07/05/2024
Regards n°1105

La Belgique à la confluence de trois antisémitismes

Le Hamas a beau avoir commencé les hostilités et posé des conditions qui empêchent toute issue heureuse au conflit (libérer les otages obligerait Netanyahou à un cessez-le-feu, bien malgré lui), les guerres civiles du Soudan, de Syrie et du Yémen ont beau avoir causé dix fois plus de pertes civiles que la guerre contre le Hamas, l’heure est à la surenchère anti-israélienne tous azimuts. Oui, comme l’affirme en première page le dernier numéro du trimestriel Wilfried, la Belgique est bien le pays le plus propalestinien d’Europe.

Comment l’expliquer ? À croire ce magazine de qualité, la cause est entendue : la Belgique irait à contre-courant de la plupart des autres États européens du simple fait que nos hommes politiques seraient guidés par le souci des droits de l’Homme et du droit international. L’explication est très séduisante, mais on peut douter qu’elle convainque les Chypriotes grecs du Nord, les Kurdes de Syrie, les Sahraouis, les Ouighours, les Tibétains et plus récemment les 120.000 Arméniens contraints de fuir le Haut-Karabagh. Il est vrai que l’Azerbaïdjan a de belles ressources gazières et que la Turquie a des relais en Belgique. En termes de politique des droits de l’Homme, nous pourrions encore évoquer la lâche décision de la Belgique de rapatrier en toute urgence ses casques bleus du Rwanda le 11 avril 1994, une décision qui précipita l’extermination d’un million de Tutsi. J’y ai consacré un documentaire diffusé le 7 avril sur France 5.

À l’évidence, la politique étrangère de la Belgique est bien moins généreuse que pragmatique, mercantile. Comment expliquer, dès lors, la véritable passion de nos élites politiques envers la (seule) Palestine ? Comme je pense l’avoir démontré lors du tout premier colloque de l’Institut Jonathas qui s’est tenu le 20 avril dernier à l’ULB, la dénonciation à tout crin d’Israël, au-delà du souci légitime pour les civils gazaouis, tient à trois facteurs qui se combinent et se renforcent.

D’abord, un vieil habitus judéophobe hérité de la Cité chrétienne mais aussi islamique (dhimmitude), une culpabilité, ensuite, liée à la Shoah mais aussi au colonialisme belge et, enfin, une posture antisioniste radicale clairement opportuniste, dictée par de purs calculs électoralistes. Nul besoin de trop s’appesantir sur la prégnance d’un habitus antisémite de droite (antisémitisme religieux et nationaliste) comme de gauche (antisémitisme économique et communiste), mais bien sur cet antisémitisme secondaire qui nous cause tant de mal. De quoi s’agit-il ? D’un ressentiment à l’égard des Juifs non pas « malgré » mais bien « à cause » de la Shoah. De nombreux Belges, tout particulièrement en Flandre, ne pardonnent décidément pas Auschwitz aux… Juifs ; d’où la tentation perverse de nazifier les Israéliens.

À ces deux antisémitismes s’en ajoute un troisième que je qualifie de tertiaire. De quoi s’agit-il, sinon d’une posture antijuive purement opportuniste et pragmatique non pas à cause des Juifs, mais à cause de leurs ennemis supposés et aussi, faut-il l’avouer, parfois avérés ! En jeu, la réalité d’une « rue arabe » mobilisée, obnubilée par la seule cause palestinienne et ce, à l’exclusion de toutes les autres causes, y compris musulmanes (kosovare, kurde, ouïghour, rohingya, etc.) et ce, dans un contexte démographique bien particulier. Faut-il rappeler que les Belges de confession musulmane sont seize fois plus nombreux que ceux d’origine juive. De là, évidemment, des stratégies électoralistes qui poussent à la surenchère anti-israélienne. C’est bien cette réalité démographique qui explique pourquoi l’écrasante majorité des partis politiques, y compris de droite (CD&V, VLD), sont amenés à faire des concessions sur un certain nombre de questions, telles le conflit israélo-palestinien, l’abattage rituel ou encore la laïcité, un mot en passe de devenir tabou.

Non, contrairement à ce que voudrait faire accroire Wilfried, la défense des droits humains n’est pas le souci premier de nos ministres et députés, auquel cas leur mollesse vis-à-vis de la Chine, du Qatar, de l’Azerbaïdjan, de l’Arabie Saoudite, sans même parler de la Turquie, serait inexplicable. Pour nos élites bien-pensantes du troisième millénaire, l’antisionisme agit comme une évidence fantasmatique pour servir d’expression à toutes sortes de stratégies électoralistes et de rancœurs –à l’égard de l’impérialisme US, du capitalisme, de la mondialisation, etc. En juin 2021, le célèbre magazine allemand Der Spiegel dénonçait déjà l’étrange posture judéophobe de la Belgique dans un article fouillé : « Si aujourd’hui les élites du pays sont gagnées par le virus de l’antisémitisme, c’est parce qu’en Belgique, l’antisémitisme a été trop longtemps un problème dont seuls les Juifs se souciaient vraiment. Qu’il vienne de milieux extrémistes, de droite ou de gauche, ou de certaines parties des communautés musulmanes, il n’a jamais été pris à bras le corps. À Bruxelles, le Parlement européen et le Conseil européen ont adopté des textes forts visant à lutter contre l’antisémitisme, mais le pays hôte ne se sent pas concerné. Il est temps que cela change, et l’Europe a un rôle essentiel à jouer, dans l’action plutôt que le discours. » Et l’hebdomadaire allemand d’affirmer en conclusion qu’il revenait à l’Europe de « sauver la Belgique de l’antisémitisme ».

C’est dans cette optique qu’a été créé tout récemment l’Institut Jonathas. Pourquoi Jonathas ? En 1369, des notables juifs furent accusés d’avoir poignardé des « saintes » hosties. L’un d’entre eux, Jonathas, est assassiné. Les autres brûlés près de la porte de Hal. Les Juifs, quant à eux, sont définitivement bannis du Duché de Brabant qui regroupe alors Bruxelles, Louvain et aussi Anvers. Au bout de quelques siècles, les Juifs sont revenus en terre belge et entendent, si possible, y rester. Si tant est qu’on ne les pousse à l’exil une troisième fois. 

Écrit par : Joel Kotek
Politologue et historien
joel kotek

Esc pour fermer

_Visuel ARTICLE REGARDS 2025-2026 (2)
Commander Nessi'a
A travers “Nessi’a”, Mireille Dahan nous fait voyager dans les histoires fondatrices de nos traditions en réinterprétant les textes bibliques.(...)
04/12/2025
Vie Juive
Collecte de dons 2025
Collecte de dons 2025
Grâce à votre soutien, nous continuons à célébrer la vie, à transmettre le plaisir, la pensée et la force du(...)
03/12/2025
Vie Juive
Visu Site Une (72)
Atelier Tenou’a à Beth Hillel
Une saison, quatre rendez-vous Tenou’a, quatre moments d’étude pour penser ensemble les grands textes de la tradition juive dans un
03/12/2025
Non classé
Jean Zay utick
Jean Zay, l’Homme complet
Avec "Jean Zay, l’Homme complet", Xavier Béja relate dans un seul en scène poignant la vie et l’œuvre de Jean(...)
03/12/2025
Véronique Lemberg
Culture, Mémoire
1121 Carnet de cuisine illu
Croustillant et divin, le schnitz-el
Carnet de cuisine
03/12/2025
Michèle Baczynsky
Vie Juive
85
Simone Veil et ses sœurs
"Les Sœurs Jacob" (Éditions Les Arènes) est un roman graphique polyphonique. Il ravive les voix de Simone, Denise et Milou(...)
02/12/2025
Tamara Weinstock
Mémoire, Culture