Perversion mémorielle flamande et antifascisme archéologique francophone

Nicolas Zomersztajn
Editorial de Nicolas Zomersztajn
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Il y a un mois, au nom du conseil communal, Nico Blontrock, l’échevin à la Culture de Bruges, a honoré la mémoire de quatre militants fascistes flamands exécutés le 20 mai 1940 à Abbeville par des soldats français. Parmi ces « victimes » figure Joris Van Severen, qui avait créé Verdinaso en 1931, un mouvement fasciste et antisémite flamand.

Loin d’être un militant d’extrême droite, Nico Blontrock est démocrate-chrétien (CD&V) et la majorité communale de Bruges est constituée d’une alliance démocrate-chrétienne et socialiste (Vooruit). Cette commémoration « à la flamande » témoigne de la perversion mémorielle à laquelle participe activement la classe politique démocratique flamande depuis des années. Ainsi, elle fait ériger des monuments à la mémoire de combattants SS (Zedelgem), elle laisse une commune (Alveringen) faire de Cyriel Verschaeve – une des plus grandes figures de la Collaboration flamande – une attraction touristique de premier plan, elle présente deux collabos virulemment antisémites et pronazis comme des personnalités ayant « contribué à l’émancipation du peuple flamand et de sa langue » à l’occasion du 50e anniversaire de la création du Parlement flamand, etc.

Cette perversion mémorielle atteint son paro-xysme lorsque Caroline Gennez, ancienne présidente du Parti socialiste flamand et actuelle ministre de la Coopération au développement, reproche au gouvernement allemand de ne pas se montrer suffisamment critique envers Israël depuis le 7 octobre, à cause de la culpabilité qu’elle assume depuis 1945 : « C’est une question cruciale pour nos amis allemands : allez-vous vraiment être deux fois du mauvais côté de l’Histoire ? » Alors que l’extrême droite est aux portes du pouvoir en Flandre, cette injonction abjecte témoigne d’une inqualifiable inversion des valeurs de la part d’une responsable d’un parti démocratique et progressiste. Son propos est d’autant plus inapproprié que, contrairement aux Flamands, les Allemands sont descendus par millions dans les rues le mois dernier pour défendre la démocratie face à la menace de l’extrême droite. Ce mal flamand ne risque pas de se répandre en Belgique francophone où l’extrême droite y est inexistante ou portée par une poignée de marginaux incapables d’exercer la moindre hégémonie culturelle sur l’opinion publique francophone. Bien qu’il soit important de s’en réjouir, ce phénomène unique en Europe mériterait d’être analysé en profondeur, car il produit des effets curieux. Tant dans le monde politique qu’associatif ou académique, ils sont en effet nombreux à répéter inlassablement qu’il est de leur devoir impérieux de combattre le fascisme. La rectrice de l’ULB, Annemie Schaus, déclare ainsi le 8 mai dernier que « nous prolongerons l’engagement de nos prédécesseurs à être résistants et défendre les principes qui nous sont chers », avant de conclure que « nos campus sont et seront des territoires antifascistes, des espaces où en aucun cas l’extrême droite ne pourra faire entendre sa voix ni poursuivre son entreprise de défenestration de la démocratie. » C’est certainement très noble, mais cette manière de se parer des vertus antifascistes des résistants sous l’Occupation est problématique. Elle oriente sa volonté de prendre part à un combat politique vertueux et héroïque contre un adversaire qu’elle n’affrontera jamais, soit parce qu’il se déploie réellement ailleurs (en Flandre) soit parce qu’il est inexistant dans son propre champ politique (la Belgique francophone). Cela revient à combattre le néant.

Déjà dans les années 1970, le réalisateur et écrivain Pier Paolo Pasolini qualifiait cette posture, dans ses Écrits corsaires, « d’antifascisme archéologique qui est en somme un bon prétexte pour se décerner un brevet d’antifascisme réel. » La rhétorique anti-fasciste de la rectrice sonne encore plus creux lorsque son « territoire antifasciste » est devenu un espace où la haine envers les étudiants juifs s’est répandue dans l’indifférence depuis le 7 octobre, culminant avec l’agression physique du président de l’Union des étudiants juifs de Belgique (UEJB) sur le parking de l’ULB. Ce climat hostile n’est pas un fantasme juif. Il s’est matérialisé par des incidents que seuls les étudiants juifs semblent subir. Hélas, les autorités universitaires ont eu tendance à ne pas en prendre la mesure réelle ni à en reconnaître la gravité.

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Marc Legein
Marc Legein
4 mois il y a

Une remise en contexte
Lors du même évènement du 20 mai 1940, des Juifs, des communistes ou antifascistes ont été exécutés, également victimes d’une exécution sommaire par des militaires français qui obéissaient aux ordres verbaux du capitaine Marcel Dingeon.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Massacre_d%27Abbeville

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