J’ai peur

Joel Kotek
Humeur de Joël Kotek
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Oui, j’ai peur… Peur de devoir quitter un jour ce pays où je suis né, peur de me désolidariser de cet autre pays, Israël, qui est ma raison d’être.

Fin juillet, un de mes amis, Alain Soriano, pour ne pas le nommer, m’a fort obligeamment adressé un article pour le moins stimulant, sinon dérangeant. Il y évoquait la possibilité d’un envisageable exil des Juifs de Belgique. À la base de sa réflexion, le récent sondage de l’Institut Jonathas et les résultats d’une énième enquête européenne, diffusée début juillet. Cette enquête, commanditée par le FRA, l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, juste avant l’attaque terroriste du 7 octobre, révélait l’inquiétude croissante des Juifs européens face aux menaces antisémites. 

« Les Juifs doivent-ils quitter la Belgique tant qu’il en est encore temps ? Si oui, pour aller où ? La réponse à ces questions peut être trouvée dans l’histoire tourmentée des Juifs dans les années trente. (…) Cette histoire aboutit, comme on le sait, à l’exclusion des Juifs de la Cité, puis de la vie elle-même. Quel fut le point de bascule vers la Catastrophe qui aurait dû inciter les Juifs au départ ? Ce moment charnière fut la promulgation, par l’État jusqu’alors protecteur, de lois et décrets écartant de la communauté nationale, des citoyens parce qu’ils étaient nés juifs. (…) Pour le formuler autrement, c’est la mise en place par les pouvoirs publics de discours, puis de lois spécifiquement antijuives, qui devrait être un signal de départ. Pour ne pas voir l’histoire se répéter. »

Ainsi, ce sont près de 90 % des Juifs belges qui affirment que l’antisémitisme fait désormais partie de leur quotidien, près de la moitié d’entre eux affirmant même avoir été harcelés au cours des douze mois précédents, une proportion dépassant nettement la moyenne européenne (37 %). Fort judicieusement, Alain Soriano posait cette question : quels sont les signes qui devraient inciter les Juifs à l’exil ? Avant qu’il ne soit trop tard ? Je le cite : « La question est donc clairement posée : les Juifs doivent-ils quitter la Belgique tant qu’il en est encore temps ?  Si oui, pour aller où ?  La réponse à ces questions peut être trouvée dans l’histoire tourmentée des Juifs dans les années trente. (…) Cette histoire aboutit, comme on le sait, à l’exclusion des Juifs de la Cité, puis de la vie elle-même. Quel fut le point de bascule vers la Catastrophe qui aurait dû inciter les Juifs au départ ?  Ce moment charnière fut la promulgation, par l’État jusqu’alors protecteur, de lois et décrets écartant de la communauté nationale, des citoyens parce qu’ils étaient nés juifs. (…) Pour le formuler autrement, c’est la mise en place par les pouvoirs publics de discours, puis de lois spécifiquement antijuives, qui devrait être un signal de départ. Pour ne pas voir l’histoire se répéter. »

Fin juillet, j’avais cru judicieux d’adresser cette réflexion au pôle idées du Soir. Mal m’en a pris, comme en témoigne la réponse pour le moins abrupte : « Nous avons soumis votre proposition de carte blanche à nos collègues du pôle international. Nous sommes au regret de vous informer qu’ils n’ont pas rendu un avis favorable à la publication de votre texte dans nos colonnes. » Cette curieuse réponse me laissa pantois, comme on peut le lire dans le courriel que je crus bon, bien naïvement, de leur adresser : « Pas de souci. Mais pourquoi contacter le pôle international ?  La tribune n’évoque pas le Moyen-Orient, mais l’inquiétude des Juifs implantés en terre belge depuis l’époque romaine. »

Décidément, le rapport au Juif est bien étrange et particulier : nous voilà tantôt assimilés aux « étrangers », aux « métèques », dès lors que nous entendons défendre nos droits dans notre propre pays (Ah, ce sempiternel « Retourne dans ton pays ! »), et tantôt aux « Blancs », aux Européens dès lors qu’on évoque le droit des Juifs à retourner en Judée. Qu’est l’antisémitisme, sinon le refus des Juifs où qu’ils soient, « là-bas » mais aussi « ici ». Y aurait-il une autre planète à notre disposition ? Vivement la colonisation sur Mars. Oui, n’en déplaise à Baudouin Loos, les Juifs sont décidément « staat… loos ». Je me permets ce mauvais jeu de mots parce que ce journaliste du Soir a commis récemment un énième brûlot anti-israélien. Le voilà qui présente ni plus ni moins le sionisme comme une invention des chrétiens évangélistes britanniques (cf. article infra). Le problème n’est pas que cette thèse soit défendue dans Le Soir, qui ne rate jamais une occasion pour délégitimer Israël, mais qu’on m’ait refusé, une nouvelle fois, un droit de réplique qui présentait le sionisme comme essentiellement… juif. Oui, je le concède, cette thèse peut apparaître outrée, surréaliste, absurde comme me le signifia fort gentiment Mme Hofmann, la cheffe du pôle international. Elle me justifia son refus de publier ma carte blanche « sur le fond », c’est-à-dire, je la cite, « eu égard au lien ontologique entre le sionisme et l’évangélisme, comme le mentionne Baudouin Loos dans son article ».

« Ontologique », voilà un bon mot ! Bref, circulez, il n’y a rien à voir. Cette réponse m’a laissé abasourdi, tout comme le fut mon aïeul génial, le violoniste Jossif Iosifovich Kotek, lorsqu’on lui refusa d’interpréter un concerto de son ami Piotr Ilitch Tchaïkovski. Qu’y a-t-il de pire, en effet, que d’être écarté, empêché, ignoré ?  Mais justement, cela ne nous ramène-t-il pas au questionnement d’Alain Soriano sur les prémices d’un exil inéluctable, quand précisément les Juifs se voient niés dans leur identité, leurs opinions ?  Heureusement, qu’il existe encore des espaces de liberté et de débat en Belgique, notamment au sein de cette Libre… Belgique, qui accueille encore des opinions contradictoires et opposées. Le Soir devrait se souvenir qu’il n’y a pas de démocratie sans délibération et débat. L’unanimisme est totalitaire. Beaucoup de journalistes, de politiques, d’universitaires bloquent dès qu’il s’agit de délibérer du « sionisme », comme s’il s’agissait d’une catégorie politique assimilable au Mal, entendez l’impérialisme, le colonialisme, voire le fascisme.

Reste que, contrairement à ce que pensent ces hommes et femmes de « Bien », le sionisme n’est rien d’autre que le mouvement de libération nationale du peuple juif, bref un mouvement nationaliste aux multiples accents politiques, notamment progressistes. Comment comprendre autrement qu’Albert Einstein, Émile Vandervelde, Léon Blum, Albert Cohen ou encore Robert Badinter soutinrent en leur temps le mouvement sioniste ?  Oui, il existe des sionistes de gauche, totalement critiques, mieux, hostiles à la politique menée par l’actuel gouvernement israélien. J’en suis un bel exemple pour n’avoir jamais hésité, avec le CCLJ, à dénoncer la politique suicidaire de Netanyahou. Oui, ce Monsieur protège des ministres qu’on ne saurait qualifier autrement que de fascistes. Oui, il se trouve en Israël des colons racistes qui se livrent en Cisjordanie à des pogroms qui en rappellent d’autres. Ces gens sont la honte du peuple juif. Oui, j’ai peur en tant que Belge et Juif, amoureux d’Israël…  

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