Regards n°1112

La guerre de Gaza est-elle finie ?

Enfin, un rayon de lumière dans la longue nuit commencée voici quinze moins, ce Shabbat de sinistre mémoire du 7 octobre 2023 : le dimanche 19 janvier dans l’après-midi, trois jeunes femmes, Emily Damari, Romi Gonen et Doron Steibrecher, ont été remises par leurs geôliers du Hamas à la Croix-Rouge, puis ramenées chez elles, en Israël. Une indescriptible explosion de joie collective les a accueillies.

Le cessez-le-feu venait d’entrer en vigueur. En principe, il doit tenir quarante-deux jours, au terme desquels trente-trois otages, dont on estime que vingt-cinq sont toujours en vie, devraient avoir été progressivement libérés. Après quoi débuterait une deuxième phase, négociée à partir du seizième jour de la première, laquelle est censée aboutir à la libération des soixante-quatre otages restants, en même temps qu’à la fin de la guerre et au retrait des forces israéliennes de l’ensemble du territoire. Une troisième phase, enfin, serait celle de la reconstruction.

La joie est mêlée d’amertume. Les termes de l’accord sont pratiquement ceux mis au point par les Américains dès le mois de mai, puis repris à l’identique en juillet. Une dizaine d’otages, cent-vingt soldats israéliens et des milliers de Gazaouis ont payé de leur vie les atermoiements du Hamas et les manœuvres dilatoires de Netanyahou, qui a chaque fois inventé un nouveau prétexte – la nécessité absolue de prévenir le retour des Palestiniens dans le nord du territoire ou l’indispensable contrôle du corridor de Philadelphie le long de la frontière avec l’Égypte – pour poursuivre la guerre. L’excellent Antony Blinken, le secrétaire d’État américain, s’est épuisé dans de pathétiques et stériles va-et-vient. Pour emporter la décision, il a fallu changer de méthode.

Ce changement de méthode, c’est ce qu’on appelle « l’effet Trump ». Ce personnage brutal et fantasque a fait savoir qu’il entendait que la question des otages fût réglée avant même son entrée en fonction, faute de quoi « l’enfer [allait] se déchaîner ». Sur la tête de qui ? Mystère. Du Hamas ? Difficile d’imaginer ce que Trump pouvait ajouter à l’enfer que les Gazaouis vivaient déjà. Des Qataris, qui faisaient ce qu’ils pouvaient pour jouer les intermédiaires ? Pas davantage. Alors, de Netanyahou ? Peut-être. Mais peu importe, la pose de matamore a fait son effet. Alors, quand il a dépêché à Doha, puis à Jérusalem, son envoyé spécial pour le Proche-Orient fraîchement nommé, Steve Witkoff, celui-ci a aboyé aux oreilles du Premier ministre l’ordre de son boss. Et c’est ainsi que ce que Biden n’a pas obtenu en une année, Trump l’a arraché en une journée. 

Joie et amertume, disais-je, à quoi s’ajoute l’inquiétude. Cet accord tiendra-t-il ses promesses ? Le Hamas a tout intérêt à le respecter. L’organisation djihadiste a beau crier victoire, elle n’est plus que l’ombre d’elle-même. Certes, elle est toujours debout, recrute de nouveaux membres et garde la maîtrise du territoire. Les images de la libération des trois jeunes femmes étaient édifiantes : elles ont été assaillies par un rassemblement menaçant de centaines de djihadistes armés. Mais enfin, il lui faut souffler, se regrouper, se réarmer. Pour lui, la trêve est une bouffée d’air.

Benjamin Netanyahou, en revanche, a intérêt à faire capoter la deuxième phase de l’accord, pour la bonne raison que son succès signifierait la chute de sa coalition. En effet, l’un de ses deux partenaires de l’extrême droite messianique, les kahanistes de Otzma Yehoudit (« Puissance juive ») d’Itamar Ben Gvir, a déjà quitté le gouvernement à cause de la signature de l’accord, le laissant avec une maigre majorité de deux députés. L’autre, Sionisme religieux de Bezalel Smotrich, s’est engagé à en faire autant si la guerre n’est pas reprise au terme de la première phase. Pour ces deux-là, comme pour une bonne partie d’un Likoud « kahanisé » jusqu’à l’os, les otages ne sont qu’une variable d’ajustement. Eux veulent réoccuper la bande de Gaza, vider le nord du territoire de ses habitants et y implanter des colonies. Pris entre le marteau Trump et l’enclume Smotrich, Netanyahou fait ce qu’il a toujours excellé à faire : il navigue à vue, en mentant à tout le monde. La même main qui a signé l’accord de cessez-le-feu où il est spécifié noir sur blanc que sa deuxième phase verra l’arrêt de la guerre et le retrait de Tsahal du territoire, a signé dans la foulée la lettre où il promet à Smotrich que la trêve est provisoire et que, au terme de la première phase, la guerre reprendra, « jusqu’à la victoire totale ». Comment s’y prendra-t-il ? Facile. Le Hamas étant le Hamas, et, dans l’état où il se trouve, un ramassis de desperados plutôt qu’une troupe disciplinée, tout incident armé lui servira de prétexte. À défaut, il va traîner les négociations en longueur jusqu’à l’expiration de la date fatidique du seizième jour, puis, arguant du mauvais vouloir du Hamas, il reprendra les hostilités. Jusqu’à quand ? Allah est grand.

Deux obstacles risquent de se mettre en travers de ce plan. L’un est l’opinion publique israélienne. Le spectacle des premiers otages libérés a mis les nerfs de la nation à vif, des semaines de calme relatif lui auront fait goûter un semblant de paix ; comment, dans ces conditions, la ferait-on acquiescer à l’abandon de la plupart des otages comme à la litanie renouvelée des enterrements militaires ?

Des manifestants clament leur joie dans les rues de Tel-Aviv, à la suite de l’annonce d’un cessez-le-feu à Gaza et de la libération d’otages israéliens enlevés le 7 octobre 2023 par le Hamas. ©Reuters/Ronen Zvulun.

L’autre est Trump. Pour velléitaire et imprévisible qu’il soit, l’homme a défini un cap : il veut compléter les accords d’Abraham, la réalisation phare de son premier mandat, par un accord de normalisation israélo-saoudien. Un tel accord, pense-t-il à juste titre, réalignerait le Proche-Orient, sous la houlette des États-Unis, dans une vaste alliance régionale contre « l’axe de résistance » iranien, déjà mis à mal par les coups de boutoir de Tsahal contre le Hezbollah, le Hamas et Téhéran, et la chute du régime d’Al-Assad en Syrie. Au passage, il offrirait à son ego dilaté, pense-t-il, la distinction du prix Nobel de la paix. Seulement voilà, ce qui était possible, et presque fait, avant le 7-Octobre, ne l’est plus après. Non que les Saoudiens n’y soient plus intéressés, ils le sont plus que jamais. Mais, comme Mohammed ben Salmane, l’homme fort de Riyad, l’a fait savoir à plusieurs reprises, cela passe désormais par un début de solution du problème palestinien, autrement dit, à terme, un État palestinien.

Telle est l’équation. Trump est-il homme à la résoudre ? Il en a les défauts, qui sont ici des qualités : brutalité, caractère impérieux, orgueil démesuré, mépris des convenances, maîtrise absolue de ses gens. Il faut un tel homme pour se mesurer à un alter ego comme Netanyahou. C’est la faiblesse des démocrates policés que de jouer aux échecs face à des adversaires rompus au poker menteur. Ce fut la faiblesse du tandem Biden-Blinken. Ce n’est assurément pas celle de Trump. Lui a les moyens de faire plier Netanyahou, ou de créer les conditions nécessaires à son départ. Le voudra-t-il, aura-t-il la patience et la ténacité nécessaires pour y parvenir ? Peut-être…

Écrit par : Elie Barnavi
Historien, professeur émérite de l’Université de Tel-Aviv et ancien ambassadeur d’Israël
Elie Barnavi

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