Les apparences trompeuses des colonies israéliennes

Noah Eve-Kaïtz
Dans Les apparences trompeuses, une étude approfondie et détaillée sur les colonies israéliennes en Cisjordanie, l’expert israélien Shaul Arieli réfute l’affirmation selon laquelle le vaste réseau de colonies de Cisjordanie annule la faisabilité de la résolution du conflit israélo-palestinien sur base du principe de deux Etats pour deux peuples.
Partagez cette publication >

Depuis 1967, les gouvernements israéliens ont adopté divers plans pour définir l’avenir des territoires conquis par Israël lors de la guerre des Six Jours. Dans le cadre de ces plans, les gouvernements ont créé des colonies en Cisjordanie et dans la bande de Gaza afin de créer des conditions physiques, spatiales et psychologiques permettant d’assurer trois objectifs politiques, selon l’ordre de priorité croissant suivant : encercler les entités politiques arabes par des territoires israéliens en délimitant une frontière conforme aux priorités israéliennes ; empêcher la création d’un Etat palestinien indépendant avec une contiguïté territoriale en assurant une présence israélienne substantielle, en particulier le long de la crête montagneuse centrale de Cisjordanie correspondant aujourd’hui au tracé de la Route 60 ; annexer la totalité ou des parties importantes des territoires occupés par l’Etat d’Israël sans compromettre la vision sioniste d’un Etat démocratique à majorité juive.

Au cours de la première décennie qui a suivi la guerre des Six Jours, les gouvernements travaillistes ont généralement agi conformément à l’approche sécuritaire en se concentrant sur la construction de colonies dans la vallée du Jourdain et dans la région du Grand Jérusalem. Ces colonies étaient principalement de nature agricole et la plupart des colons étaient laïques et proches des Travaillistes. En 1977, leur nombre ne dépassait pas 5.000 personnes. Le tableau de la colonisation ne pouvait ni influencer ni atteindre l’objectif politique défini à l’époque : l’endiguement d’une future entité politique palestinienne et la neutralisation de son territoire par le contrôle israélien de ses frontières extérieures.

Empêcher la création d’un Etat palestinien

La situation se modifie avec l’arrivée au pouvoir de la droite nationaliste en 1977. La plupart des colonies juives de Judée et de Samarie ont été construites entre 1977 et 1984, sous les gouvernements du Likoud. Ces gouvernements ont privilégié la création de colonies communautaires et urbaines. Conformément au plan Sharon, ils ont également étendu les zones de colonisation à la crête centrale des montagnes de Judée à la Samarie occidentale. A la fin de cette période, les colonies comptaient 35.300 habitants. Cependant, elles n’ont pas non plus été en mesure d’atteindre les deux autres objectifs politiques qu’elles étaient censées poursuivre : empêcher la création d’un Etat palestinien jouissant d’une contiguïté territoriale ou, à défaut, annexer la totalité ou la majeure partie de la région à l’Etat d’Israël sans porter atteinte à la vision sioniste d’un Etat démocratique à majorité juive.

Au cours des 35 années qui ont suivi, tous les gouvernements ont construit un nombre relativement faible de nouvelles colonies. Depuis que le gouvernement Rabin a décidé en 1992 de ne pas construire de nouvelles colonies, les efforts se sont concentrés sur l’augmentation du nombre d’Israéliens vivant dans les colonies existantes, notamment depuis la signature des accords d’Oslo en 1993. Le nombre de résidents est passé de 95.000 en 1993 à 451.257 en 2020. Suite au transfert des pouvoirs à l’Autorité palestinienne dans les zones A et B de Cisjordanie, les autorités israéliennes ont initié la construction de colonies illégales destinées à densifier et à étendre les blocs de colonies existants et à accroître la présence juive le long de la route 60, qui définit la contiguïté territoriale palestinienne le long de la crête montagneuse centrale de Cisjordanie. En outre, ces dernières années, dans le cadre de la « guerre pour la zone C », de vastes zones ont été allouées à des exploitations agricoles individuelles israéliennes dans toute la Cisjordanie. Il en résulte qu’à la fin de l’année 2020, les caractéristiques principales des 110 colonies israéliennes sont les suivantes : 75 % des colonies ont un caractère communautaire et urbain et abritent 95,3 % des résidents juifs de Cisjordanie. Plus d’un tiers des Israéliens vivant en Cisjordanie sont des Juifs ultra-orthodoxes, plus d’un tiers sont nationalistes-religieux et le reste est laïque. Deux tiers des colons israéliens se sont installés en Cisjordanie principalement pour améliorer leur qualité de vie et un tiers pour des raisons confessionnelles ou idéologiques. Politiquement, l’écrasante majorité des colons (91 %) a voté pour des partis de droite et d’extrême droite lors des élections de 2021.

« La stratégie de colonisation de Sharon était insensée »

L’originalité de l’étude de Shaul Arieli réside dans sa démonstration : les colonies en expansion ainsi que les avant-postes et les fermes illégales n’ont pas modifié de manière irréversible la situation démographique en Cisjordanie et n’empêchent pas la mise en œuvre d’une solution à deux Etats fondée sur la formule « les frontières de 1967 avec de petits échanges de territoires ». En effet, Au fil des décennies, les gouvernements israéliens ont construit les colonies juives sans plan directeur global adapté aux conditions de la région. Ils ont adopté des modèles de colonisation disparates et non complémentaires qui ont émergé dans les premières années d’Israël en fonction de la disponibilité des terres. Au cours des premières années, les gouvernements croyaient encore assurer une domination démographique et spatiale sur le territoire palestinien par le biais d’une colonisation juive expansive. Plus tard, à la fin des années 1970, Ariel Sharon a adopté la stratégie visant à créer un réseau de colonies en forme de coin (cunéiforme) pour affaiblir les localités palestiniennes en termes de contiguïté territoriale (urbaine et agricole) et de contiguïté des transports, privant ainsi ce dernier réseau de la capacité de maintenir une entité politique viable. La plupart des colonies juives (y compris celles qui ont été évacuées en 2005) ont été construites au cours de cette période. Cette stratégie a également échoué. L’ancien Premier ministre Ehoud Barak a résumé cet échec en quelque mots : « Le plan de Sharon était insensé. Les colonies isolées de Sharon ont affaibli les blocs de colonies au lieu de les renforcer. Elles étaient un cas classique où l’on visait trop haut et où l’on se retrouvait dans une position pire qu’avant ». Par conséquent, l’abandon du système cunéiforme israélien (comprenant quelque 60 colonies isolées le long de la crête montagneuse) du système palestinien local, dans le cadre d’un accord permanent, ne servira qu’à renforcer le système palestinien existant ; il atténuera plutôt qu’il n’entravera son tissu de vie.

Cette étude montre aussi que le système de colonisation juive n’a pas créé de majorité démographique et n’a pas assuré le contrôle spatial de la Cisjordanie. Il ne menace donc pas l’intégrité territoriale palestinienne le long de la crête montagneuse.

Shaul Arieli, le spécialiste du tracé des frontières

Shaul Arieli, ancien colonel de l’armée israélienne, a servi dans la brigade des parachutistes dont il fut le commandant adjoint. Il a ensuite dirigé l’administration de l’accord intérimaire en Cisjordanie et l’administration de l’accord sur le statut permanent entre 1997 et 1999.

Depuis qu’il a quitté l’armée en 2001, Shaul Arieli s’est imposé comme un des experts israéliens les plus qualifié du conflit israélo-palestinien, et plus particul-ièrement sur la question du tracé de la future frontière israélo-palestinienne. Cette qualité lui a permis de participer en tant qu’expert à plusieurs cycles de négociations entre Israéliens et Palestiniens aux côtés de différents Premiers ministres israéliens.

Militant pour la paix, il a également été l’un des principaux artisans de l’Accord de Genève, ce plan de paix alternatif conclu par les anciens partenaires des négociations de Taba (janvier 2001) pour résoudre le conflit israélo-palestinien.

Son étude Deceptive Appearances. Do the Jewish Settlements in the West Bank Negate the Feasibility of the Two-State Solution ? (Apparences trompeuses. Les colonies juives en Cisjordanie nient-elles la faisabilité de la solution à deux États ?) est téléchargeable sur www.shaularieli.com

Il en résulte que le système de colonies israéliennes n’annule pas la faisabilité de la solution à deux Etats dans sa dimension spatiale et physique. Son impact sur l’équilibre démographique et sur la domination spatiale palestinienne est au mieux négligeable, à l’exception de la zone de Jérusalem où se concentre la majorité de la population israélienne au-delà de la ligne verte (y compris à Jérusalem-Est). Dans cette zone, on assiste à l’émergence d’une masse urbaine et démographique juive qui risque d’entraver le maintien de la contiguïté palestinienne le long de la crête montagneuse. « Cela exigera des solutions et des arrangements fonctionnels plus étendus dans cette zone », met en garde Shaul Arieli. « Les plans futurs d’Israël dans cette zone, y compris les nouveaux quartiers et les nouvelles routes, sont susceptibles d’intensifier cette tendance et d’exacerber l’impact négatif sur la faisabilité de la solution à deux Etats ».

Fardeau sécuritaire et économique

Selon cette étude, le système de colonisation juive souffre depuis de nombreuses années de tendances négatives dans des aspects aussi fondamentaux que la croissance démogra-phique, la production des richesses et l’activité économique (agriculture israélienne marginale, activité industrielle quasi-inexistante, surreprésentation de personnes employées dans les secteurs financés par l’Etat, dépendance financière des collectivités locales des subventions gouvernementales). Si ces tendances se poursuivent, la population juive de Cisjordanie comprendra à l’avenir une majorité juive ultra-orthodoxe et nationaliste religieuse. Ainsi, la population juive de la région deviendra un fardeau sécuritaire et économique pour l’Etat d’Israël : une population pauvre dépendante d’Israël à l’intérieur de la ligne verte dans tous les domaines (emploi, services, soutien gouvernemental, etc.).

Après avoir documenté en détail les différents aspects de la colonisation israélienne en Cisjordanie, cette étude propose dans ses annexes les contours d’un accord pour une solution à deux Etats concernant les quatre questions centrales : les frontières, la sécurité, Jérusalem et les réfugiés. Cette proposition inclut une suggestion de frontière optimale entre Israël et la Palestine basée sur des échanges de terres sur une échelle de 4%, tout en laissant sous souveraineté israélienne quelque 80% des Israéliens qui vivent dans les blocs de colonies le long de la Ligne verte.

Une majorité de colons prêts accepter un retrait

Les annexes comprennent également une analyse fouillée des attitudes des colons susceptibles d’être expulsés dans le cadre d’un accord permanent. Trois enquêtes menées à différentes périodes et utilisant des méthodologies différentes auprès d’échantillons représentatifs de colons soutiennent qu’il est possible de mettre en œuvre une solution à deux Etats nécessitant l’évacuation des colonies. Ces enquêtes, réalisées auprès de la population susceptible d’être expulsée dans le cadre d’un futur accord montrent que la plupart des colons sont pragmatiques. Même s’ils ne sont pas favorables à l’évacuation des colonies, ils seront prêts à accepter la décision, à condition que le retrait soit approuvé par une décision gouvernementale et/ou un référendum. La plupart des colons, désapprouvant la violence, préfèrent exprimer leur protestation de manière légale et légitime. Il est également apparu que l’opposition à un retrait est motivée non seulement par des facteurs idéologiques, mais aussi par des considérations plus concrètes, telles que la distance par rapport au lieu de travail, le désir de rester dans une communauté existante, et la résistance au changement à un âge avancé. « Une attention efficace à ces aspects pourrait réduire le niveau d’opposition à l’évacuation », estime Shaul Arieli. « La décision d’évacuer les colonies sera finalement prise sur la base de diverses considérations. L’analyse actuelle des attitudes et des désirs des colons de Judée et de Samarie suggère qu’ils ne constitueront pas un obstacle insurmontable à une solution diplomatique ».

Par conséquent, le plus grand défi auquel sont confrontées les deux parties ne se situe pas dans la dimension spatiale et physique – puisqu’il est encore possible de parvenir à une solution à deux Etats sur la base des paramètres de négociations d’Annapolis en 2007 – mais plutôt dans la dimension politique. À cet égard, les conditions requises comprennent la volonté du gouvernement israélien de réadopter la solution à deux Etats, et la capacité des Palestiniens à présenter un seul organe légitime et faisant autorité pour poursuivre les négociations et signer un accord permanent.

A lire également

Le Bloc-notes – Leçons d’histoire
S’abonner
Notification pour
guest
2 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Amos Zot
Amos Zot
1 année il y a

Le titre de l’article en anglais est:
Do the Jewish Settlements in the West Bank Negate the Feasibility of the Two-State Solution ? 
La traduction est normalement: Est-ce que les implantations juives sur la rive occidentale (sous-entendu du Jourdain) nient la faisabilité de la solution à Deux Etats?
Le fait de traduire par colonisation et Cisjordanie démontre un biais dans le chef du traducteur.
Le fait qu’Arieli publie des articles ans le journal Haaretz qui peut être assimilé à l’organe du PTB en Belgique ou de Mélenchon en France me fait craindre le pire dans ses analyses et de sa soi-disant compétence. Il semblerait qu’il ait été conseiller de Barak .
Le problème de Barak , d’Olmert et de beaucoup d’autres est que contrairement aux Palestiniens, ils ne savent pas négocier et ne comprennent pas qu’il faut permettre à la partie adverse d’obtenir des concessions et donc ne pas proposer directement et publiquement les concessions maximales que l’on peut faire.
Le deuxième problème lui vient du côté palestinien à savoir qu’ils ne s’entendent pas entre eux et que Israël peut échanger des territoires contre la Paix mais que l’Autorité palestinienne peut recevoir des territoires mais ne peut pas garantir la Paix puisqu’ elle n’a pas autorité sur le Hamas, le Jihad islamique,…
En résumé, le danseur israélien est prêt depuis longtemps mais il faut être deux pour danser le tango.

Daniel Horowitz
Daniel Horowitz
1 année il y a

Cet article est intéressant et bien documenté, mais la dernière phrase résume en peu de mots pourquoi toute solution est impossible: “ la capacité des Palestiniens à présenter un seul organe légitime et faisant autorité pour poursuivre les négociations et signer un accord permanent.

Découvrez des articles similaires

Sur la route de Jérusalem…

Pérégrinant à travers Israël en quête d’un second souffle, Qui-vive (Éditions de l’Olivier) de Valérie Zenatti, met en scène la trajectoire d’une femme tourmentée dans un monde écrasé par les tragédies. Un roman magistral et sensible.

Lire la suite »