L’État n’est pas raciste, des citoyens le sont

Joel Kotek
Comment ne pas se réjouir de l’initiative de Rachid Madrane, Président du Parlemnt bruxellois d’organiser des Assises de lutte contre le racisme. Ne lésinons pas sur notre plaisir. On ne combattra jamais assez les discriminations sous toutes ses formes. Tout serait-il au mieux dans le meilleur des mondes ? Hélas non.
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Que faut-il, en effet, retenir de ces deux premières journées sinon le choix idéologique de réduire le périmètre du racisme à la seule question des discriminations (à l’emploi, au logement…). En cause, le parti-pris doctrinal de ne considérer comme réellement racistes que les blocages et biais d’ordre systémique, structurel ou encore institutionnel, bref… étatique. Bel artifice qui permettra d’effacer, d’oublier, de nier le racisme individué, culturel ou de groupe, de faire l’impasse sur les actes et discours de haine et, au contraire, de mettre sur le devant de la scène la question du port du voile dans l’administration publique. Si l’on peut légitimement regretter ce présupposé idéologique, il n’est pas pour nous étonner si l’on songe aux organisations sollicitées pour piloter les débats. Donner les commandes à NAPAR, une coalition composée entre autres de BePax, de Bruxelles Panthères (l’équivalent belge du Parti des Indigènes de la République), du MRAX, du Collectif Contre l’Islamophobie en Belgique n’est pas sans conséquence. Tout acquise aux concepts de blanchité, de racisation, de 
colonialité, cette nébuleuse s’évertue à convaincre nos politiques d’abandonner le « vieil » antiracisme universaliste qualifié bien à tort de moral et d’inefficace ! Au cœur de son discours figure le concept de Blanchité ; le « mâle blanc occidental » étant assigné par définition au statut d’oppresseur. L’assignation est bien raciale, puisque tout blanc -fût-il progressiste ou déblanchi- peut se retrouver interdit de participation à tel ou tel forum de discussion, et ce de par le seul critère de la seule couleur de peau. On est loin du concept de race sociale. C’est bien un critère phénotypique, pseudo « racial » qui plus est, qui détermine ainsi votre assignation dans la société. Et en quoi cette dichotomie radicale, qui réintroduit le concept de race que l’on croyait remisé dans les poubelles de l’histoire depuis le nazisme, concernerait les fils d’immigrés italiens, espagnols ou juifs. Seraient-ils blancs ? Et un Maghrébin, blanc social et politique au sein du continent africain ?

« Privilèges blancs »

L’agenda sera donc à l’antiracisme politico-racial, focalisé sur la dénonciation d’un « racisme d’Etat » et de « privilèges blancs » attachés à la couleur de peau de leurs bénéficiaires. Pour preuve, le titre même de l’intervention de ses deux représentantes, Maguy Ikulu et Amina Odofin : « L’implication de la société civile dans la lutte contre le racisme structurel et les discriminations intersectionnelles : l’importance d’une définition du racisme structurel dans la lutte ». Tout un programme dans le plus pur jargon made in the USA. A les entendre, le racisme trouverait ses racines dans la colonisation. Certes, mais alors comment appréhender la Shoah, le génocide des Arméniens et des Tutsi ? N’auraient-ils pas été victimes du racisme, ici, malgré leur supposée couleur (blanche ?) et, là, de celles de leurs bourreaux (colorés) ? Le seul et véritable racisme, structurel et systémique, ne saurait être que « blanc ». Pas question dès lors de suspecter un « racisé » d’être réellement raciste, comme le précise péremptoirement la brochure de référence de ce nouvel antiracisme décolonial, éditée en décembre 2019 par BePAX, l’organisation phare de NAPAR : « Il est évident qu’une personne blanche peut être l’objet (d’insultes). L’enjeu n’est pas de dire que cela ne peut pas arriver, ni même que cela ne peut pas être blessant. Mais il ne s’agit pas de racisme (…) Les possibles réactions anti-blanches sont des phénomènes strictement individuels, d’une faible ampleur, sans résonance dans une histoire violente et déshumanisante, et sans impacts structurels sur le vécu des personnes blanches.*» On ne peut que regretter que les associations antiracistes universalistes qui récusent l’option racialiste de NAPAR, n’aient pas été invitées à participer au comité de pilotage. Ainsi, pendant les trois mois de travaux, l’heure sera au racisme d’Etat, et non individué, aux discriminations d’ordre ethnique, genré et « religieux ». Gageons que dans ces conditions, les travaux ne s’intéresseront guère à la laïcité et à la question de l’antisémitisme. Les Juifs restent pourtant, en Belgique, qu’on le veuille ou non, les premières cibles du racisme violent, complotiste et haineux. Pour preuve, dans notre belle capitale plurielle, seules les institutions juives (ses écoles, ses crèches, son musée, son home de vieillards, ses lieux de culte) sont l’objet d’une surveillance militaire et policière constante. Il y eut jusqu’à l’UPJB, pourtant pro-palestinienne, à solliciter la Fondation du Judaïsme belge pour la sécurisation de ses locaux. C’est dire l’ampleur des menaces qui pèsent sur les Juifs bruxellois. L’occultation de l’antisémitisme n’est pas fortuite, elle est même stratégique, si l’on songe que les premiers vecteurs de la haine anti-juive ne sont pas forcément « belgo-belges » pour reprendre une expression entendue lors des débats d’ouverture. On le sait depuis une récente étude menée en Région bruxelloise, les croyants musulmans ont une prévalence triple à l’antisémitisme, à l’homophobie et à la misogynie par rapport aux laïques. Assurément un bel exemple d’intersectionnalité par l’absurde. Le geste meurtrier d’un Mehdi Nemmouche (l’auteur de la tuerie du Musée juif de Belgique) ne sera donc pas analysé pour être hors champ du cadre conceptuel proposé, imposé. Pas plus que les appels au meurtre des Juifs une fois encore proférés lors de la manifestation pro-Hamas du 15 mai dernier. Quand donc UNIA se décidera-t-elle à entendre ces discours de haine ? On comprend mieux dès lors la décision du CCOJB de 
renoncer, bien malgré lui, à des débats autrement salvateurs.

Plafonds de verre pulvérisés

Qu’il faille prioriser la lutte contre les discriminations est une évidence. De là, à faire le procès de la Belgique et de tous les « Belgo-belges blancs » en tant que tels, il n’y a qu’un pas qu’il ne faudrait surtout pas franchir. Tous les Blancs seraient-ils (sauf preuve contraire) des racistes qui s’ignorent ? Et de manière générale, nos concitoyens issus de la diversité seraient-ils tous victimes d’institutions racistes, sinon racisantes ? Rien n’est moins sûr si l’on songe aux incroyables avancées de ces trente dernières années. Prenons l’exemple de ce Parlement Régional Bruxellois qui accueille ces Assises. En 1989, au moment de sa création, l’assemblée bruxelloise ne comptait, sur un total de 75 élus, que deux députés d’origine étrangère, hispanique qui plus est, contre 14 élus, issus de la noblesse, soit 21%. Et son exécutif, aucun ministre ou secrétaire d’Etat issu de la diversité. Aujourd’hui, ce même parlement, s’agissant de son collège francophone, compte près de 45% de fils et petits-fils d’immigrés, dont un quart originaires du monde musulman. Et s’il reste cinq élus à particule, ce sont des Belges issus de la diversité et de toutes origines qui occupent de nombreux postes clefs. On pourrait dès lors se demander, sans fausse modestie, s’il existe un seul autre Etat où l’ascenseur ethnique (permettez-moi l’expression) fonctionne de manière aussi performante. A tout le moins, dans les médias, dans le corps médical et, bien sûr, en politique, les plafonds de verre ont été pulvérisés : Mmes Laanan, Morreale et Trachte ainsi que MM. Brotchi, Di Rupo, Doulkeridis, Kompany, Laaouej, etc. en sont les exemples vibrants. Soulignons la faiblesse de l’extrême-droite politique en Belgique francophone ! Cette réalité, à tout le moins encourageante témoigne à l’envi de l’aveuglante cécité ou mauvaise foi des experts pressentis. Bref, s’il y a lieu de parler de racisme d’Etat ou systémique, c’est du côté des autres continents qu’il faut regarder. Il suffit de songer aux cas des Ouïgours, des Kurdes, des derniers chrétiens d’Orient pour s’en assurer. Ne me faites surtout pas dire que je postulerais sur base de ces constats la mort du racisme. Certes non ! Si les préjugés racistes sont en régression, surtout chez les jeunes, ils fleurissent toujours dans bien des têtes belges et bruxelloises. Comme le souligna, en 1881, Léon Pinsker, un des premiers penseurs sionistes, dans Auto-émancipation, l’égalité civique ne transforme pas d’un coup de baguette magique la mentalité profonde des peuples : « qui dit émancipation légale ni dit pas émancipation sociale. » Les préjugés ont la vie dure ; d’où des discriminations à l’embauche ou au logement pour qui est afro-descendant ou se prénomme simplement Mohamed. Si l’Etat (ou entité fédérée) a le devoir de sanctionner toutes ces pratiques discriminatoires, il n’en est pas pour autant la cause. Est-ce, par exemple, vraiment de la responsabilité de notre région si le PS choisit de parachuter dans une célèbre commune bruxelloise une héritière, blanche, universitaire, hétéronormée et cisgenre au détriment d’un élu du cru, issu, quant à lui de la diversité ? Le mépris, la peur et la haine de l’Autre n’est pas affaire d’institutions, de couleur de peau ou de soi-disant « race » fût-elle sociale, mais de culture, d’éducation ou de calcul. Aux élus bruxellois de rattraper le tir. Le combat antiraciste en vaut la peine.

Joël Kotek


[1] Nicolas Rousseau, « Être blanc.he : le confort de l’ignorance. Racisme et identité blanche », BePAX, Bruxelles, 2019, 70 pages

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