Sacrée nana, nana consacrée, gouailleuse, capricieuse… quel tourbillon que cette femme-là ! Sandrine Kiberlain incarne à l’écran l’esprit rebelle de cette première star mondiale qui fut une femme libre et remarquable.
« Sarah Bernhardt fait partie de ces personnes vampires, capables de vous aspirer par leur présence, leurs exigences et leurs contradictions, leur générosité et leur démesure. C’est une femme qui est dans le trop : trop aimante, trop violente, trop injuste, trop éprise de justice, trop révoltée. » Voilà ce qui a inspiré le réalisateur Guillaume Nicloux, attiré par les figures à contre-courant. Il s’est bien servi.
Avec la scénariste Nathalie Leuthreau, ils se sont affranchis du biopic et ont jonglé avec les anachronismes pour s’attarder sur deux épisodes de la vie de l’artiste. Au cœur de ce projet : restituer la personnalité, la folle vie et les émancipations de cette figure artistique, à savoir ses engagements politiques, ses amours libres, sa bisexualité, sa monoparentalité assumée (Maurice est le fils naturel qu’elle a eu avec le prince belge Henri-Maximilien-Joseph de Ligne), son interprétation de rôles masculins, ses contradictions revendiquées, la direction de son théâtre parisien avec un regard interventionniste sur les décors, les costumes, les textes des dramaturges et la mise en scène.
C’était aussi une femme d’affaires et d’argent, une « influenceuse » avant l’heure qui a construit sa propre légende, prêtant son image aux marques ou rédigeant ses mémoires. Sa cour et son carnet d’adresses people foisonnent de grands noms. En représentation permanente, elle ne savait plus départager le vrai du faux dans sa propre vie. Elle aura aussi écrit des pièces, des essais et des romans, aura dessiné, sculpté et peint. Il ne fallait pas souffrir de modestie, non plus, pour s’autoproclamer « La Divine ».
Née en 1844, l’immense tragédienne, dotée d’une voix envoûtante et d’un magnétisme rare, aura inventé un jeu théâtral qui bouleversait le public au point que s’évanouissent femmes et hommes dans la salle. Lucien Guitry fut son alter ego masculin et partenaire sur les planches. Une liaison sulfureuse, possible ou fictive, leur est prêtée à l’écran. Le ténébreux Laurent Lafitte revêt ici ce rôle.
La devise de Sarah Bernhardt est « quand même ! » pour « quand même, je vais le faire », autant de défis lancés avant de soulever des montagnes et de s’opposer à l’ordre établi. Pionnière en bien des choses, elle aura banni le corset avant l’injonction des couturiers ou usé de la chirurgie esthétique. Elle s’est aussi engagée dans de longues tournées, aux États-Unis, en Australie et en Amérique du Sud où certains théâtres porteraient toujours son nom. Fascinante, excentrique, elle aura réussi à imposer tout ce qu’elle aura voulu, dans un amalgame de génie et d’autoritarisme. Versatile, Sandrine Kiberlain, en costumes, est de tous les plans. La caméra de Yves Cape nous plonge dans les étoffes et les soieries d’intérieurs somptueux, elle caresse les salons bourgeois, les velours moirés et les tenues cossues qui tantôt amortissent l’hypocrisie de ces boudoirs, tantôt se voient décapés par les propos odieux et violents de la diva. En tous lieux, il est question de pouvoir et de séduction. Les coulisses de la vie de la prima donna sont aussi capiteuses que ses apparitions « on stage ».
Origines juives
Fille d’une courtisane juive hollandaise, Sarah Berhardt s’était convertie au christianisme. Si, de mystique, elle avait viré agnostique, c’est bien à l’église qu’ont été célébrées ses funérailles spectaculaires, suivies par des centaines de milliers de personnes dans les rues de Paris. On parle même d’un million, en 1923. Deux brèves séquences du film illustrent cet esprit rebelle assez proche des valeurs juives, mais aussi l’indécrottable antisémitisme latent, en France, en Russie comme aux États Unis. On la verra ainsi dénoncer l’injustice de l’Affaire Dreyfus – elle a notamment fréquenté Émile Zola – mais encore, exposée à un antisémitisme virulent, alors que chrétienne.
Sarah Bernhardt, La Divine
Sortie en salles le 26 mars 2025
L’historienne Chantal Meyer-Plantureux rapporte un épisode éclairant : « À l’époque où Sarah Bernhardt est allée à Kiev, il y avait eu trois pogroms successifs et 60.000 morts. Elle s’est quasiment fait lapider et a d’ailleurs reçu une pierre sur la tête. Il lui avait été recommandé d’annuler. Elle a refusé de s’incliner et a joué, sous la protection des autorités. Elle a été courageuse et s’est exprimée à ce sujet. Dès qu’elle a été taxée de sale Juive, Sarah Bernhardt est entrée en résistance. » Voilà la Femme !
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