« Free, free Palestine ! », a crié l’assassin de Yaron Lischinsky et Sarah Lynn Milgrim lors de son arrestation devant le Musée juif de Washington. « Je l’ai fait pour la Palestine, je l’ai fait pour Gaza », a-t-il ensuite déclaré aux policiers.
Cet acte criminel commis par un militant propalestinien américain constitue le comble du fanatisme haineux et de l’ignorance crasse. Il n’a pas tué deux propagandistes zélés du Grand Israël, mais deux fervents défenseurs du dialogue israélo-palestinien très actifs au sein de programmes de compréhension mutuelle réunissant Israéliens et Palestiniens. Il les a abattus alors qu’ils venaient d’assister à événement axé sur la résolution des crises humanitaires au Moyen-Orient, dans une optique de dialogue et de coopération intercommunautaire !
Une chose est certaine, l’auteur de cet acte antisémite s’est abondamment nourri de discours antisionistes obsessionnels déversés chaque jour et faisant d’Israël l’incarnation suprême du mal. C’est une question dont les médias et les faiseurs d’opinions doivent se poser lorsqu’ils évoquent ce double assassinat.
Tout cela n’efface pas l’effroi que nous inspire la guerre sans fin que mène le gouvernement israélien à Gaza. Être attaqué pour ce que l’on est ne doit pas devenir un prétexte pour cesser de réfléchir à ce que l’on fait. Nous devons continuer de voir le monde tel qu’il est, sans illusion, avec une conscience claire des obstacles et des injustices. Or, ce que nous voyons aujourd’hui nous effraye. L’offensive militaire à Gaza ne vise pas la libération des otages mais tue massivement des civils palestiniens. Les projets de réoccupation permanente de la bande de Gaza et d’expulsion de populations que le gouvernement israélien envisage ruinent toute perspective de solution sérieuse.
En menant cette politique, le gouvernement israélien s’éloigne dangereusement de l’exigence morale et de la vision d’un État d’Israël à la fois juif et démocratique, fondé sur les principes d’égalité, de justice, et de respect de la dignité humaine contenus dans la Déclaration d’Indépendance de 1948. La nécessité légitime de sécurité a fait place à une logique de guerre permanente et de déshumanisation de l’Autre. Le langage, les décisions et les politiques du gouvernement Netanyahou dessinent un horizon où la mise en œuvre de la solution des deux États devient irréalisable et la paix, indésirable.
En tant que Juifs profondément attachés à l’existence de l’État d’Israël, il nous est douloureux de constater que son avenir est remis en cause non seulement par ses ennemis irréductibles, mais aussi par son propre gouvernement. Il n’est évidemment pas question de son existence physique, mais de sa raison d’être en tant qu’État juif et démocratique. Car un État juif qui s’attaque à la démocratie perd son âme. Et un État démocratique qui nie les droits fondamentaux d’un autre peuple compromet sa propre légitimité.
Albert Camus écrivait « Un homme, ça s’empêche » pour rappeler que face à la violence ou à la tentation de commettre l’irréparable, la vraie dignité humaine consiste à s’imposer des limites, à s’opposer à ses propres pulsions destructrices. Ce mot célèbre pourrait être reformulée aussi en ces termes : un Juif digne de ce nom, ça s’empêche. C’est en tous cas ce que démontre Yaïr Golan, le chef de file de la gauche israélienne, lorsqu’il fait entendre une voix sioniste, démocratique et lucide. Une voix qui refuse cette guerre devenue aussi inutile qu’abjecte et réclame une autre politique fondée sur le droit, la justice et l’humanité. L’inquiétude de cet ancien chef d’état-major de Tsahal témoigne d’une fidélité sans faille à la conviction sioniste de Ben Gourion selon laquelle la légitimité d’Israël repose aussi sur sa capacité à défendre ses citoyens tout en respectant des normes éthiques universelles.
Ceux qui, comme nous, tiennent à Israël, doivent pouvoir le dire : nous continuerons à défendre Israël quand il est attaqué pour son existence même, mais nous continuerons aussi à nous élever contre les politiques qui trahissent ses idéaux fondateurs. Ce n’est pas une contradiction : c’est une fidélité exigeante et nécessaire.