Les Tartufferies de l’annulation des missions économiques en Israël

Nicolas Zomersztajn
Fin du mois de janvier, les députés bruxellois ont à nouveau débattu d’une proposition de résolution d’annulation d’une mission en Israël quand bien même cette mission avait déjà été annulée en novembre 2019 ! Une focalisation disproportionnée qui illustre la tartufferie de certains députés prompts à se déchaîner sur Israël tout en célébrant et en encourageant des missions économiques en Chine.
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Fin novembre 2019, une mission économique de la région bruxelloise, programmée en Israël du 8 au 11 décembre 2019, avait été annulée par Pascal Smets, Secrétaire d’Etat à la Région de Bruxelles-Capitale chargé des Relations internationales et du Commerce extérieur, et ce même si cette mission économique avait été initiée par Hub.brussels, l’Agence bruxelloise pour l’accompagnement de l’entreprise. Suite à l’agitation que la programmation de cette mission avait suscitée auprès des députés PS, Ecolo et PTB, le ministre socialiste (flamand) Pascal Smets, qui revenait très fièrement d’une mission économique en Chine, avait préféré annuler la mission en Israël, quitte à porter préjudice aux entreprises inscrites dont les frais ne seront pas remboursés.

Cette annulation n’a pas empêché des députés bruxellois PTB de déposer plus d’un an après une résolution demandant à nouveau l’annulation de la mission économique bruxelloise prévue en Israël en décembre 2019 en Israël ainsi que la fermeture de la représentation commerciale bruxelloise à Tel-Aviv ! Comme la majorité des députés ont considéré que l’objet de cette résolution est caduc, elle a été rejetée en commission et en séance plénière le 29 janvier 2021. Les socialistes, les écologistes et les libéraux flamands se sont abstenus ; les libéraux francophones, Défi, le CDH et la N-VA ont voté contre et seuls les députés PTB et une députée indépendante défendant les droits des animaux ont voté pour.

Indignation sélective

Durant les débats, l’indignation très sélective du PTB envers les violations des droits de l’homme n’a échappé à personne. Ce parti marxiste s’acharne à condamner Israël à travers des résolutions caduques alors qu’il affiche un silence assourdissant sur les relations économiques que la région bruxelloise entretient avec des Etats ne respectant pas les droits de l’homme. « Je m’interroge sur la crédibilité que l’on peut accorder à la démarche d’un parti qui n’a jamais voté de texte, à aucun niveau de pouvoir, condamnant la Chine qui a mis plus de 1,5 million de musulmans ouïghours dans des camps », souligne Marco Loewenstein, député bruxellois Défi. Bien que le régime de Pékin pratique un capitalisme sauvage censé heurter la fibre sociale des députés PTB, ils ne dénoncent pourtant aucune des nombreuses violations des droits de l’homme commises par la Chine.

Même si cette proposition de résolution n’a pas été adoptée, elle a à nouveau offert une tribune à ceux qui ne cessent de se déchaîner contre Israël. Si le PTB a sans surprise repris tous les éléments de langage de l’antisionisme radical visant à délégitimer Israël, des députés écologistes n’étaient pas en reste pour dénoncer « la politique israélienne d’occupation et d’apartheid » et « rappeler que, depuis plus de 70 ans, le peuple palestinien souffre de colonisation ». Il fallait bien que leur abstention ne soit pas interprétée comme de la mollesse face à la radicalité du PTB. Loin d’améliorer la situation dans les zones ou les pays concernés, cet acharnement sur Israël, dans une assemblée régionale, permet à de nombreux députés bruxellois d’échapper à la technicité et à la fadeur des matières régionales, et de jouer les chevaliers blancs sans prendre le moindre risque. Cet acharnement incessant et exclusif a pour conséquence de renforcer un climat résolument hostile envers Israël. « Depuis que je siège au Parlement bruxellois, le discours est unilatéralement anti-israélien, souvent avec des comparaisons odieuses entre Israël et l’Afrique du Sud sous l’apartheid, quand ce n’est pas Gaza qui est assimilé à Auschwitz », explique Viviane Teitelbaum, députée bruxelloise (MR) depuis 2004. « C’est un sujet facile avec lequel des députés peuvent facilement exploiter leur clientélisme et leur communautarisme électoral. Sans la moindre nuance, ils ne cessent de diaboliser et de délégitimer Israël présenté comme le mal absolu, le Juif des nations, alors qu’en même temps ils osent prétendre lutter contre l’antisémitisme ! »

Emmanuel Nahshon, ambassadeur d’Israël en poste à Bruxelles observe ce débat avec une certaine distance. « C’est un faux problème car les entreprises bruxelloises qui souhaitent se rendre en Israël pour leurs affaires n’ont pas besoin des missions économiques régionales pour le faire », relativise-t-il. « En revanche, cela peut pénaliser de jeunes entrepreneurs bruxellois qui souhaitent partager le savoir-faire israélien en matière de hautes technologies mais qui ne peuvent bénéficier de certains avantages que procurent ces missions : billets d’avion et divers frais pris en charge par les autorités régionales. Je prends bien soin de ne pas dire « belges » car ce sont des problèmes que nous ne rencontrons pas côté flamand. C’est pourquoi dans mon programme économique, je privilégie la Flandre, précisément pour éviter tous les problèmes liés aux annulations de missions économiques ». Personne n’empêche les entreprises bruxelloises d’entretenir des relations commerciales avec des homologues israéliens. Mais c’est plus insidieux, on les en dissuade en créant une atmosphère délétère qui n’encourage guère un jeune entrepreneur à se tourner vers le marché israélien. « C’est insidieux car c’est une forme de boycott qui ne dit pas son nom. Mais évidemment, il existe heureusement de nombreuses entreprises bruxelloises et wallonnes ayant d’excellentes relations avec des partenaires économiques israéliens », observe Emmanuel Nahshon.

Depuis que le débat sur les missions économiques en Israël jalonne les sessions du Parlement bruxellois, certains députés prennent conscience qu’ils sont en train de jouer dans une très mauvaise pièce : ils font la leçon à Israël car cela s’inscrit bien dans leur agenda politicien mais ils se gardent bien de ne pas faire la leçon à la Chine ou d’autres Etats avec lesquels ils font tout pour que les relations commerciales se développent davantage. Une tartufferie qu’observent les organisations représentatives des entreprises depuis longtemps. « A ceux qui veulent supprimer telle ou telle mission économique, je demande toujours quel est le taux de chômage qu’ils sont prêts à supporter », réagit Olivier Willocx, administrateur-délégué de BECI (Brussels Enterprises Commerce & Industry), la fédération représentant plus de 35.000 entreprises bruxelloises. « Ils doivent alors me communiquer une liste très précise de pays avec lesquels ils souhaitent que les entreprises bruxelloises nouent des relations commerciales. Je ne pense pas qu’Israël fasse partie des premiers à être éliminés de la liste. Si je ferme la porte à Israël, que fais-je ensuite avec les pays du Maghreb, d’Afrique et du Moyen-Orient ? La question n’est pas de soutenir ou non Israël. Ma seule préoccupation est de soutenir l’économie bruxelloise ».

Ethique ou realpolitik des relations commerciales

D’où l’idée formulée par certains députés bruxellois d’entamer un débat général sur la politique commerciale extérieure de la Région bruxelloise. Ce qui les ramène à poser la question qui n’en finit pas de tirailler les démocraties occidentales depuis de nombreuses années : l’éthique doit-elle être prise en considération dans la politique commerciale d’un pays ? Deux lignes de conduite existent en la matière. D’une part, celle de la fermeture à tout pays qui ne pratiquerait pas exactement nos exigences éthiques, démocratiques et de respect des droits de l’homme. D’autre part, celle qui préconise une realpolitik visant à fermer les yeux sur le non-respect de ces exigences par le pays partenaire au nom de la croissance des entreprises bruxelloises et des marchés à prendre.

Comment trouver l’équilibre entre ces deux positions antagonistes, notamment avec des pays comme la Chine, l’Iran ou l’Arabie saoudite qui incarnent aujourd’hui dans leur politique et dans leurs fondements idéologiques le dilemme entre éthique et realpolitik. En réalité, la Belgique et ses entités fédérées oscillent sans nécessairement l’avouer entre ces deux positions. Parfois prompts à fermer les yeux sur les exigences démocratiques et éthiques de certains de ses pays partenaires, les députés belges et bruxellois s’indignent régulièrement du peu d’attention porté aux conditions éthiques des échanges avec d’autres pays. Et si une des pistes à suivre pour sortir de ce dilemme et cesser de s’acharner facilement sur Israël, au nom des droits de l’homme, quand on se tait sur la Chine ou les ventes d’armes à l’Arabie saoudite, était d’assumer cette contradiction en reconnaissant clairement que la Belgique et ses entités fédérées entretiennent des relations commerciales parfois honteuses avec des pays incontournables dans une économie mondialisée.

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