemi ?

Issacharoff: L’arabe est la langue de la famille, c’est la langue de la maison, la langue de l’amour. J’ai un rapport très charnel avec elle. Cela me rappelle mon enfance, les souvenirs avec ma grand-mère et ma mère. Parler arabe me ramène à l’endroit où j’ai grandi à Jérusalem. Pour moi, l’arabe n’est pas la langue de l’ennemi, je dirais plutôt que c’est la langue du voisin.

Si vous deviez reprendre votre stylo de journaliste, comment décririez-vous la situation aujourd’hui en Israël et dans les Territoires ? Est-on à l’aube d’une troisième Intifada ?

Issacharoff: Nous sommes vraiment au début de quelque chose. Sans doute pas une Intifada, en tout cas on n’y est pas encore pour le moment, mais il y a une escalade de la violence qui est vraiment terrifiante.

Fauda : les dessous d’une série phénomène

 

Créée en 2015 par Avi Issacharoff et Lior Raz, Fauda décrit le conflit israélo-palestinien comme rarement il a été porté à l’écran. Thriller nerveux et efficace où l’on suit les membres d’une unité d’élite antiterroriste emmenés par Lior Raz, un policier tête brûlée et rebelle à sa hiérarchie dans la lignée des Bruce Willis et Mel Gibson, la série sait aussi se faire plus intimiste en pénétrant au cœur des clans, des familles et des couples, côté israélien comme palestinien.

Se voulant un pont entre deux camps ennemis, Fauda fascine par ses allers-retours entre Israël et les Territoires, entre l’hébreu et l’arabe, entre des membres des Mistaaravim formés à se fondre parmi les Palestiniens, des terroristes infiltrés dans l’Etat juif, ou des Arabes israéliens parfois écartelés dans leur double identité, sans parler des amours mixtes qui transcendent toutes les frontières.

La force de la série est de s’immerger dans les deux mondes, ce qui la rend dépaysante même pour un Israélien. Tous les acteurs parlent arabe comme Lior Raz et Tsahi Halevi (Naor, saisons 1 et 2), lui aussi ancien des Douvdevan, qui a épousé une journaliste arabe-israélienne. Mais aussi étonnant que cela puisse paraître, Laëticia Eïdo (Dr Shirin El Abed, saisons 1 et 2) a appris ses répliques arabes en phonétique et Itzik Cohen ne connaissait pas l’arabe avant de camper le génial capitaine Ayoub.

Hyper réaliste, Fauda donne à voir ce qu’Israël fait de mieux en matière d’antiterrorisme comme de plus controversé (enlèvements, assassinats ciblés). La technologie y est omniprésente même si la caméra préfère suggérer sans trop recourir aux effets spéciaux. Il s’agit de coller au plus près du conflit, lequel est parfois venu percuter le tournage. La saison 1 a été tournée en pleine Opération contre le Hamas ; la saison 3 se déroule à Gaza, reconstituée sur une base militaire israélienne. 

Les acteurs sont si convaincants qu’on peine à imaginer qu’ils sont des stars du cinéma, de la musique ou de la télévision en Israël. Ainsi Lucy Ayoub (Maya Binyamin dans la saison 4) est une journaliste vedette de la chaîne Kan depuis qu’elle a présenté l’Eurovision à Tel-Aviv. Aujourd’hui, même les scénaristes de Fauda sont des stars : Issacharoff et Raz viennent de vendre leur société de production à des Américains pour 50 millions € et planchent déjà sur une prochaine série (titre provisoire : Beyrouth). Quant à une cinquième saison de Fauda, ils sont prêts à signer demain. Et nous aussi.

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Frédérique Schillo
Historienne, spécialiste d’Israël et des relations internationales. Docteur en histoire contemporaine de Sciences Po Paris