Écrit par : Laurent-David Samama

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Regards n°1113

L’inquiétante trajectoire de Kanye West

Hier incarnation du cool, le rappeur, qui s’est lui-même rebaptisé « Yaydolf Yitler », suscite aujourd’hui la réprobation en multipliant les propos antisémites et autres délires hautement problématiques. Récit d’une chute.

Au tournant des années 2000 surgit un artiste pas comme les autres. Fils de la middle class, né à Atlanta puis élevé à Chicago, Kanye Omari West débute sa carrière artistique en qualité de producteur et de beatmaker aux côtés des stars du hip-hop et du R&B. Faiseur de tubes pour Alicia Keys, Janet Jackson et Jay-Z, il contribue au succès des autres et s’avère, pour l’heure, moins doué pour travailler à sa propre célébrité. Il faudra attendre un premier signe du destin pour que se lance sa carrière solo : un accident de voiture qui lui fracture la mâchoire, mais lui « ouvre les yeux » sur le chemin à emprunter. La machine est en marche. Entre 2004 et 2006, avec les albums The College Dropout et Late Registration, West se forge une solide réputation dans le milieu de l’entertainment. À rebours des rappeurs de l’ancienne école, il plaît d’autant plus qu’il semble incarner un pont entre les milieux sociaux et intellectuels. Prisé par la critique et adulé des masses, le voilà courtisé par les marques de luxe et l’élite culturelle qui voient dans sa discographie une élévation des standards habituels du hip-hop, encore cantonnés à l’esthétisme du béton. Il incarne une énième resucée de l’artiste visionnaire, capable de repousser les limites de son genre pour créer la bande-son d’une époque. Mais très vite pourtant, il multiplie les déclarations polémiques, sans parler de sa propension à verser dans l’egotrip, d’abord interprétée comme une posture artistique, mais bientôt vue pour ce qu’elle était : un narcissisme confinant au délire.

« Je suis un nazi »

Les 6 et 7 février derniers, de manière tout à fait frénétique, le rappeur de 47 ans a multiplié la publication de tweets à caractère antisémites et racistes. On pouvait notamment lire : « Je suis un nazi », ou bien encore : « J’aime Hitler. Maintenant qu’allez-vous faire contre ça ? » Plus tard, il encourageait le salut fasciste d’Elon Musk avec un « Heil Elon » destiné à pousser le bouchon toujours plus loin. Trois jours plus tard, West postait un ultime message qui annonçait la fermeture de son compte sur le réseau social X. Il aurait pu s’arrêter là. Mais non ! Dans la nuit du dimanche 9 au lundi 10 février, pendant la mi-temps du très suivi Super Bowl, West s’est offert un spot publicitaire. On y voit le rappeur allongé sur un siège de dentiste se filmant avec son smartphone. Il explique avoir dépensé tout son argent pour cette pub, et le conclut en invitant les téléspectateurs à se connecter à son site Yeezy.com. En fait de boutique en ligne, tous les articles ont disparu. Tous, sauf un t-shirt blanc siglé d’une croix gammée, vendu pour vingt dollars. Stupeur et réprobation générale, même chez les fans de la première heure du rappeur. Depuis lors, le site a été désactivé, mais le buzz s’avère néanmoins productif : tout le monde de la culture parle de « Ye », s’indigne tout en continuant à le prendre pour un artiste illuminé.

Le cas du rappeur a de quoi nous interroger sur notre capacité collective à sortir du modèle inefficace d’indignation en ligne. « Pourquoi Kanye West est-il encore suivi par 20 millions de personnes sur Instagram et 32 sur Twitter ? », se demandait la journaliste Marion Mariani sur France Inter. « Après ses nombreuses provocations des dernières semaines, sa série de tweets misogynes, racistes, antisémites et son comportement de mâle dominant qui expose sa femme nue sur un tapis rouge lors de la cérémonie des Grammy Awards, sa pub au Superbowl pour ne vendre qu’un seul produit : un t-shirt avec une croix gammée. Dans un monde où l’on se fait soi-disant cancel pour un rien, il étonnant de voir Kanye West compter encore autant de followers. Certains disent qu’il s’agit d’un personnage, qu’il est dans une certaine forme de défi et de provocation. D’autres disent qu’il est diagnostiqué bipolaire ou encore qu’il s’agit de ‘‘hate-watching’’, cette pratique qui consiste à suivre des personnes que l’on déteste dans le but de les critiquer. Mais dans le cas de Kanye West, cela devient très compliqué de se justifier : suivre quelqu’un sur les réseaux sociaux aujourd’hui, c’est un acte politique. Cela revient à lui donner de l’importance, de l’écho. D’une certaine manière, cela peut être pris comme une marque de soutien. » Et pour ceux qui chercheront, comme souvent, à séparer l’homme de l’artiste, répondons qu’il n’est plus vraiment question d’art dans toutes ces déclaration problématiques et dangereuses qui exposent des dizaines de millions de personnes, souvent des fans, à des propos d’une violence symbolique rare. « All falls down » [Tout s’effondre], chantait West à ses débuts.

Écrit par : Laurent-David Samama

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