René De Lathouwer, un combattant juif nous a quittés

Nicolas Zomersztajn
Mensch de l’année 2017, René De Lathouwer est décédé le 2 janvier 2024 à l’âge de 104 ans. Militant socialiste dans sa jeunesse, résistant armé durant la Seconde Guerre mondiale et membre fondateur du Centre communautaire laïc juif (CCLJ) et du Comité de coordination des organisations juives de Belgique (CCOJB) aux côtés de David Susskind, René De Lathouwer a mené de nombreux combats en faveur du peuple juif et d’Israël en les inscrivant toujours dans une perspective humaniste et universaliste.
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Isaac Zylberg est né à Paris le 23 septembre 1920 dans une famille ayant fui la Pologne. Ce n’est que 23 ans plus tard qu’il prendra clandestinement le nom de René De Lathouwer dans le cadre de son engagement résistant.

La famille Zylberg s’installe à Bruxelles. Comme l’immense majorité des immigrés juifs polonais, les Zylberg élisent domicile près de la gare du Midi, dans les Marolles. Souhaitant donner une excellente éducation à leur fils, les Zylberg inscrivent Isaac dans l’école moyenne qui deviendra en 1948 l’Athénée Robert Catteau. En 1928, cette école est encore un bastion de la bonne bourgeoisie bruxelloise. Isaac Zylberg prend vite conscience du fossé social qui le sépare de ses condisciples. Pour ses études secondaires, il rejoint l’Athénée de Bruxelles, véritable pépinière de forces vives en mouvement. « Au cours de ces années, j’ai pris conscience que c’est en bouleversant la société existante que le monde verrait naître un autre homme, un bien-être mieux réparti, un monde plus fraternel dans lequel je verrais mon père se lever et se coucher », explique René de Lathouwer dans ses Mémoires.

Militant des Jeunes gardes socialistes

C’est ainsi qu’en 1935, il se présente spontanément au local des Jeunes gardes socialistes (JGS) à la Maison du peuple de Bruxelles. S’il choisit les Jeunes gardes, c’est surtout parce que leur chant en yiddish l’a bercé durant son enfance. Il y rencontre de nombreux jeunes Juifs qui ne renient en rien leur identité juive « Nous nous y sentons sans complexe. Nous partageons une communauté d’opinion politique. Dans ce milieu, on combat l’antisémitisme avec conviction, vigueur et raison », confirme René De Lathouwer. Son militantisme aux JGS ne l’empêche pas de fréquenter alternativement deux mouvements de jeunesse sionistes socialistes : le Dror et l’Hashomer Hatzaïr où il découvre une chaleur sans pareille et une cordialité juive qu’il apprécie.

Très vite, Isaac Zylberg devient le chef de la section de Saint-Gilles des JGS. C’est alors qu’il œuvre à la création d’une structure de lutte contre l’antisémitisme : l’Union des jeunes militants contre l’antisémitisme (UJMCA). Bien qu’il entame des études de chimie à l’Université libre de Bruxelles (ULB), Isaac poursuit activement ses activités militantes au sein des JGS. Il trouve aussi le temps de suivre une formation en mécanique dentaire qui lui sera très utile quelques années plus tard. En cette fin des années 1930, Isaac a intégré l’exécutif des JGS. Témoin du départ de nombreux militants vers les Jeunesses communistes, il fait partie d’une délégation chargée de négocier une unification des deux mouvements de jeunesse en une seule organisation : les Jeunes gardes socialistes unifiées (JGSU). Une fois créées en décembre 1936, les JGSU lutteront au sein du Parti ouvrier belge (POB) contre les tendances droitières de ce parti. Suite à cette unification, les JGSU sont exclues du POB.

L’expérience au sein des jeunesses socialistes va conduire Isaac Zylberg à faire face à l’occupant allemand dès 1940. Avec des camarades des JGSU, il participe à la création du Front d’entraide révolutionnaire. Dans les années qui suivent, Isaac rencontre aussi l’amour de sa vie : Nicole Louba Dyckstein. Elle accompagnera Isaac dans la Résistance. « Il est inconcevable qu’elle ne puisse pas participer à ce grand combat », insiste René De Lathouwer. « Il fallait que dans cette lutte et dans la vie, nous ayons une vision identique, à défaut de quoi, notre union s’avère impossible ». Bien que l’étau se resserre sur les Juifs de Belgique, le couple se marie en mai 1942. Pour survivre, Isaac ouvre un cabinet de dentiste où il exploite ses connaissances en matière de mécanique dentaire. Mais très vite, les jeunes entrent dans la clandestinité, dans la mesure où ils refusent de porter l’étoile et de répondre aux convocations pour Malines envoyées par l’AJB. C’est à partir de ce moment-là qu’Isaac Zylberg devient René De Lathouwer et que Nicole Dyckstein prend le nom de Juliette De Lathouwer. Ils fuient Bruxelles pour trouver refuge à Eghezée dans la province de Namur. A nouveau, sa formation de mécanique dentaire lui sera d’un grand secours. René convainc un médecin local de créer ensemble un cabinet dentaire.

Résistant au Front de l’Indépendance

En 1943, René De Lathouwer forme avec quelques camarades un réseau de résistants dont les premières activités consistent à fabriquer des faux papiers pour que des jeunes échappent au travail obligatoire imposé par les Allemands. Par la suite, le réseau se charge de stocker des armes et de recueillir un maximum d’informations concernant la région d’Eghezée. Son réseau sera finalement incorporé aux Milices patriotiques de Namur, affiliées au Front de l’Indépendance. René De Lathouwer participera alors à des actions de sabotage et plus tard, il prendra les armes contre les Allemands. René est nommé en mars 1945 commandant adjoint des Milices patriotiques et deuxième délégué au Conseil national du Front de l’Indépendance. Après la guerre, René et Juliette seront décorés chevaliers de l’Ordre de Léopold pour « services rendus au pays durant la guerre 1940-1945 ».

En novembre 1945, Juliette et René De Lathouwer regagnent Bruxelles avec leur petite famille. Un premier fils, Claude, est né en 1943 et un deuxième, Roger, voit le jour en 1944. Ils auront un troisième fils, Henri, en 1946. « Claude et Roger sont les enfants du défi. Avec Henri, ils sont ceux de la revanche. Ils forment dans notre vision la plus belle récolte de fruits », affirme René. « Nous n’accepterons pas qu’ils puissent devenir des cibles vivantes de par leur qualité, de par leur nom. Nous avons appris à nous battre, Juliette et moi. Nous nous promettons de poursuivre ce combat et de ne jamais le suspendre ». René De Lathouwer reprend ses activités en ouvrant un cabinet dentaire. « Dans le schéma que nous nous sommes fixé, il nous faudra engager et gagner bien des batailles comme Juifs et comme individus pour atteindre nos objectifs », fait-il remarquer. La première bataille qu’ils vont devoir mener concerne leur nom « De Lathouwer » qu’ils souhaitent conserver. « S’appeler De Lathouwer peut aussi signifier vouloir garder sa judéité », estime René. « Cette identité juive, nous la pressentons laïque, attachée aux sources et à des valeurs traditionnelles exemptes de spécificités religieuses ». Il faudra attendre 1953 pour que la procédure aboutisse.

En raison de son rôle et de ses fonctions dans la Résistance, René est nommé « liquidateur » (c’est-à-dire chargé d’établir les faits d’armes d’un réseau de résistants) du Comité de défense juif (CDJ), l’organisation juive de la résistance belge affiliée au Front de l’Indépendance et créée par le militant communiste juif Herz Jospa. A travers ses fonctions au sein du Front de l’Indépendance, René est envoyé en 1949 par le journal Front (organe de ce mouvement) comme observateur en Israël. Sur place, il est impressionné par ce qu’il découvre, notamment l’enthousiasme des Israéliens en dépit des difficultés que connaît le pays. Ce séjour de quelques mois le marque à jamais : « Israël demeure ma préoccupation permanente et il nous a fait changer de visage et de comportement, ce pays a conforté notre courage et notre fierté ».

Lutte anticoloniale et militantisme juif laïque

En ce début des années 1950, Juliette et René De Lathouwer ont déjà trois cabinets dentaires et ils vont même introduire des innovations importantes en matière de remboursements de soins de santé. Avec son projet de « carte dentaire » qu’il soumet aux mutualités, le concept du tiers-payant est introduit. C’est aussi durant cette période que René s’investira pleinement dans la Centrale wallonne des auberges de jeunesse (CWAJ). « J’y ai découvert un monde fraternel et chaleureux », se rappelle René. « Une véritable symbiose idéologique s’est établie entre nous ». Il rejoint l’équipe dirigeante et devient rédacteur en chef de l’organe de cette centrale. Mais quelques années plus tard, en raison de propos antisémites virulents tenus par un représentant du Parti communiste au sein de la CWAJ et de l’absence de sanction à son encontre, René est amené à prendre ses distances et à s’engager au sein du monde juif.

Il rejoint les organisations juives de gauche et fait partie en 1959 de l’équipe de militants qui fondent le CCLJ. L’élan progressiste et universaliste qui anime René ne le quitte pas pour autant. « Son désir de justice, de défense des droits de l’Homme ne se limita jamais au seul peuple juif ou à la Belgique », relève son fils Roger. « Ses prises de position anticoloniales et ses articles contre la guerre d’Algérie et l’usage de la torture faisaient partie de cet idéal. Un jour, nous avons trouvé dans le courrier une lettre de Ferhat Abbas qui, au nom du FLN et du peuple algérien, remerciait mon père pour ses prises de position courageuses ».

Lorsqu’il rejoint le CCLJ, René fait le choix d’un engagement juif plaçant Israël comme pôle dominant, tout en gardant une orientation de gauche et laïque. Il s’impliquera surtout dans Regards, dont il sera un des rédacteurs les plus prolifiques pendant de nombreuses années. Au sein du CCLJ, René De Lathouwer ne ressent plus aucune divergence entre ses convictions profondes et cette manière originale de concevoir l’identité juive. « Le CCLJ, depuis sa fondation, a été sa principale préoccupation, son principal sujet d’enthousiasme, son deuxième domicile », glisse son fils Roger. Ayant rompu avec les attaches idéologiques de sa jeunesse, il se sent en pays de connaissance aux côtés de ces Juifs laïques et de gauche attachés à Israël. Il rejoint aussi la Fédération sioniste.

« Israël vivra »

Aux côtés de David Susskind, René De Lathouwer déploiera une énergie débordante pour organiser la solidarité envers Israël lors de la guerre des Six Jours (1967). « Je me rappelle l’énergie qu’il a déployée lors de la guerre des Six Jours en éditant le petit journal de combat Israël vivra” », déclarait David Susskind à l’occasion du 80e anniversaire de René De Lathouwer. « Il n’a jamais dit, et nous n’avons jamais proclamé “Israël vaincra”. Nous avons dit “Israël vivra” et Israël vit. Grâce à la générosité qui anime des personnalités comme René, Israël vivra dans la paix et le peuple juif dans le bonheur ». René De Lathouwer ne manquera jamais à l’appel de David Susskind quand celui-ci a besoin de lui.

Dans le sillage de juin 1967 se crée le Centre d’information et de documentation (CID). Conçu et dirigé par René De Lathouwer avec une équipe dynamique de militants du CCLJ, ce centre a pour mission d’informer les médias sur les différentes facettes d’Israël. Dans le cadre du CID, René conduit plusieurs groupes de personnalités belges de premier plan en Israël. Il participe au très important voyage en Israël en 1969 organisé par le CCLJ et le Comité belge pour une paix négociée entre Israël et les pays arabes dont il est un membre particulièrement actif aux côtés de Simone Susskind et Mony Elkaïm. La délégation belge rencontre des ministres du gouvernement israélien, dont Abba Eban, des dirigeants politiques et syndicaux israéliens, des personnalités arabes israéliennes, mais aussi des dirigeants palestiniens. La délégation belge compte des personnalités belges de premier plan : Roger Lallemand, le Père Passeleq, le sénateur communiste Jean Terfve, Georges Aronstein, Lucie de Brouckère, Paul Danblon, le bâtonnier Basile Risopoulos, Monseigneur Dejardin… Au retour de cette mission, René rédige le rapport La paix difficile – Israël à la recherche d’un dialogue, édité par le CCLJ. Ce premier voyage sera suivi d’autres, dont une rencontre en compagnie de David Susskind avec le dirigeant palestinien Faysal Husseini à la Maison d’Orient à Jérusalem-Est où est évoquée une possibilité de reconnaissance mutuelle d’Israël et de l’OLP.

De tous les combats du judaïsme belge

Lorsque David Susskind fonde le Comité de coordination des organisations juives de Belgique (CCOJB) en 1971, René De Lathouwer rejoint cette organisation représentative qu’il appelait de tous ses vœux. « Un organisme représentatif non religieux voit enfin le jour en Belgique », s’enthousiasme-t-il. « Aujourd’hui, le CCOJB a une indiscutable représentativité et ses rencontres avec les hommes politiques sont devenus courantes. Sans l’acharnement de David Susskind, le CCOJB n’aurait jamais eu cette autorité ». René sera de tous les combats du CCOJB, de la bataille en faveur des Juifs d’URSS à la lutte contre l’antisémitisme, en passant par la transmission de la mémoire de la Shoah et la défense d’Israël.

En nous souvenant aujourd’hui de René De Lathouwer, il s’agit surtout de relier cet homme-mémoire aux jeunes générations qui ne l’ont pas connu et de leur montrer qu’après avoir traversé la tourmente, des Juifs comme René n’ont pas abandonné la volonté de bâtir une société plus juste et plus solidaire. Son parcours d’engagements et de combats doit aussi leur permettre de saisir la signification du terme « Mensch ».

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Daniel Grau
Daniel Grau
3 mois il y a

J’adresse mes sincères condoléances à la famille de René que j’ai eu l’occasion de connaître à l’Organisation Sioniste de Belgique.

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