Regards n°1113

Les Stone, photographes d’avant-garde

Studio Stone, au Musée de la Photographie de Charleroi, tire de l’oubli l’œuvre d’un couple de photographes, Cami et Sasha Stone, ayant occupé une place à part dans l’effervescence artistique des années 1920-1930 entre Berlin et Bruxelles.

Aleksander Steinsapir (1895-1940), alias Sasha Stone, né de parents juifs à Saint-Pétersbourg, étudie l’ingénierie électrique à Varsovie, où vit la famille de sa mère, Bella Meerson. Émigré aux États-Unis en 1913, il devient aviateur militaire américain en 1917, et séjourne en Angleterre puis à Paris. Démobilisé, il ouvre son atelier de sculpteur. Installé à Berlin, il fréquente Archipenko et le « groupe G »[1]. Dans ces pérégrinations, Sasha rencontre Cami, alias Wilhelmine Camille Schammelhout (1892-1975), née à Vilvorde, émigrée et mariée à New York, puis rentrée en Europe. En 1924, le couple ouvre à Berlin l’Atelier Stone : portrait, reportage, publicité, mode, architecture urbaine et industrielle, leurs photos illustrent en particulier les périodiques des Éditions Ullstein : magazines de mode Die Dame et Uhu, revue d’art Der Querschnitt, hebdomadaire BIZ (Berliner Illustrirte Zeitung). Juif berlinois, magnat de la presse, Herman Ullstein privilégie l’originalité des photographes. Un photomontage de Sasha figure en couverture du livre Einbahnstraße de son ami Walter Benjamin. Il photographie les mises en scène du théâtre politique d’Erwin Piscator. En 1929, paraît son recueil photographique Berlin in Bildern et il participe aux expositions internationales (Fotografie der Gegenwart) et du Werkbund (FiFo). Il publie dans les revues surréalistes Variétés et Bifur. Le travail novateur des Stone sur le nu, Femmes, est édité par Arts et Métiers Graphiques (1933).

Maîtres du portrait

Studio Stone, est le fruit d’une recherche menée par la curatrice Charlotte Doyen, en collaboration avec l’Amsab – Institut d’histoire sociale à Gand. « Cami et Sasha forment un couple symbiotique de photographes », souligne-t-elle. « Leur style, caractérisé par une composition soignée, des vues basculées, l’utilisation audacieuse du cadrage, de la lumière et des ombres, participe à la modernité que développe la Nouvelle Vision en photographie. Maîtres du portrait, ils photographient Albert Einstein, Bertolt Brecht, Max Liebermann, Alfred Döblin, Egon Kisch… Des articles d’époque les citent parmi les meilleurs photographes, parmi Man Ray, Kértesz, Renger-Patzch, Germaine Krull ! Le Studio Stone déménage à Bruxelles et y marque aussitôt le paysage photographique comme le montre l’Exposition internationale de photographie de 1932, au Palais des Beaux-Arts, dont Cami organise la section belge. Nous avons recensé plus d’une vingtaine de périodiques belges qui publient leurs photos, dont le ‘‘Bulletin du Palais des Beaux-Arts’’ et ‘‘L’art vivant en Belgique’’. Ils font les portraits d’hommes politiques belges et d’artistes qui se sont produits au Théâtre Royal de la Monnaie. »

Cami Stone, Portrait réalisé sur le tournage de film Misère au Borinage d’Henri Storck et Joris Ivens, Borinage, Hainaut, 1933. Épreuve à la gélatine argentique, tirage d’époque, 60,2×50,7 cm. Coll. Musée de la Photographie à Charleroi MPC 98/662 © Droits réservés

Exposition Studio Stone jusqu’au 18 mai 2025

Musée de la Photographie,

Avenue Paul Pastur 11, B-6032 Charleroi

Ma-Ve 9–17h, Sa-Di 10-18h

www.museephoto.be

L’exposition de Charleroi privilégie cet ancrage belge : photos des Stone provenant de l’Amsab et autres nombreux documents, en particulier des périodiques où paraissent ces images, souvent de la presse socialiste (ABC, La Famille Prévoyante, Vooruit…), mais aussi Le Soir illustré, ou la revue Bâtir. Cami et Sasha photographient le tournage de Misère au Borinage (1933) de Storck et Ivens. Sasha publie son livre photo Gand (1936), préfacé par Paul Colin[2]. Le couple se sépare en 1939. Fuyant l’invasion allemande, Sasha décède en août 40, près de Perpignan. Cami ferme son studio bruxellois vers 1950. Les Stone tombent dans l’oubli… Comme l’explique Kim Robensyn de l’Amsab, l’institut gantois conserve le précieux archive photographique du Vooruit, qu’enrichit Paul-Gustave van Heck. Passeur d’art, galeriste, éditeur de la revue Variétés, ce journaliste entretenait des liens étroits avec les photographes d’avant-garde, dont les Stone. Accompagnée d’un excellent catalogue bilingue, l’exposition révèle l’ampleur de leur travail et leur inscription dans notre histoire artistique et sociale. Un site Web complétera bientôt cette démarche, valorisant enfin ce patrimoine photographique oublié.

[1] Artistes et architectes liés à la revue G-Material für elementare Gestaltung, au croisement de Dada, De Stijl, du Bauhaus et du constructivisme russe

[2] Cet étonnant livre photo du vieux Gand est publié à Bruxelles par la Nouvelle Société d’Édition, fondée par Colin, critique d’art et collaborateur, abattu en 1943 par le résistant Arnaud Fraiteur.

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Écrit par : Roland Baumann

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