Le narrateur de ce roman est un écrivain cinquantenaire en mal d’inspiration, au demeurant prof de fac, amoureux de la littérature française qu’il enseigne. Mais cela se gâte très vite : il est convoqué par un conseil de discipline, une commission dite paritaire, pour une faute dont il ignore tout. On est cependant plus près de Philip Roth ou du David Lodge d’Un tout petit monde que de Kafka. C’est écrit avec verve, avec ce qu’il faut de gémissement quand on est juif. « Un petit Juif se donnant des airs de mécréant », ainsi qu’il se définit lorsque, au lycée, il convoitait une condisciple dont le père était un catholique intégriste. À présent, la collègue de littérature qu’il déteste plus que tout, c’est Teresa, qui enseigne la pensée décoloniale et féministe. Est-elle à l’origine de sa mise en cause ? Ce serait bien possible car une grande hostilité les oppose l’un à l’autre depuis des années. Au centre de leur querelle académique : le statut de la femme dans le discours littéraire et dans la vie. Voilà une question terriblement moderne, s’il en est. Le narrateur a beau la prendre à la légère et avec toute l’ironie dont il est capable, il n’est pas sûr qu’il ait raison. Au fond, il est resté old school, il a raté le train du politiquement correct depuis incontournable. Ce qu’on lui reproche ? D’avoir repris à son compte, dans un cours, quelques propos d’une insigne misogynie de Flaubert. Et notre Sacerdoti – c’est son nom – a fait le choix, lors de cette fameuse commission, devant tant de bêtise et tant d’injustice, de ne pas se défendre. Dès lors, son destin va basculer. On ira, pour de simples paroles, jusqu’à l’accuser de féminicide. Ce roman est l’histoire d’une vindicte qui ira s’amplifiant, deviendra populaire et médiatique. C’est de la fiction, n’empêche, ça fait froid dans le dos.
Alessandro Piperno, Un air de famille, traduit de l’italien par Jean-Luc Defromont, Liana Levi, 436 p.