Mémoires coloniales à Mons

Roland Baumann
Depuis l'été 2020, la question des mémoires coloniales se trouve au centre des débats publics belges. Les polémiques qu'elle suscite ne semblent pas favoriser les dialogues autour d'une histoire trop longtemps méconnue ni forger l’essor d’une histoire partagée.
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Les 6 et 7 mai derniers au Mémorial de Mons, le colloque international Mémoires coloniales. Colonisation/ Décolonisation : des mémoires multiples et plurielles rassemblait universitaires et acteurs de terrain du milieu associatif, offrant un vaste panorama tant des recherches interdisciplinaires en cours et des archives coloniales disponibles aux chercheurs que des initiatives citoyennes multiples visant à la « décolonialisation » des esprits tout comme des espaces publics. Qu’il s’agisse des revendications relatives aux nombreux monuments coloniaux ou des questions touchant à la politique coloniale belge, les problématiques en cours mèneront-elles à l’essor d’une « histoire partagée » entre afrodescendants et « anciens coloniaux », ou favoriseront-elles les replis identitaires et la dissémination d’un discours édifiant tiré de classiques de la littérature anticoloniale ou afrocentriste (Fanon, Césaire, Cheikh Anta Diop, etc.) ? Esquissant une vision globale des rapports de l’Etat belge à ses grands moments commémoratifs depuis la Révolution de 1830, jusqu’à la Première Guerre mondiale, qui marque à la fois l’apogée du nationalisme belge glorifiant l’héroïque résistance de la nation autour de son « Roi Chevalier », mais aussi l’émergence d’un nationalisme concurrent forgé dans les tranchées de l’Yser, l’historienne Chantal Kesteloot du CegeSoma a mis en exergue la faiblesse de l’Etat à établir un grand récit national, tendance qui se renforce encore après la Deuxième Guerre mondiale. « Dans quelle mesure les débats relatifs (essentiellement) à l’histoire de la Seconde Guerre mondiale peuvent-ils être considérés comme annonciateurs des débats liés à l’héritage colonial ? », s’interroge-t-elle. « En d’autres termes, détecte-t-on des mécanismes similaires et qu’en est-il des dissonances ? La Belgique est aujourd’hui malade de sa colonisation comme elle l’était après 1945 de sa collaboration et de l’attitude des autorités belges dans la déportation des Juifs de Belgique ». Une telle approche comparative est indispensable à notre compréhension des mécanismes de la mémoire coloniale européenne. On sait que l’entreprise coloniale européenne joue un rôle décisif dans la genèse de l’antisémitisme biologique. C’est en Afrique, dans la colonie allemande en Namibie qu’est commis le premier génocide !

« Léopold II pire qu’Hitler » !

Ouvert au monde associatif et aux discours radicaux de certains militants « racisés », un tel colloque ne doit pas pour autant légitimer l’approche de certaines associations à l’agenda politique suspect et qui s’inscrivent dans l’héritage d’un anticolonialisme marxiste-léniniste mal déguisé, faisant volontairement l’impasse sur le travail historique pour privilégier la dénonciation virulente d’un racisme « systémique » belge qui serait l’héritier direct de l’entreprise coloniale de Léopold II, roi des Belges « génocidaire », si pas « pire qu’Adolf Hitler ». Le discours de circonstance de certains universitaires multipliant les références aux concepts à la mode censés dénoncer le racisme systémique (intersectionnalité, allié.e., etc.) peut renforcer les dérives de cet antiracisme décolonial ou tenter de discréditer les travaux d’historiens réputés de l’historiographie coloniale (Jean Stengers, Benoît Verhaegen, etc.), mettant en doute « la position » à partir de laquelle ces auteurs ont effectué leurs travaux et les faisant passer pour des voix du colonialisme belge. Curieusement, le génocide tutsi était absent des interventions et des débats de ce colloque animé, organisé en préparation d’une exposition sur les mémoires coloniales qui se tiendra en mai 2022 au Musée Mémorial de Mons. La publication et la mise en ligne en septembre prochain par les Archives Générales du Royaume d’un imposant guide des archives coloniales belges sur l’Afrique centrale faciliteront enfin les travaux des chercheurs, historiens ou amateurs, à la recherche de « leur histoire ». Une histoire qui ne se réduit pas à celle des « indigènes » et des « coloniaux belges », mais concerne aussi d’autres groupes sociaux, tels les Portugais et les Juifs du Congo…

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