Le musée Zadkine expose jusqu’au 31 mars une rétrospective de l’œuvre de Chana Orloff dont la maison-atelier plonge le visiteur au cœur de son art. Au Petit Palais, Le Paris de la Modernité, 1905-1925 expose deux chefs-d’œuvre de cette figure emblématique de l’École de Paris. Enfin, le musée d’art et d’histoire du Judaïsme (mahJ) accueille une sculpture spoliée, portrait de son fils Élie, surnommé « Didi ». L’actualité a endeuillé cette programmation. Le 7 octobre dernier, au kibboutz Be’eri, trois membres de la famille de Chana ont été assassinés et sept autres, dont trois enfants, ont été pris en otage. Le 25 novembre, les femmes et les enfants ont été libérés. Tal Shoham, 39 ans, est toujours otage du Hamas.
La rétrospective au musée Zadkine, ancienne maison-atelier du célèbre sculpteur juif, contemporain de Chana, met l’accent sur les thèmes privilégiés par la sculptrice : le portrait, les femmes, la maternité, et la sculpture animalière. Chana Orloff est née en Ukraine. En 1905, sa famille émigre en Palestine. Partie à Paris pour étudier le stylisme, Chana entre bientôt à l’École des arts décoratifs et se passionne pour la sculpture. Elle se lie d’amitié avec d’autres jeunes artistes juifs à Montparnasse : Modigliani, Chagall, Kisling, Soutine… Ses talents de portraitiste lui attirent vite la reconnaissance artistique et l’aisance financière. En 1916, elle inaugure sa première exposition personnelle, et elle épouse le poète polonais Ary Justman. Elle donne naissance à Élie, surnommé Didi. Ary meurt, victime de la grippe espagnole. Portraitiste en vogue, Chana trouve nombre de ses modèles parmi ses amis et connaissances, artistes, écrivains, intellectuels… et leurs enfants. Ses portraits, stylisés mais fidèles, captent avec humour la physionomie du sujet sculpté, qu’il s’agisse de femmes en vogue comme Romaine Brooks, de « Montparnos » incontournables tel David Widhopff (L’homme à la pipe), ou de la petite Nadine Vogel, fille de l’éditeur du célèbre magazine VU.
Un bestiaire inspiré de la symbolique juive et de la littérature yiddish
Les figures féminines occupent une place centrale dans son œuvre : danseuses, sportives, « garçonnes ». Chana Orloff renouvelle l’image de la femme moderne, tout en associant la maternité au fondement de son art. Son premier bois sculpté est une Maternité (1914). En 1924, photographiée dans son atelier pour le magazine Vanity Fair, elle pose avec Didi dans ses bras, entourée de ses sculptures. Son bestiaire, inspiré de la symbolique juive et de la littérature yiddish, stylise les formes animalières, ne conservant que les attributs les plus caractéristiques. Elle reçoit la Légion d’honneur (1925). En 1926, devenue citoyenne française, elle se fait construire une maison-atelier par l’architecte Auguste Perret, à la Villa Seurat, près du parc Montsouris. Connue en France comme à l’étranger, elle expose et voyage aux États-Unis (1929-1930), à Amsterdam, à Tel-Aviv (1935), participe à l’exposition Les Maîtres de l’art indépendant organisée au Petit Palais durant l’Exposition universelle de Paris en 1937. Trois de ses œuvres, dont L’homme à la pipe, figurent dans l’exposition Cent ans de sculptures françaises, au Palais des Beaux-arts de Bruxelles, du 27 janvier au 26 mars 1940.
L’occupation allemande interrompt brutalement la carrière de Chana Orloff, artiste française dont la famille vit en Palestine. En juillet 1942, Chana et Didi fuient Paris. Ils se réfugient en zone libre, puis passent en Suisse. Chana continue de travailler et expose à Genève. Rentrée d’exil en mai 1945, elle trouve sa maison-atelier totalement pillée, et dépose une demande de restitution auprès de la Commission de récupération artistique. L’enfant Didi (1921), exposé au mahJ, est une superbe statue en bois, sculptée en taille directe. « La maison-atelier de Chana a été vidée de tout son mobilier le 4 mars 1943, dans le cadre de la Möbel-Aktion. À Paris, 38.000 appartements de Juifs sont pillés par les agents de cette “Action Meubles”, qui trient ensuite les biens spoliés pour les envoyer en Allemagne aux victimes des bombardements alliés », souligne Pascale Samuel, conservatrice des collections d’art moderne et contemporain du mahJ.
Le pillage de 1943
Les enfants de Didi, Éric Justman et Ariane Tamir, sont les « gardiens » de la maison-atelier de Chana Orloff, 7 bis Villa Seurat, ce fascinant lieu d’art et de mémoire. Ariane revient sur le pillage de 1943 et son dernier rebondissement : « 147 sculptures ont disparu lors du pillage. La plupart ont probablement été vendues à Paris où, par la suite, ont été retrouvés deux plâtres : un petit autoportrait et un portrait d’Ida Chagall. Nous venons de découvrir le plâtre d’un nu que la maison de vente Tiroche à Herzliya nous demandait d’authentifier. Cette sculpture, intitulée Femme 39, figure pourtant sur le site Lost Art, parmi les œuvres spoliées. Sa propriétaire qui vit à Londres, a changé plusieurs fois l’histoire de son acquisition, et n’a pas répondu aux journalistes qui l’ont contactée. En Israël, il n’existe pas de loi sur la restitution des œuvres d’art spoliées. Nous avons donc porté plainte pour vol à la police du 14e arrondissement, mais l’affaire s’annonce compliquée. Il a fallu 15 ans pour que L’enfant Didi nous soit enfin restitué ! »
Les enfants de Didi, Éric Justman et Ariane Tamir, sont les « gardiens » de la maison-atelier de Chana Orloff, 7 bis Villa Seurat, ce fascinant lieu d’art et de mémoire. Ariane revient sur le pillage de 1943 et son dernier rebondissement : « 147 sculptures ont disparu lors du pillage. La plupart ont probablement été vendues à Paris où, par la suite, ont été retrouvés deux plâtres : un petit autoportrait et un portrait d’Ida Chagall. Nous venons de découvrir le plâtre d’un nu que la maison de vente Tiroche à Herzliya nous demandait d’authentifier. Cette sculpture, intitulée Femme 39, figure pourtant sur le site Lost Art, parmi les œuvres spoliées. Sa propriétaire qui vit à Londres, a changé plusieurs fois l’histoire de son acquisition, et n’a pas répondu aux journalistes qui l’ont contactée. En Israël, il n’existe pas de loi sur la restitution des œuvres d’art spoliées. Nous avons donc porté plainte pour vol à la police du 14e arrondissement, mais l’affaire s’annonce compliquée. Il a fallu 15 ans pour que L’enfant Didi nous soit enfin restitué ! »
Informations pratiques
*Chana Orloff, sculpter l’époque. Musée Zadkine jusqu’au 31 mars 2024
https://www.zadkine.paris.fr/fr/exposition/chana-orloff-sculpter-lepoque
*« Le Paris de la modernité, 1905-1925 » jusqu’au 14 avril 2024 au Petit-Palais