Flashback sur la page cinéma du Regards du mois dernier : retour sur les lignes où Michel Hazanavicius pointait ce moment de bascule dans la transmission cinématographique de la connaissance de la Shoah : « Tant qu’il y avait des survivants qui témoignaient, nous étions, je dirais, dans l’ère Lanzmann, c’est-à-dire le temps du documentaire. Nous entrons dans l’ère de la fiction. » Voilà pourquoi la réalisatrice Julia Mintz a pris quelques derniers rendez-vous avec des personnes extraordinaires : des témoins et cibles du génocide qui ont aussi été des résistants. Autant de récits singuliers qui forcent le respect et qui transmettent une force, une énergie et une confiance des plus inspirantes.
Shalom Yoran, Michael Stoll, Faye Schulman, Frank Blaichman, Chayelle Pelevsky, Gertrude Boyarski, Isadore Farbstein, Luba Abramowitz et Sara Ginaite ont lutté contre les nazis et leurs collaborateurs depuis les forêts d’Ukraine et de Biélorussie durant la Seconde Guerre mondiale. La forêt de La Plus Précieuse des marchandises ou celle d’Aharon Appelfeld s’invitent dans ces évocations, dans ces bois profonds qui, en dépit de leur hostilité, ont sauvé des vies, permis l’organisation de la Résistance et vu des victimes traquées se transformer en combattants déterminés. Plus de vingt-cinq mille âmes juives s’y seraient cachées.
N’ayant plus rien à perdre, ces jeunes de 15, 17, 21 ans, ont troqué, au fil des jours, leurs bonnes manières à la ville contre des actes de survie, de bravoure et de sabotages à la campagne. Photographe de métier, Faye Schulman raconte qu’elle a servi d’infirmière et d’aide-médecin lors d’opérations chirurgicales extrêmes. Elle a participé à des missions de recherches de fournitures médicales et récupéré, lors d’une d’entre elles, son appareil photo et ses produits chimiques, ce qui lui a permis de prendre des photos et de les développer sous des couvertures durant la nuit. Ses clichés ont traversé la guerre. Elle a publié un livre sur ce vécu et ses photographies ont été exposées à travers le monde. Luba Abramowitz, qui avait perdu son mari, son bébé et ses parents dans des raids aériens, a réussi à faire sortir d’énormes quantités de balles d’une cave insalubre aménagée par la gendarmerie, où les Juifs étaient obligés de nettoyer leurs munitions. Elle a livré des fusils aux partisans, collaboré à l’explosion d’échelons et de voies ferrées, à la destruction des rangs allemands et à la libération de ghettos, y compris celui du Kosovo. Elle a même réussi toute seule à faire sauter un train !
Héros pour l’éternité
Avec le recul, ces femmes et ces hommes apparaissent à la fois incrédules et admiratifs, tant de ce qu’ils sont devenus – une force de combat disciplinée – que de ce qu’ils ont accompli. Cette détermination a continué à marquer leurs vies : nombre d’entre eux ont émigré aux États-Unis ou au Canada, se sont mariés, souvent entre anciens partisans, ont eu des enfants et ont réussi dans leurs carrières, faisant preuve de la même combativité. Alors que l’écran révèle, sur fond d’intérieurs bourgeois, des visages dignes et avenants – aux regards perçants, sourires traversés du souvenir de l’audace et mentons contenus par l’émotion, les voix posées racontent, le passé avant les traques, suivi de l’inimaginable, et de ce qui s’est ensuite avéré incroyable. Leurs paroles se tissent les unes aux autres pour créer un patchwork des plus vivants.
Ces visages en couleurs, entrecoupés d’archives dynamiques en noir et blanc, tous en plans serrés et si présents à l’écran, semblent notamment nous dire : aussi cruels, injustes et pervers que soient les systèmes, il y a moyen de résister ; si on ne peut détourner les tsunamis de l’Histoire, on peut leur mettre de gros cailloux dans les bottes ; on peut sauver des vies, mais pas toutes ; ce qu’on ne peut faire seul est à réaliser à plusieurs, même s’ils ne sont pas la majorité. Tous, en fin de compte, répondent, avec force et nuance, à la question que la cinéaste se posait enfant : « Pourquoi les Juifs n’ont-ils pas riposté, ne se sont-ils pas battus ? ». Que ces partisans soient nos Académiciens, nos Immortels. Ils semblent nous tendre le témoin.
Le film documentaire Four Winters (1h30) sera projeté le 10 décembre 2024 à 20h au CCLJ. La projection sera suivie d’un bord de scène avec la réalisatrice Julia Mintz. En partenariat avec IMAJ.
Le site web : www.fourwintersfilm.com
Bande annonce : https://www.youtube.com/watch?v=hmDR3j5vUsM