06/12/2023
Regards n°1101

Le cri de liberté. Chagall politique

Comme le montre l’exposition à La Piscine de Roubaix, Marc Chagall était un artiste visionnaire, ancré dans l’histoire juive et témoin actif des grandes tribulations du XXe siècle.

Vitebsk, « son Shtetl», sera la grande source d’inspiration de toute son œuvre. Après ses études d’art à Saint-Pétersbourg, il découvre la poésie et la peinture d’avant-garde à Paris et expose à Berlin l’été 1914. La guerre le surprend à Vitebsk, où il épouse Bella Rosenfeld. Rallié à la révolution d’Octobre, il devient commissaire des beaux-arts à Vitebsk, crée les décors des fêtes pour le premier anniversaire de la révolution, fonde une école d’art et un musée. Il enseigne près de Moscou dans une colonie d’enfants juifs orphelins, victimes des pogroms de la guerre civile. Au Théâtre juif de Moscou, il conçoit les décors et les costumes d’adaptations théâtrales d’œuvres de Sholem Aleichem, peint une série de panneaux décorant une salle de ce haut-lieu de la renaissance culturelle yiddish que semble favoriser le pouvoir soviétique. Il illustre aussi des publications de l’avant-garde révolutionnaire yiddish, tel le recueil Deuil du poète David Hofstein.

Vite conscients de l’échec de ces espoirs révolutionnaires, les Chagall s’exilent en France. Ambroise Vollard commande à l’artiste des illustrations pour une édition des fables de La Fontaine, puis de la Bible. Chagall veut « voir et vivre sa Bible ». Invité par le maire de Tel-Aviv, il séjourne en Palestine en 1931, avec Bella et leur fille Ida. Il consacre dès lors une bonne partie de son œuvre à la Bible, évoquant les événements de son temps à travers des temps forts du récit antique. Fasciné par Kafka et les figures de prophètes bibliques, il est conscient de la montée des périls tandis que les nazis triomphent en Allemagne et que l’extrême droite antisémite se déchaîne en France comme en Belgique. Parmi les documents exposés à La Piscine, un article de la revue Les Beaux-Arts de Bruxelles évoque le tollé que suscite, en 1938, le projet d’achat par l’État belge du tableau Les fiancés, dénoncé par les critiques d’art Paul Colin et Lucien Solvay. Malgré la mobilisation de nombreux artistes, dont Magritte, ces antisémites, futurs « collabos », auront gain de cause. Conservée au musée de La Boverie à Liège, La maison bleue, évoquant Vitebsk et le monde du shtetl, est achetée à la vente « d’art dégénéré » organisée par les nazis à Lucerne en 1939. Lors de l’invasion allemande en mai 1940, les Chagall se réfugient à Gordes. L’artiste rapporte dans ses carnets l’antisémitisme qui s’empare de la France de Vichy. Réfugiés à New York grâce à l’aide de Varian Fry, de l’Emergency Rescue Committee, Marc et Bella s’y impliquent dans les activités de nombreuses organisations juives américaines. L’artiste crée de grandes crucifixions et des scènes de pogroms. Son Christ aux hanches couvertes d’un talith, est un Juif martyr…

Soutien à la création de l’État d’Israël

Rentré en France, Chagall y réalise des projets monumentaux autour du thème de la paix. Sa correspondance avec Ben Gourion témoigne de son soutien à la création de l’État d’Israël, tout comme les vitraux qu’il crée pour la synagogue de l’hôpital Hadassah de Jérusalem, puis les tapisseries et mosaïques de la Knesset. Il illustre le Journal d’Anne Frank, crée des vitraux pour le siège des Nations unies à New York. Son cycle du Message biblique, offert à l’État français, mène à la création du Musée national Marc Chagall à Nice (1973).

Le cri de liberté parcourt toute la carrière de l’artiste à travers une sélection de chefs-d’œuvre, et sera montré en 2024 à Madrid, puis à Nice. Face à la barbarie, Chagall « ne renonce jamais à l’espoir d’un monde meilleur, d’égalité, d’humanité, d’amour, de couleur, de musique et de poésie ». En parallèle de Chagall, La Piscine expose l’œuvre méconnue de Georges Arditi, le père de l’acteur Pierre Arditi, un artiste séfarade qui, en pleine occupation, peint de premiers chefs-d’œuvre, au réalisme inspiré de l’art du Quattrocento et de peintres français du XVIIe siècle. Une révélation !

Expositions 

Le cri de liberté. Chagall politique

Georges Arditi (1914-1912). D’un réel à l’autre

Jusqu’au 7 janvier 2024

La Piscine, 23 rue de l’Espérance, 59100 Roubaix

Mardi-jeudi 11-18h, vendredi 11-20h, samedi-dimanche 13-18h (fermé lundi)

www.roubaix-lapiscine.com

Écrit par : Roland Baumann

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