Alejo Steimberg, animateur à « La haine, je dis NON ! » et concepteur de ce module, nous donne quelques conseils pour discuter avec un complotiste.
1. Tu ne te considéreras pas imperméable au complotisme
La pensée conspirationniste n’est pas l’apanage de gens particulièrement influençables ou peu éduqués, on la retrouve dans tous les niveaux socio-économiques et socio-culturels (2). En effet, le complotisme est un moyen très efficace et économique (quoique biaisé et fallacieux) pour donner une explication simple à des évènements complexes, il permet de trouver un sens à un monde qui semble confus et compliqué. Que la « vérité » en question soit inventée de toutes pièces ne change rien à l’effet psychologique réconfortant qu’elle peut procurer.
2. Avec prudence tu débunkeras
Le « débunkage » (de l’anglais debunking) est un procédé qui consiste à prouver qu’une affirmation est fausse en apportant des preuves. S’il peut s’avérer très utile pour contrer la désinformation, il montre cependant ses limites quand on discute avec quelqu’un qui croit à une théorie du complot. Certaines personnes ne se gênent pas pour diffuser une information mensongère sur l’OMS, par exemple, convaincues comme elles sont qu’elles ne font que combattre le feu par le feu, car il n’y a selon elles pas plus grand menteur que cette organisation.
3. La démarche scientifique tu expliqueras
Les adeptes des théories du complot sont convaincus d’être des héritiers de l’esprit critique. Or, une « théorie » du complot est un mode de pensée proche de la paranoïa (3) et non pas une théorie au sens scientifique du terme. La démarche scientifique (et journalistique) a pour objectif de démontrer qu’une hypothèse se vérifie, ou pas, dans la réalité : on cherche des preuves qui pourront soit la confirmer, soit l’infirmer. Le raisonnement conspirationniste, par contre, n’accepte que les preuves qui l’arrangent : toute évidence contraire sera inévitablement considérée comme frauduleuse, certainement forgée par le groupe soupçonné (les autorités, les Juifs, une société secrète, etc.). Les théories du complot fonctionnent donc comme une croyance et non comme une enquête basée sur des faits. Or, les tenants des thèses complotistes n’en sont souvent pas conscients. À un interlocuteur de ce type, on peut essayer de lui demander quelles preuves pourraient le faire douter. L’absence de réponse peut être parlante : si l’on ne peut pas prouver qu’une théorie est fausse car elle se prouve elle-même, elle est également indémontrable. Elle relève donc du domaine de la foi.
4 .Tu ne ridiculiseras point
Nous avons tous des croyances dont nous supportons mal la remise en question. Si quelqu’un essaie de vous convaincre qu’une idée qui est à la base de votre système de valeurs (l’égalité entre tous les êtres humains, par exemple) est ridicule, il est probable que vous n’ayez pas très envie de l’écouter. Il en va de même pour les tenants des théories du complot. Il vaut donc mieux privilégier une autre approche : celle de l’entretien épistémique (4). Dans ce type d’échange, on discute sans débattre, sans chercher à prouver quoi que ce soit, le but étant d’aider son interlocuteur à exprimer comment il construit sa vision des choses… et à en prendre conscience. Ce n’est qu’en étant lucide quant à notre manière de raisonner que le doute peut s’insinuer dans nos croyances.
(1) À découvrir sur https://www.lahainejedisnon.be/
(2) D’après un sondage d’Antoine Bristielle de SciencesPo Grenoble, diffusé sur France Info, les antimasques –une position complotiste- français sont majoritairement « des femmes d’une cinquantaine d’années ayant fait des études ou étant cadres ».
(3) Taguieff, Pierre-André : Court traité de complotologie, Fayard, Paris, 2013, pp. 26-27.
(4) Une introduction à cette méthode peut être trouvée sur https://www.youtube.com/watch?v=99InBSdGjO0