Richard Werly : « La ligne de démarcation se trouve à la jonction de mon histoire… »

Correspondant à Paris du quotidien suisse Le Temps, Richard Werly publie La France contre elle-même (éd. Grasset), essai dans lequel il sonde et explore la ligne de démarcation de 1940 et ses fractures qui demeurent.

Le point de départ de votre livre, c’est à la fois un constat journalistique mais également votre propre enfance Racontez-nous…

RICHARD WERLY Il faut toujours un point de départ pour partir dans ce genre de voyage, à la fois historique et d’actualité. Le mien est double. La ligne de démarcation se trouve de deux façons à la jonction de mon histoire. Sur le plan professionnel, elle intéressait le journaliste franco-helvète que je suis car elle se terminait à proximité de la Suisse, dans le pays de Gex, prés de Genève. J’avais donc un point d’accroche pour raconter la France à partir de la Suisse. S’y ajoute ce lien personnel que j’évoque également dans l’ouvrage. J’ai grandi, avec ma mère, dans une commune du sud de la Nièvre située au pied de la rivière Allier qui constituait, à cet endroit, la ligne de démarcation. Dans les années 70-80, rencontrer des survivants qui avaient connu cette époque était fréquent. La ligne, ces passeurs, ces résistants, ces collabos, mais aussi le récit de fugitifs juifs recueillis dans les fermes pour franchir cette démarcation au péril de leur vie, faisaient partie des conversations. Il était dès lors tentant, pour moi, de me replonger dans ce passé d’une autre France. Une France qui avait été « contre elle-même ». 

Le 25 juin 1940, la France se retrouve coupée en deux. Le déferlement de la Wehrmacht pousse le gouvernement français à l’armistice. La France entame alors son « heure allemande ». Quelles analogies pourraient exister entre le contexte de 1940 et celui de 2022 ?

R.W. Comparer ces deux périodes : celle du séisme de la guerre en 1940 avec celle des fractures de 2022 n’a, a priori, aucun sens. Je l’admets dès le début de l’ouvrage. Rien ne peut être comparé aux bouleversements qu’entrainent un conflit, avec ses déportations de masse, ses destructions, ses vies broyées comme on le voit depuis le 24 février en Ukraine, attaquée par l’armée russe. Un point de rapprochement existe en revanche et c’est celui qui m’a interpellé : la campagne présidentielle de 2022 a montré combien, je crois, l’angoisse d’une disparition de la France flotte au-dessus du pays et des français. Il y a une crainte de voir le pays disparaitre, perdre son identité. Or cette disparition, si elle avait dû survenir dans l’histoire récente, aurait dû avoir lieu en 1940. Le pays était alors à terre, envahi par une armée porteuse d’une idéologie de mort et de destruction. Mais la France a survécu. Mieux : elle n’a jamais disparu. Le but de ce livre est aussi de répondre à cette simple question : pourquoi la France est restée la France ? Quelle force – avec son degré d’accommodements et de collaboration hideuse – lui a permis de rester debout dans une telle tourmente ?

En bref
 Richard Werly a bourlingué dans le monde entier. Mais c’est peut-être l’âme française qu’il sonde avec le plus de précision depuis 2014. Dans son nouveau livre, le journaliste convie le lecteur à un road trip. Pour enquêter il est parti le long de la ligne de démarcation de 1940, sur les traces de cette balafre qui traversait à l’époque un pays périphérique, éloigné de Paris. Colonne vertébrale de la France de Vichy, la « ligne » partait des contreforts de l’Ain et du Jura. Elle coupait le pays du Nord au Sud à travers la Saône et Loire, le Cher, suivant le cours des rivières et des routes, ou traversant champs et forêts alors hérissés de barbelés. Autant de lieux traversés par de nombreux Juifs bien résolus à sauver leur peau. Quatre-vingts ans plus tard, Werly traverse cette France rongée par des antagonismes, vidée de ses habitants, en quête d’un second souffle. Passionnant !

« Des forces qui combattent pour la France, la plus forte demeure le passé » écrivez-vous. Comment l’expliquer ? Pourquoi, à votre avis, la France qui savait jadis se projeter dans l’avenir avec entrain (le TGV, la fusée Ariane, le Minitel), n’y parvient plus ?

R.W. Je ne crois pas que les deux choses soient contradictoires. La seconde (l’avenir) est même conditionnée par la première (l’enracinement dans le passé). La phrase que vous citez, reprise de mon livre, est extraite d’un livre publié dans les années 50 par l’historien et journaliste suisse Herbert Lüthy. Observateur de la France de l’après-guerre, celui-ci réalise que ce pays n’est, au fond, pas demandeur de changements. Il aime le progrès technique. La France est un pays d’ingénieurs. Mais le pays, lui, ne veut pas changer. Ses paysages sont assez largement immuables. L’architecture de ses villages aussi. La France s’invente un avenir lorsqu’elle est sûre que celui-ci ne la bouleversera pas. Ce qui nous ramène aux difficultés d’aujourd’hui : se projeter dans l’avenir alors que le présent est rempli de fractures est presque impossible. 

Écrit par : Laurent-David Samama

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