Le monde d’où s’est extirpée l’écrivaine et universitaire Laure Murat est celui même que décrit Proust dans A la recherche du temps perdu. A savoir l’aristocratie. Ce n’est pas l’aristocratie qui confère à Proust un surcroit de prestige, c’est le contraire. C’est bien la littérature qui prime. Laure Murat sort de ce monde et s’en est sortie. En lisant et relisant Marcel Proust. « Je ne m’arroge en rien le prestige de Proust parce qu’il aurait décrit le monde où je suis née, mais je loue sa magie à m’en avoir sortie », écrit-elle d’entrée de jeu. Un monde de règles arbitraires, tacites, qui invite à tenir (son rang), se tenir, se retenir. Pas d’effusion, pas de démonstration, pas un mot plus haut que l’autre. « On ne pleure pas comme une domestique ». Derrière ce code ? Rien, absolument rien. Le vide. Il y avait bien au départ le code chevaleresque de l’honneur et le blason qui vous distinguait. Faut-il le dire ? de cela il ne reste rien. Et c’est l’œuvre de Proust, justement, qui nous montre cette déliquescence qu’on peut dater de la guerre de 14. Laure Murat descend des deux lignées de la noblesse : celle d’Empire (les Murat) et celle, plus prestigieuse, dite d’Ancien Régime (duc et duchesse de Luynes).
Distinction bien dérisoire aujourd’hui, on en conviendra. Mais Laure est officiellement Princesse Murat. Quand ce titre figure sur un document, les préposés de l’administration croient simplement que c’est un prénom “original”. Qu’on ne se méprenne pas : si la double lignée familiale de l’écrivaine a quelque parenté avec les personnages de Proust, ce n’est pas pure analogie ou simple vraisemblance. Les aïeux de Laure Murat sont expressément nommés dans la Recherche, mais mêlés aux personnages fictifs. Si bien qu’une étude généalogique un peu poussée (dans l’œuvre et dans la réalité) établirait que Laure Murat pourrait légitimement tenir la (fictive) duchesse de Guermantes pour sa tante ! Mais là n’est pas encore l’essentiel, qui touche des territoires bien plus personnels. A savoir la thématique si importante chez Proust de l’homosexualité masculine et féminine, qu’il était fatal que Laure Murat interroge. Ce qu’elle fait brillamment, laissant de sa mère, avec qui elle fut contrainte de rompre, un portrait haïssable. Lire Proust l’aida dans cette entreprise d’émancipation. Je l’ai toujours pensé : lire Proust, ça soigne. Allez-y, ce n’est jamais trop tard.
un essai passionnant qui démontre ,une fois de plus, que la Recherche est une œuvre universelle dont, à chaque lecture, on ne sort jamais indemne.