06/09/2023
Regards n°1098

L’Edito – Comme le nez au milieu de la figure

Présenté en avant-première à la Mostra de Venise le 2 septembre dernier, le film Maestro retrace l’histoire d’amour entre le compositeur et chef d’orchestre américain Leonard Bernstein et sa femme Felicia Montealegre. Auparavant, la diffusion de la bande-annonce de ce film réalisé et interprété par Bradley Cooper a suscité une polémique concernant la prothèse nasale que ce dernier utilise pour ressembler à Leonard Bernstein.

Pour certains, le visage grimé de Bradley Cooper ne fait que reproduire les préjugés antisémites sur le nez juif. Pour d’autres, il s’agit aussi d’une illustration du Jewface. Dérivée du Blackface, cette expression désigne la représentation outrageusement caricaturale et stéréotypée de Juifs par des acteurs non-juifs.

Alors que les Juifs se heurtent à un imaginaire antisémite obsédé par la Shoah et la domination juive, une polémique éclate à propos d’un faux nez trop proéminent dans un film à la gloire d’un des rares compositeurs du XXe siècle dont l’œuvre contient des éléments musicaux, des motifs et des thèmes reflétant son identité juive. Est-ce bien sérieux ?

En se penchant sur les soixante dernières années, il est effectivement difficile d’affirmer sérieusement qu’il y ait une volonté concertée à Hollywood d’écarter les actrices et les acteurs juifs des rôles de Juifs au profit d’acteurs non-juifs, ou pour les empêcher d’incarner des personnages non-juifs. Que ce soient des mafieux italiens, des truands mexicains dans des westerns, des notables de la bonne société WASP, des dignitaires nazis, etc., des Juifs ont toujours tenu des rôles de non-Juifs. En agitant aujourd’hui le Jewface pour critiquer Bradley Cooper dans son interprétation de Leonard Bernstein, le risque est élevé de réduire le travail d’acteur à une question identitaire. Un rôle ne serait plus attribué à un acteur qu’en fonction de l’adéquation entre son identité et celle de son personnage. Il n’y aurait plus de jeu d’acteur ni de comédie mais un ersatz de documentaire censé montrer le vrai, l’authentique en dehors de toute considération artistique.

Cette polémique a toutefois le mérite de nous rappeler à quel point la question de la représentation des minorités occupe aujourd’hui une place importante dans le monde du cinéma. De plus en plus de minorités exigent que les personnages qui les représentent soient interprétés par des actrices et des acteurs issus de ces minorités. Il est intéressant de noter que jusqu’à présent, les Juifs se sont plutôt tenus à l’écart de ce débat. Toutefois, des actrices et des acteurs juifs le déplorent en faisant remarquer que cette exigence identitaire est acceptée pour toutes les minorités sauf pour les Juifs. Ce qui est, hélas, souvent le cas.

Même si les trois enfants de Leonard Bernstein et l’Anti-Defamation League, la plus ancienne organisation américaine de lutte contre l’antisémitisme, ont validé le choix de Bradley Cooper d’utiliser une prothèse grossissante du nez du Maestro, la vision de cet artifice suscite malgré tout un certain malaise. Il est évidemment lié aux représentations antisémites affublant les Juifs d’un gros nez crochu censé souligner leur perversité. Pour dissiper ce malaise, il suffit de se poser une seule question : s’agit-il de faire ressembler un acteur non-juif à Leonard Bernstein ou de le faire ressembler à une caricature de Juif ? La réponse nous est donnée implicitement par Christopher Nolan, le réalisateur d’Oppenheimer : ni Cillian Murphy ni Tom Conti, qui ne sont pas juifs, n’ont eu besoin de prothèses nasale grossissante pour incarner remarquablement Robert Oppenheimer et Albert Einstein alors que ces derniers arboraient tous les deux un nez aussi proéminent que Leonard Bernstein. En réalité, Bradley Cooper avait lui-même déjà répondu à cette question en 2014 lorsqu’il interpréta sans la moindre prothèse le rôle de Joseph Merrick dans la pièce The Elephant Man à Broadway et à Londres

Écrit par : Nicolas Zomersztajn
Rédacteur en chef
22 bis

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