Neutralité ou laïcité, telle est la question…

Quels sont selon vous les facteurs déterminants qui font qu’aujourd’hui, la neutralité belge est tellement mise à mal ?

Nadia Geerts : En Belgique, le monde laïque n’a jamais eu de difficulté à mettre un terme aux revendications cléricales quand elles venaient de ce qu’on percevait comme « notre » religion, ce cléricalisme « du cru », auquel il fallait s’opposer parce qu’on savait ce qu’il avait pu produire en matière de guerres de religion, de conflits et de déchirements sociaux. L’attitude souveraine du camp progressiste, fruit de l’alliance entre libéraux et socialistes pour lutter contre l’hégémonie catholique, n’a commencé à se fissurer qu’à l’arrivée dans notre pays d’un culte perçu comme « venu de l’extérieur ». C’est là que s’est produite une fragmentation entre ceux qui se disaient (comme le formule Caroline Fourest) prioritairement antifascistes et ceux qui étaient prioritairement anticolonialistes, reléguant au second plan la lutte commune sous une bannière universaliste. C’est pour moi la vraie question en trame de fond des débats à propos de la neutralité : peut-on appliquer les mêmes règles que celles qu’on a construites à travers l’histoire à un groupe social qui est par ailleurs victime de discriminations, de racisme et de préjugés ? L’État doit-il s’adapter dans une certaine mesure à une autre culture ? On ne s’est jamais posé la question en ces termes pour le catholicisme. Et si aujourd’hui, certains reprochent aux laïques une prétendue obsession islamophobe, c’est oublier que parmi les nombreux points d’articulation entre la religion et la loi civile, seule la question de la liberté religieuse liée au culte musulman continue d’empoisonner le débat public, alors que bien d’autres questions ont progressivement été réglées au cours de notre histoire (IVG, euthanasie, mariage et adoption pour les couples homosexuels…).

Avec une réflexion sur la neutralité, en plus de ce qui est à l’œuvre dans le service public, comment concrètement repenser le cadre de l’enseignement belge ?

n.g. : La question du voile à l’école est apparue en Belgique dans les années 1990. 32 ans plus tard, le débat est toujours d’actualité, alors qu’en France, il s’est définitivement clos après 15 ans, grâce à un cadre légal clair. Le système de bricolage institutionnel belge est plus souple, grâce à un art du compromis et de la négociation qui nous évite des bains de sang, mais il a le défaut d’être incohérent. La réponse qui devrait être claire et unique varie selon les cas, les régions, les communautés, les réseaux d’enseignement… Le débat sur la neutralité/la laïcité est plus vaste que la seule question du voile, il renvoie entre autres à ce qu’on estime être la mission première de l’école. Pour moi, c’est l’émancipation. Demander aux élèves de ne porter aucun signe religieux à l’école, tout en leur faisant suivre des cours de religion, organisés par répartition des élèves selon leur croyance n’a aucun sens, et nuit à cette mission d’émancipation. La Belgique a d’ailleurs entamé une réflexion fructueuse à ce sujet, en remplaçant -dans l’enseignement officiel tout du moins- une des deux heures de cours de religion/morale par un cours commun de philosophie et citoyenneté.

Noémi Garfinkel

En bref

Le livre de Nadia Geerts présente l’inscription de la laïcité -ou de la neutralité complétée et renforcée par la notion d’impartialité- dans la constitution belge comme une mesure forte à prendre sans tarder. Au-delà du choix des mots, c’est surtout une question de contenu. Dans les faits, de plus en plus de jugements révèlent l’incompétence juridique de nombreuses instances dont l’autorité fait défaut pour encadrer un droit fondamental comme celui de la liberté de culte. À l’heure où presque chaque élection fait basculer le pays dans une crise politique et institutionnelle grave, le renforcement de la neutralité apparait presque comme la planche de salut de l’unité nationale.

Écrit par : Nicolas Zomersztajn
Rédacteur en chef
22 bis

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