Regards n°1094

Susan Meiselas, photojournaliste engagée

Face au voyeurisme souvent associé à la photographie de guerre, l’oeuvre de Susan Meiselas montre le rôle que peut jouer le photojournalisme dans la lutte de minorités opprimées, tel le peuple kurde.

Au musée de la Photographie d’Anvers (FOMU), l’exposition Mediations présente une rétrospective de l’œuvre de Susan Meiselas, photographe de la coopérative Magnum qui, depuis près de 50 ans développe une approche collaborative du photojournalisme. Qu’elle photographie l’industrie du sexe, la guerre, les violations des droits de l’homme, cette photographe juive américaine associe étroitement les sujets à son œuvre.

Son premier projet à succès porte sur les spectacles itinérants de stripteaseuses aux États-Unis et évite de réduire la personne représentée au statut de victime, en donnant une grande place aux témoignages. Photographe de guerre, couvrant les conflits qui dévastent l’Amérique central au Salvador, Guatemala et Nicaragua, Meiselas manifeste d’emblée sa conscience des enjeux déontologiques du photojournalisme, souvent accusé d’anesthésier la sensibilité du spectateur en accumulant les images d’horreurs. Certaines de ses photographies de la révolution sandiniste au Nicaragua, massivement diffusées, sont vite devenues des icônes dont plus tard elle retrouve la trace et le contexte d’utilisation. En 1991, elle retourne au Nicaragua pour réaliser le film Pictures from a Revolution et part à la recherche des révolutionnaires qu’elle a photographié. En 2004, elle expose en grand format, sur les lieux où elle les a prises, ses photographies de la révolution de 1978-1979.

Documenter les massacres des Kurdes en Irak

Occupant une place importante dans l’exposition, son projet d’histoire visuelle du peuple kurde commence à l’occasion d’une recherche de preuves et de témoignages organisée par l’ONG Human Rights Watch, pour documenter la répression menée par Saddam Hussein contre les Kurdes d’Irak. Meiselas se rend en Irak en 1991 pour documenter les charniers : faire appel à la photographie, et en particulier aux portraits des disparus, permet de leur redonner un nom et un visage. Le livre qu’elle publie à la suite de ses recherches, Kurdistan. In the Shadow of History (1997) donne un lieu de mémoire aux victimes et devient un véritable mémorial. Dans son travail de longue durée sur le Kurdistan, elle parcourt l’Irak, la Turquie, l’Iran, mais aussi l’Europe et les États-Unis à la recherche de documents photographiques et de témoignages sur l’identité et l’histoire kurdes. Ce projet, caractéristique d’un renouveau de l’approche photo documentaire, ne se limite pas à la prise de vues documentaires mais implique aussi la collecte de documents préexistants : photographies d’albums de famille, de magazines, de publicités, ainsi que lettres, articles de journaux et témoignages. Donnant une part de plus en plus importante à l’échange avec les participants à son projet, elle s’intéresse en particulier aux photographies d’identité et des fiches de police, ainsi qu’aux clichés des premiers ethnographes, montrant que l’identité kurde, fragmentée, insaisissable sur les cartes officielles, se transmet par ces photographies qui cartographient un pays rêvé, le Kurdistan, et au-delà de la détresse de l’exil nourrissent au sein de la diaspora kurde l’espoir de reconstruire une communauté disloquée par les convulsions de l’histoire et dont l’identité ne cesse d’être niée par le pouvoir et la culture dominante, en Iran comme en Turquie.

Meiselas utilise ainsi le document photographique comme support matériel à des témoignages et ouvre la voie à une reconstruction de l’histoire à partir de trajectoires individuelles de Kurdes qui souvent vivent en exil. Les témoignages recueillis par la photographe dépassent largement le simple récit historique des événements : beaucoup portent aussi sur la pratique et les usages de la photographie par

les Kurdes eux-mêmes, mettant en avant le rôle des photographes et des studios photos locaux. Son livre joue un rôle tout aussi puissant et actif que les images qu’il contient, au point d’être interdit dès sa parution en Turquie. Cet énorme travail d’histoire visuelle, très émouvant sensibilise le visiteur au sort d’une peuple irréductible, discriminé et diabolisé par ses oppresseurs qui s’acharnent à nier son identité.

Exposition
Susan Meiselas – Mediations
jusqu’au 4 juin 2023
FOMU
Waalsekaai 47, 2000 Anvers
mardi – dimanche 10-18h

Écrit par : Roland Baumann

Esc pour fermer

1117 Sommes-nous pleinement du bon côté de l'histoire illu
Sommes-nous pleinement du bon côté de l’histoire ?
Au nom de la Palestine, certains progressistes ferment les yeux sur des dérives alarmantes. Derrière la solidarité se cachent parfois(...)
Fouad Benyekhlef
Société
1117 L’historien et le crime de génocide illu
L’historien et le crime de génocide
Alors que le Président français Emmanuel Macron confie aux historiens le soin de qualifier les crimes commis à Gaza, c’est(...)
Iannis Roder
Mémoire, Société
1117 L’histoire jugera-t-elle qui est du bon côté illu
L’histoire jugera-t-elle qui est du bon côté ?
Depuis le début de la guerre à Gaza, les formules « être du bon côté de l’Histoire » ou «(...)
Nicolas Zomersztajn
Société
Visuel SITE UTICK 2025-2026 (1)
Jean Zay, l’homme complet
Une pièce qui nous plonge dans l’histoire à travers le Journal de captivité de Jean Zay.
Non classé
bloc note
La stratégie du fou
Bloc-notes d’Élie Barnavi
Elie Barnavi
Israël
israel analyse
Israël-Iran : la guerre des espions
L’infiltration totale du Mossad en Iran, révélée pendant la guerre des Douze jours, a stupéfié le monde entier. Les services(...)
Frédérique Schillo
Israël