Regards n°1115

Israël, Pessah 2025, rapport d’étape

À l’heure où je rédige ces lignes, nous sommes à cinq semaines du début de la nouvelle offensive de Tsahal dans la bande de Gaza, déclenchée après la violation par Israël du cessez-le-feu instauré à la mi-janvier. Selon le décompte du ministère de la Santé du Hamas, près de deux milles Gazaouis se sont ajoutés aux quelque 50.000 tués depuis le lendemain du 7-Octobre. Combien de terroristes parmi eux ? Mystère. Quel seraient les objectifs de l’opération ? À terme, en finir avec le Hamas ; dans l’immédiat, le forcer à signer un nouvel accord partiel sur la libération des cinquante-neuf otages, dont une vingtaine de vivants qui croupissent dans les tunnels de l’organisation terroriste. Aucune chance pour cela. Le Hamas n’a aucune intention de se suicider. Ce qu’il veut, c’est un accord global, « tous en échange de tous », assorti de la fin de la guerre et du retrait de Tsahal du territoire. Les familles, l’immense majorité de l’opinion publique et la plupart des observateurs le savent : l’opération militaire ne promet pas la libération des otages, elle les condamne.

La vérité, c’est Bezalel Smotritch, ministre des Finances et, surtout, des implantations, qui vient de la livrer, toute crue, dans une interview récente : la libération des otages est l’un des buts de la guerre, mais « non [son] but le plus important ». Le plus important, a expliqué le ministre, sans que Netanyahou songe à le contredire, c’est de s’emparer de la bande de Gaza, la vider de ses habitants et y reconstruire les implantations juives. Pour les messianiques, les otages doivent être sacrifiés au nom de l’intérêt supérieur du Grand Israël ; pour Bibi, au nom de sa propre survie politique. Comprend-on bien la monstruosité que le peuple d’Israël est en train de vivre ? Son gouvernement envoie des jeunes gens tuer et se faire tuer pour satisfaire les intérêts personnels de son chef et les lubies messianiques de ses partenaires.

« C’est avec des mains tremblantes et en dépit de n’avoir jamais imaginé que cela ne puisse jamais se produire, que j’écris ces mots : nous nous rapprochons du moment de la désobéissance aux ordres. »

La vérité, c’est Bezalel Smotritch, ministre des Finances et, surtout, des implantations, qui vient de la livrer, toute crue, dans une interview récente : la libération des otages est l’un des buts de la guerre, mais « non [son] but le plus important ». Le plus important, a expliqué le ministre, sans que Netanyahou songe à le contredire, c’est de s’emparer de la bande de Gaza, la vider de ses habitants et y reconstruire les implantations juives. Pour les messianiques, les otages doivent être sacrifiés au nom de l’intérêt supérieur du Grand Israël ; pour Bibi, au nom de sa propre survie politique. Comprend-on bien la monstruosité que le peuple d’Israël est en train de vivre ? Son gouvernement envoie des jeunes gens tuer et se faire tuer pour satisfaire les intérêts personnels de son chef et les lubies messianiques de ses partenaires.

Chargée d’exécuter une politique confuse et contradictoire, l’armée est de surcroît confrontée à une crise sévère d’effectifs. Elle n’a simplement pas assez d’hommes pour soutenir ce qui est déjà le conflit le plus long de l’histoire d’Israël. Les ultraorthodoxes, principal réservoir humain disponible, refusent de servir sous les drapeaux, et le gouvernement, coalition oblige, est incapable de les y forcer. Les réservistes ploient sous le fardeau et votent avec leurs pieds ; dans certaines unités, plus de la moitié des appelés ignore l’ordre de mobilisation. À cela s’ajoute une énorme crise de confiance, qui se traduit par une nouvelle vague de pétitions d’officiers de réserve de l’armée de l’air et des unités spéciales, comme à l’époque de la « réforme judiciaire ». Dans Haaretz du 17 avril, Amiram Levin, général de réserve, ancien commandant du front Nord et directeur adjoint du Mossad, pointe « le risque de mettre en danger les vies des otages et de nos soldats – et le risque de se voir entraîné dans des crimes de guerre et d’encourir un coup fatal porté à l’IDF et à notre éthique sociale. » Et il ajoute : « C’est avec des mains tremblantes et en dépit de n’avoir jamais imaginé que cela ne puisse jamais se produire, que j’écris ces mots : nous nous rapprochons du moment de la désobéissance aux ordres. »

« Risque de crimes de guerre » ? Allons donc, cela fait des mois que la guerre de Gaza est un crime de guerre massif doublé d’un crime contre l’humanité. Nous reparlerons le moment venu de ce qui se passe en Cisjordanie, qui n’a rien à envier à Gaza.

Dans l’interminable saga « Netanyahou contre l’État d’Israël », la guerre de Gaza est à la fois un catalyseur et un moyen de diversion. Engagé dans une vaste entreprise de démantèlement de l’État de droit, il doit impérativement se débarrasser de ses gardiens – les juges à la Cour suprême, la Conseillère juridique du gouvernement/procureure générale, et le chef du Shin Bet –, qu’il entend remplacer par des valets soumis à sa seule autorité et au service de ses seuls intérêts. Trump est son modèle.

La grande affaire du jour est sa volonté de se défaire de Ronen Bar, le directeur du Shin Bet, lequel, malgré les avanies et les humiliations subies, n’entend pas se laisser faire. Frédérique Schillo en a largement rendu compte dans son article publié dans le dernier numéro (N°1114) de Regards « Netanyahou contre la démocratie », inutile d’y revenir ici. Sauf que depuis, Ronen Bar, dans le cadre de la procédure judiciaire lancée par une série de pétitions contre son limogeage, a remis le 22 avril à la Cour suprême une déclaration sous serment qui décrit ses relations avec le Premier ministre. La lecture de la partie publiée de cet affidavit – la plupart, soit 31 pages de documents classés, est confidentiel – fait froid dans le dos. On y apprend que Netanyahou a protégé des employés de son bureau qui étaient impliqués jusqu’au cou dans des liens occultes avec le Qatar, par ailleurs principal bailleur de fonds du Hamas ; comment il a évincé Ronen Bar de l’équipe de négociation pour la libération des otages au profit d’un de ses séides, cela malgré son expertise et le rôle crucial qu’il avait joué dans la conclusion d’accords antérieurs ; que le premier ministre lui a demandé de signer une lettre rédigée par ses services destinée à interrompre son procès pour corruption en invoquant des risques sécuritaires imaginaires pour sa sécurité ; qu’il lui a demandé de déployer le Shin Bet pour traquer les manifestants contre la réforme judiciaire ; et, cerise sur le gâteau, qu’il a exigé que, advenant une crise constitutionnelle, le chef du Shin Bet lui obéisse plutôt qu’à la Cour suprême. Autrement dit, qu’il accepte de transformer l’agence de sécurité intérieure en une milice dévouée à sa personne, une sorte de Stasi ou de Securitate. Certaines de ses exigences, il les a formulées après avoir fait sortir de la pièce, au mépris du règlement, ses assistants et la sténographe, afin que rien de tout cela ne transpire à l’extérieur.

Comment Netanyahou va-t-il se sortir de ce mauvais pas ? La Cour suprême l’a invité à lui remettre sa propre déclaration sous serment. Ce sera compliqué pour un homme dont le mensonge est notoirement le mode normal de fonctionnement : cela revient à s’exposer à l’accusation de faux témoignage.

À la mi-avril, une information du New York Times faisait état d’un plan d’attaque israélien des installations nucléaires iraniennes dans le courant du mois de mai. Trump y a mis le veto, préférant, au grand dam de Netanyahou, s’engager dans une négociation avec le régime des mollahs. Pour l’heure, ce dernier s’est incliné. Une opération de cette nature sans l’accord et l’appui des Américains est une pure folie. Mais s’il estime que c’est le seul moyen qui lui reste pour sortir par le haut de la nasse dans laquelle il se trouve empêtré, il ne faut rien exclure. L’animal cerné est capable de tout pour survivre.

Le pape François nous a quittés. Son pontificat fut à la fois novateur – premier pape jésuite, et premier pape issu du Sud global, « pape des pauvres » soucieux de justice sociale, « pape des périphéries » attentif au sort des migrants et des minorités persécutées, et j’en passe – et pétri de contradictions, trop à gauche pour les traditionalistes, autoritaire et trop à droite pour les progressistes.

Dans la perspective nécessairement étroite de cette chronique, son bilan est pour le moins discutable. Il a tenté de tenir la balance égale entre Israéliens et Palestiniens, ce que je ne saurais lui reprocher. Lors de sa visite en Terre sainte, il a invité les deux parties à poursuivre sans relâche la solution à deux États. Après le 7-Octobre, il a condamné sans ambiguïté l’attaque « abominable » du Hamas, mais aussi la « récolte épouvantable » de vies palestiniennes innocentes. Là où il a lamentablement failli, c’est sur l’affaire ukrainienne. Fallait-il vraiment exalter devant des étudiants russes « la grande Russie », exprimer son émotion après l’attentat de Moscou contre la fille du « philosophe » fasciste Alexandre Douguine, emprunter les éléments de langage du Kremlin pour fustiger l’Occident, y compris en s’en prenant aux « aboiements de l’Otan aux portes de la Russie » ? Est-il vrai que, comme il n’a pas craint de l’affirmer, « toute guerre est une défaite » et qu’« il n’existe pas de guerre juste » ? Après tout, la doctrine de l’Église dit le contraire.

Où l’on a vu à l’œuvre le tropisme argentin, péroniste et tiers-mondiste, du pape François. Une tache sur son héritage.

Écrit par : Elie Barnavi
Historien, professeur émérite de l’Université de Tel-Aviv et ancien ambassadeur d’Israël
Elie Barnavi

Esc pour fermer

Visuel SITE UTICK 2024-2025 (15)
DATING GAME – Spécial célibataires 40-55 ans
Tu en as marre des apps ? Viens jouer en vrai ! Le mercredi 5 juin, participe à une soirée(...)
Non classé
Aimer israel refuser inacceptable
Aimer Israël, c’est refuser l’inacceptable
Le gouvernement israélien a choisi d’utiliser la privation délibérée de nourriture et de ressources essentielles pour contraindre le Hamas à
Le conseil d’administration du CCLJ
Israël
788 Fenerberg
Bernard Fenerberg, combattant juif armé et Mensch 2009, nous a quittés
Avec d’autres camarades, Bernard Fenerberg a compté parmi les résistants belges les plus déterminés contre les nazis. Modeste lorsqu’on évoque(...)
Nicolas Zomersztajn
Vie Juive
Visuel SITE UTICK 2024-2025 (13)
Projection de "Jews by choice"
Dans une petite ville tchèque des citoyens ordinaires sont motivés par la rénovation de leur synagogue détruite, leur conversion au
Non classé
73
Condamner sans renoncer à ses valeurs
La position du CCLJ n’a jamais été facile. Cette organisation se définit comme juive, mais elle est résolument laïque ;
Joel Kotek
Antisémitisme, Politique
schillo-100
Parviendrons-nous un jour à nous reparler ?
Empathie à géométrie variable, hypocrisie, propagande, agenda politique… Des termes qui ressortent beaucoup quand on débat du Moyen-Orient. Mais chose(...)
Sarah Borensztein
Société