Est-ce que Napoléon a vraiment été « bon pour les juifs » ?

Même les Juifs qui ne s’intéressent guère à Napoléon ont de lui une image plutôt positive. Non sans raisons : dès 1797, lors de la campagne d’Italie, celui qui n’était encore que le général Bonaparte vint en aide aux Juifs.

Quand il s’empara de la ville d’Ancône, il les libéra du ghetto dans lequel ils étaient confinés, supprima le bonnet jaune et le brassard à l’étoile de David qu’ils étaient obligés de porter et leur accorda la liberté de culte et de circulation.

Il y a aussi l’appel lancé en 1799, lors de sa campagne d’Égypte : alors qu’il assiégeait St Jean d’Acre, Bonaparte appela « les juifs de l’Asie et de l’Afrique » à se ranger sous ses drapeaux « pour rétablir l’ancienne Jérusalem »

De là à en faire un précurseur du sionisme, il n’y avait qu’un pas qui fut souvent franchi. A cela près que le futur empereur cherchait seulement à recruter des soldats et n’avait aucun projet concret d’État juif.

Qui plus est, si elle fut bien publiée dans le Moniteur, le journal officiel de la République, cette proclamation ne fut jamais diffusée. Soit. Mais il y a aussi la réunion à Paris en 1806 d’une « assemblée d’individus professant la religion juive »

L’Empereur leur adressa une série de questions, parfois naïves (« Est-il licite aux Juifs d’épouser plusieurs femmes ? ») mais le plus souvent destinées à clarifier l’attitude des Juifs eux-mêmes par rapport à leur pays :

« Les Juifs nés en France et traités par la loi comme citoyens français regardent-ils la France comme leur patrie ? Ont-ils l’obligation de la défendre ? Sont-ils obligés d’obéir aux lois et de suivre toutes les dispositions du Code civil ? »

Le tout déboucha en mars 1808 sur la création du « Consistoire central des israélites de l’Empire » qui intégrait le judaïsme parmi les autres « cultes reconnus » de même que le Code civil napoléonien avait garanti l’égalité juridique des Juifs en tant citoyens.

En leur faisant ainsi une place dans la société, Napoléon permit aux Juifs de s’assimiler à la communauté française. Ceux-ci en furent si satisfaits que chaque semaine, les fidèles de toutes les synagogues entonnaient une prière en hébreu pour louer l’Empereur***

Son nom, Bonaparte (« Bonne partie ») fut même hébraïsé en « Hélek Tov », tout comme en Allemagne où, lorsqu’ils devaient adopter un nom de famille, nombre de Juifs choisirent eux aussi cette traduction : « Schöntheil » .

Plusieurs rabbins éminents de l’époque, comme Nahman de Bratslav ou Menahem Mendel de Rimanov, firent part de leur admiration pour l’Empereur. Mais d’autres étaient nettement moins enthousiastes.

 

« Un peuple méchant, lâche et cruel ».

C’est que, toujours en 1808, Napoléon imposa aux Juifs plusiueurs décrets discriminatoires, freinant l’entrée de Juifs étrangers dans le pays, leur interdisant certains territoires ou de se faire remplacer comme soldat,-ce qui était de coutume à l’époque.

Par la suite, nombre d’historiens ont fait chorus en estimant que Napoléon « méprisait les Juifs » et les instrumentalisait à ses propres fins. Ainsi, pour eux, la création du Consistoire n’avait d’autre but que de les assimiler par la force.

A l’appui de ces thèses, ils citent une lettre de 1809 de l’Empereur à son frère Joseph dans laquelle il affirme que les Juifs sont « les plus misérables des personnes », des « corbeaux et des sauterelles qui ravagent la France ».

Ou, en 1817, alors qu’il se trouvait à Sainte Hélène, cette déclaration à un de ses compagnons d’exil:  « les Juifs sont un peuple méchant, lâche et cruel ». Alors quoi ? Napoléon a –t-il été bon ou mauvais pour le judaïsme ?

Pour trancher enfin la question, le Forward a eu la bonne idée d’interroger l’historien français Patrice Gueniffey*. Lequel commence par préciser que, comme chez tous ceux qui parlent (ou dictent) beaucoup,  Napoléon a tenu beaucoup de propos contradictoires

D’autre part, le langage de l’époque, surtout chez les militaires, était beaucoup plus brutal que de nos jours. Surtout à  Ste Hélène, où Napoléon, tout en forgeant sa statue, réglait aussi ses comptes.Par exemple, il avait multiplié des propos haineux contre les Espagnols à qui il devait ses premières défaites.

Enfin, il faut faire la différence entre ses propos privés et ses actes publics. Napoléon n’avait pas besoin d’aimer une communauté pour lui faire du bien. Seules les considérations politiques régissaient ses relations avec les peuples ou les religions.

C’est ainsi qu’il a traité les Juifs. Il n’était ni anti ni pro- sémite. Il agissait seulement en fonction de ce qu’il considérait être l’intérêt national de la France. D’où la contradiction entre la création du consistoire et ses décrets anti-Juifs.

Ces derniers ont été pris comme des mesures temporaires destinées à apaiser le très antisémite Tsar russe Alexandre Ier , furieux les libertés accordées aux Juifs au point de traiter Napoléon, « d’Antéchrist et ennemi de Dieu ».

Or, l’Empereur avait besoin du soutien de la Russie dans sa lutte contre l’Angleterre. L’intérêt national prima,,comme toujours…. Mais, en définitive, conclut l’historien, le bilan des actions de Napoléon est tout à fait positif pour les Juifs.

« Il a poursuivi l’œuvre de la Révolution française qui avait libéré les Juifs en les faisant entrer dans la communauté nationale. Durant tout le XIXe siècle, la communauté juive de France a été la mieux intégrée d’Europe »..

*Et aussi, pour tout dire, parce que l’intéressant site du journal américain Forward a publié un fort bon article sur la question.

**Patrice Gueniffey, directeur du Centre Raymond Aron de recherches politiques de l’École des hautes études en sciences sociales de Paris (ouf !). Son livre  Bonaparte: 1769-1802 (Ed.Gallimard, 2013) fait référence

***Une tradition qui existe encore aujourd’hui sous la forme d’une « Prière du peuple Juif pour la République Française »

Écrit par : Ouri Wesoly

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