Regards n°1115

Le sport et les Juifs à Auschwitz

La nouvelle exposition à Kazerne Dossin Le sport et les athlètes au KL Auschwitz, montre à la fois le sport comme forme de torture et moyen de survie.

Pour les SS, Sportmachen signifie forcer les concentrationnaires à une gymnastique humiliante au retour du travail, ou punitive, suite à la faute d’un seul détenu… Mais, comme l’explique la curatrice l’exposition, Renata Koszyk, « Les détenus d’Auschwitz pratiquent des sports pour échapper à la réalité du camp. Certains sont des athlètes, recordmen nationaux et olympiques. Montrée au musée d’Auschwitz de 2021 à 2023, l’exposition honore leur mémoire et leur lutte pour préserver leur humanité. Les récits de survivants notent que les moments de sport aident à s’évader mentalement, renforcent la volonté de rester en vie. » Lettres, photos, témoignages et objets sportifs évoquent cette histoire de force, ténacité et résilience. Tête d’affiche de l’exposition et figure emblématique de la survie par la boxe, Tadeusz Pietrzykowski, champion de Varsovie, déporté en juin 1940 à Auschwitz. Contraint d’affronter un kapo allemand pour divertir les SS, il gagnera la plupart de ses combats.

Comme l’expose Adriaan Baccaert, coordinateur public et pédagogie de Kazerne Dossin, le musée a enrichi l’exposition des récits de sportifs déportés de Belgique : « Sally Weinschenk, boxeur néerlandais, champion d’Europe amateurs, arrêté en Belgique en septembre 1943, s’entraîne à la boxe avec d’autres jeunes à Dossin. Sally est du transport 23, avec Noah Klieger qui relate cette histoire dans La Vie ou La Boxe. Strasbourgeois, Noah vit en Belgique avec sa famille depuis 1938. Engagé dans la résistance juive et le passage clandestin vers la Suisse, il est arrêté fin 1942. Au lendemain d’une première nuit par -25°C. à Auschwitz, deux SS demandent aux survivants qui est boxeur. Quatre lèvent la main : Sally, son compatriote Sam Pots, jeune poids lourd, Jean Korn, un footballeur belge, et Klieger, initié à la boxe à Dossin. Le commandant d’Auschwitz III, fou de boxe, organise des matchs entre détenus devant un public SS et aménage une salle pour l’entraînement des boxeurs, qui sont mieux alimentés. Jacko Razon, Juif de Salonique, champion des poids légers, aide Noah à feindre un premier combat. Klieger dispute 22 matchs, qu’il perd tous, mais il survit ! Son ami Victor ‘‘Young’’ Perez, Juif de Tunisie et champion du monde poids mouche, est tué sous ses yeux par un SS, dans la marche de la mort en janvier 1945. Libéré à Ravensbrück, Noah retrouve ses parents à Bruxelles. Reporter, il couvre notamment les procès de criminels nazis. En 1947, il intègre l’équipage de l’Exodus. Immigré en Israël, il devient un célèbre journaliste sportif au journal Yediot Aharonot. »

Surnommé « la bête juive » par les SS

Autre boxeur juif d’Auschwitz, Salamo Arouch (1923-2009), Juif de Salonique, champion de Grèce, puis des Balkans, en poids légers. En 1943, déporté avec sa famille et repéré par les SS, il remporte tous ses combats. Libéré à Bergen-Belsen, il rencontre une survivante de Salonique et l’épouse. Ils émigrent en Israël, où Arouch reprend la boxe, puis devient homme d’affaires. À Jaworzno, un sous-camp d’Auschwitz, Herschel Haft (1925-2007) entraîné par un gardien à la boxe et surnommé « la bête juive » par les SS, livre 76 combats. Ayant réussi à s’échapper d’une marche de la mort en 1945, il tue un Allemand dont il revêt l’uniforme. Interné d’un camp de personnes déplacées, il gagne un championnat. Il émigre aux États-Unis et devient boxeur professionnel. Battu par Rocky Marciano, “Harry” Haft se marie et ouvre un magasin de fruits et légumes à Brooklyn.

Nageur exceptionnel, Alfred Nakache, biographie de Nakache par Pierre Assouline, Le nageur, Paris, Gallimard, 2023. s’illustre aux Jeux olympiques de Berlin, et remporte des titres nationaux de natation dans la France de Vichy, jusqu’en 1943. Après Auschwitz, redevenu champion de France, il nage aux Olympiades de Londres. D’autres athlètes survivent, mais ne se relèvent pas. Juif polonais d’une force extraordinaire, Yakov Kozalczyk (1902-1953) émigre à Cuba. Catcheur, aux États-Unis, au Mexique, en Argentine, il lutte au cirque de Varsovie en 1938, sa tenue peinte d’une Magen David. Revenu dans sa ville natale, il se marie. Chef de la police du ghetto local, fin 1942 sa femme et ses deux enfants périssent à Treblinka. Déporté à Auschwitz en mai 1943, il devient Kapo dans le bloc 11 d’Auschwitz, connu sous le nom de « bloc de la mort ». En juin 1946, il immigre en Israël où, injustement accusé de collaboration, il meurt de dépression en 1953.

Assassinés à leur arrivée à Auschwitz

« Les compétitions sportives à Auschwitz commencent l’été 1940, à l’ouverture du camp d’Auschwitz », souligne Renata Koszyk « Jusqu’en 42, la plupart des détenus sont des prisonniers politiques polonais. Plus populaires que la boxe, des matchs de football s’organisent régulièrement à Auschwitz I, sur la place d’appel, et aussi à Birkenau, dans le secteur de quarantaine, le camp des hommes, et la zone du Revier, proche du crématoire III… Le sport à Auschwitz se pratique toujours à l’ombre de la mort. Nombre de sportifs juifs, célèbres avant-guerre, jugés inaptes au travail lors de la sélection, sont assassinés dès leur arrivée. » Ainsi, Julius Hirsch, footballeur international, champion du club de Karlsruhe (KFV), sélectionné en équipe nationale allemande, participe aux Olympiades de Stockholm (1912) et devient capitaine du SpVgg Fürth. Soldat en 14-18, il reçoit la Croix de Fer. Son entreprise familiale fabrique des articles de sport. Déporté en mars 1943, il est assassiné à Auschwitz-Birkenau dès son arrivée. C’est aussi le cas d’Árpád Weisz (1896-1944). Footballeur à Budapest, il rejoint le Maccabi Brno, joue aussi en Italie. Il participe aux Jeux olympiques de Paris (1924) dans l’équipe nationale hongroise. Après une blessure, il devient entraîneur à l’Inter Milan, Bari, Novara et Bologne. Les lois raciales de 1938 l’excluent du football italien. Réfugié aux Pays-Bas, avec sa femme et leurs deux enfants, il entraîne le Dordrecht. Déporté Weisz périt à Auschwitz avec toute sa famille. Il y a aussi Eddy Hamel (1902-1943). Né à New York dans une famille juive hollandaise retournée aux Pays-Bas en 1903, Eddy Hamel devient le premier joueur juif de l’Ajax Amsterdam.

Simon Borisewitz (premier à partie de la droite) et l'équipe belge internationale de gymnastique vers 1935. © Collection Borisewitz et Kazerne Dossin

Le sport et les athlètes au KL Auschwitz – jusqu’au 10 décembre 2025

Semaine (sauf mercr.) 9-17h, WE 9.30-17h

Kazerne Dossin, Goswin de Stassartstraat 153, 2800 Mechelen

www.kazernedossin.eu

Malgré son passeport américain, il arrêté en 1942 et déporté de Westerbork à Auschwitz où il meurt, épuisé par les travaux forcés. Enfin, des sportifs juifs évoluant en Belgique connaissent le même sort. Sam Meljado, né en 1905 à Anvers, est un des meilleurs milieux de terrain de sa génération. Au Beerschot, il remporte cinq titres nationaux de 1922 à 1928. Il rejoint le SK Roeselare en 1936, puis le FC Roeselare. D’abord envoyé en juillet 1942 au camp de travail des Mazures dont le commandant est fan de football, il est finalement déporté à Auschwitz où il périt en 1943.

Parmi les déportés, se trouvent aussi des athlètes féminines de haut niveau Leurs rêves ont été brutalement anéantis. Estella « Stella » Agsteribbe, fait partie de l’équipe féminine néerlandaise de gymnastique qui remporte la médaille d’or aux Olympiades d’Amsterdam en 1928. Cinq des onze gymnastes néerlandaises, Estella, Elka de Levie, Helena Nordheim, Anna Polak, Judikje Simons, sont juives. Leur entraîneur Gerrit Kleerekoper l’est aussi. Durant l’été 1943, Helena, Anna, Judikje et Gerrit disparaissent avec leurs familles à Sobibor. Estella, son mari et ses enfants sont assassinés à Auschwitz. Seule Elka survit à la Shoah.

Une exposition mémorielle dense, qui incite à la recherche, qu’il s’agisse de découvrir les biographies des sportifs juifs d’Auschwitz, de visionner les films qu’ont inspiré certains, ou d’explorer son propre passé sportif familial, à l’ombre de la Shoah.

Écrit par : Roland Smit

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Annette Wieviorka
L'itinéraire d'Annette Wieviorka
Historienne spécialiste de la Shoah, directrice de recherche honoraire au CNRS et vice-présidente du Conseil supérieur des archives depuis 2019,
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