Israël et l’embarrassant arnaqueur star de Tinder

Frédérique Schillo
Simon Leviev, l’arnaqueur de Tinder, est actuellement le plus célèbre Israélien de la planète. Entre fascination et rejet, il détonne dans un pays réputé pour sa chutzpa, mais qui ne veut plus être un refuge pour escrocs.
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« J’étais juste un célibataire qui voulait rencontrer des filles sur Tinder ». Pour sa première interview depuis la sortie du documentaire Netflix L’Arnaqueur de Tinder, Simon Leviev, accusé par plusieurs jeunes femmes de leur avoir extorqué des millions d’euros, assure être un chic type. « Je suis le plus grand gentleman du monde, je ne suis pas une fraude, je ne suis pas quelqu’un de faux », clame-t-il dans Inside Edition, l’émission américaine qui a diffusé le scoop mondial le 21 février dernier. « En réalité, c’est un film inventé de toutes pièces. Un film manipulé, simplement pour détruire mon nom ». Mais qui parle à ce moment-là ? Shimon Yehuda Hayut, sa véritable identité, le gamin de Bnei Brak issu d’une modeste famille ultra-orthodoxe ? Ou Simon Leviev, le nom qu’il s’est donné en 2017 pour s’apparenter au milliardaire russo-israélien Lev Leviev, ce même patronyme qui lui a permis de réaliser ses arnaques en se faisant passer pour l’héritier du « roi des diamants » ?

Gentleman-arnacœur

L’histoire commence comme un conte de fées. Un trentenaire apparemment bien sous tous rapports cherche l’amour sur une application pour célibataires. Son profil correspond à celui d’une ravissante jeune femme. En un clic, les voilà connectés. Puis c’est la rencontre in real life (dans la vraie vie), le coup de foudre instantané, le début d’une grande histoire d’amour. Il faut dire que Simon Leviev y met les moyens. Au premier rendez-vous, il envoie la limousine, réserve une table dans un trois étoiles, et prévoit même un voyage en jet privé en prétextant une réunion à l’étranger, pour finir la soirée par une nuit d’amour dans un palace en Europe. Ses conquêtes tombent dans le panneau. Mais comment ne pas croire qu’il est bien l’héritier d’un richissime diamantaire quand les soirées caviar se succèdent, le champagne coule à flot et que défilent les suites royales partout sur la planète où Simon, grand prince, paie toujours rubis sur l’ongle.

Ses proies ont sensiblement le même profil. Il les aime jeunes, belles, plutôt blondes, ni forcément ingénues ni nécessairement riches. Après tout, ce n’est pas tant leur fortune qu’il convoite que l’argent qu’elles vont s’évertuer à amasser pour lui.

Car Simon a un plan, toujours le même : après quelques mois de romance, quand la relation de confiance est établie, si besoin au prix d’une demande en mariage, le prince charmant se mue en bête traquée. Le voilà soudain menacé par de prétendus ennemis, reclus, et surtout sans accès à ses comptes bancaires. Les photos de son garde du corps passé à tabac et des messages menaçants achèvent de convaincre ses petites amies de lui venir en aide. Elles lui transfèrent alors d’énormes sommes d’argent, s’endettant à millions pour lui permettre de mener grand train avec une autre fiancée, sa future victime. Au total, grâce à cette fraude inspirée de la pyramide de Ponzi, il aurait récolté dix millions de dollars. Qu’il n’a jamais remboursé.

Sea, sex and chutzpa

Ce sont les femmes qui ont fait tomber l’arnaqueur de Tinder. L’une de ses victimes, la norvégienne Cecilie Fjellhøy, a d’abord saisi la presse. En février 2019, le journal suédois Verdens gang a publié une enquête édifiante sur les mille et une vies de l’escroc : à 16 ans, Shimon quitte Bnei Brak pour New-York et commet sa première fraude à la carte bancaire dans sa famille d’accueil. Quatre ans plus tard, de retour à Tel-Aviv, il est arrêté pour falsification de chèques. Libéré sous caution, il s’enfuit via la Jordanie sous une fausse identité. On le retrouve à Bangkok puis Helsinki, où il commet ses premiers méfaits sur des jeunes femmes. Condamné par un tribunal finlandais à trois ans de prison pour fraude, il est renvoyé en Israël… qui le laisse libre. Nous sommes au printemps 2017 et Shimon devient légalement Simon Leviev. A l’automne, il repart en Europe, où il sévira encore deux ans jusqu’à ce qu’une autre victime, la néerlandaise Pernilla Sjöholm, contacte la police. Arrêté par Interpol à Athènes, extradé en Israël, il est condamné à 15 mois pour usage de faux passeport. Il ne restera que cinq mois à la prison de Rimonim, au nord de Tel-Aviv, sans jamais être inquiété pour ses arnaques.

En Israël, Simon Leviev était célèbre avant son passage sur Netflix. Dès sa sortie de prison, il court les interviews, se présentant comme un golden boy injustement diffamé, achetant même des panneaux publicitaires pour clamer son innocence. A la journaliste du Maariv qui l’interroge en janvier 2021 sur la diffusion prochaine d’un documentaire, il soutient avec aplomb avoir cédé ses droits à Netflix pour une biographie en son honneur : « J’ai signé un accord, donc je ne peux pas trop donner de détails ». Beau parleur sur les plateaux télé, frimeur sur Instagram avec ses 1,4 million d’abonnés, il vit sa plus belle vie aux côtés de sa petite amie Kate Konlin, un top model ukrainien, blonde naturellement.
Le succès mondial du documentaire diffusé le 2 février a changé la donne. Leviev vient d’être banni de Tinder. Il fuit les questions des journalistes. 

Shimon Yehuda Hayut, alias Simon Leviev, et sa nouvelle compagne

La famille Leviev a lancé une action en justice contre lui et réclame des dommages et intérêts. « Nous n’étions pas conscients de l’ampleur de la fraude qu’il a commise en notre nom », s’émeut la fille du diamantaire Hagit Leviev, « tout ce qu’on lui demandera sera reversé aux victimes ».
Mais l’arnaqueur ne désespère pas de tirer profit de sa nouvelle notoriété.

Il vient de signer un contrat avec un agent de stars et rêve de faire un film, un livre ou un podcast pour présenter sa vérité. Ou encore une téléréalité comme Le Bachelor dans laquelle il aurait à choisir parmi des prétendantes. Le public n’est plus crédule, certes. Mais ses fans l’admirent désormais moins pour sa vie de vrai milliardaire que sa chutzpa d’arnaqueur, moins pour le fils de Lev Leviev qu’il prétendait être que pour le pauvre Shimon Yehuda Hayut qu’il fut et continue d’être au fond de lui-même.

Israël, longtemps refuge pour arnaqueurs

Ce sentiment de revanche sociale, personne ne l’exprime aussi bien que Mardochée « Marco » Mouly, un autre arnaqueur roi de Netflix, célèbre pour avoir monté la fraude à la taxe carbone, encore appelée le « casse du siècle » : « Tu gagnes un max, tu prends des jets, des bateaux… les gens viennent te voir avec des costumes à 25.000 et te disent « Comment allez-vous, monsieur ? » T’as jamais parlé avec eux ! Tu viens de Belleville ! ». Mouly n’est pas passé par les grandes écoles, n’a pas les codes de la bourgeoisie. Mais comme le dit son compère Grégory Zaoui, le « cerveau » du casse du siècle, « c’est l’intelligence de la rue, des gens qui ont faim, qui ont baisé l’élite. » La plupart des escrocs à la taxe carbone viennent de modestes familles sépharades. La fortune les a transformés en bandits flamboyants, capables de claquer des millions en quelques heures dans une Ferrari ou une partie de poker. Dans cette bande d’escrocs à la taxe carbone, seul Arnaud Mimran, bien né et marié à une riche héritière, est issu de « la haute ». Il fréquente Benjamin Netanyahu, finance le Likoud. A la bar-mitzvah de son fils, il s’offre les services de Puff Daddy et Pharrell Williams, sans parler du gratin du show-business français. C’est lui qui tombera le plus bas, accusé de fraude et de plusieurs meurtres, dont celui de son beau-père.
Pendant longtemps, Israël a fait figure de base arrière pour ces arnaqueurs en tout genre. Ils y ont acheté des villas sur la mer, des boîtes de nuit. Et puis, tels des Soprano du shouk, ils ont commencé à déprimer dans un pays trop petit pour eux. La plupart ont préféré rentrer en France purger leur peine d’autant que les autorités israéliennes se sont mises à coopérer avec la justice française. Certains sont restés en Terre promise comme Eddie Abittan, condamné par contumace à six ans de prison et deux millions d’euros d’amende. Celui qui n’avait jamais fait d’apparition publique a été repéré à la télévision en 2019 lors de la finale de MasterChef Israël. « Ça sent bon chéri ! » avait-il lancé en français à son épouse, grande gagnante de la saison, qui a fini par être boycottée. Bonne cuisinière, mais trop sulfureuse réputation.
Israël a beau être le royaume de la chutpza, ses habitants en ont assez d’être le paradis des voleurs. Savoir que l’escroc Simon Leviev est actuellement l’Israélien le plus célèbre au monde leur fait honte. « Leviev est la pire chose qui soit arrivée à l’image d’Israël depuis Sabra et Chatila ». déplore, goguenard, un journaliste d’Haaretz. Rien qui puisse déstabiliser Leviev. Interrogé par la chaîne 13, celui-ci a déclaré très sérieusement : « J’aime l’Etat d’Israël. Peut-être que le poste de ministre des Affaires étrangères me conviendrait. Pourquoi pas ? Je parle un anglais excellent ».

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Frédérique Schillo
Frédérique Schillo
Historienne, spécialiste d’Israël et des relations internationales. Docteur en histoire contemporaine de Sciences Po Paris