Voilà un film qui tombe on ne peut plus à pic, dans un calendrier 2024 estampillé « Jeux Olympiques, menaces terroristes, pressions politiques, conflit Iran-Israël ». À l’heure où les Jeux paralympiques se déroulent à Paris, Guy Nattiv et Zar Amir nous plongent dans les coulisses des événements sportifs internationaux.
Tatami. Ce mot rythmé, japonais, donne la cadence à ce film effréné qui bat la mesure, à la vitesse éclair des pensées, des battements du cœur, de l’adrénaline libérée dans le corps de l’athlète, dans les gradins du stade et dans les rangées de la salle de cinéma.
C’est sur le tatami, théâtre du spectacle, que les combats se joueront et c’est dans l’ombre que les tensions monteront. Rendez-vous sur ce rectangle éclairé comme un champ chirurgical, lieu de tous les regards et des dépassements de soi. La main frappera ostensiblement le tapis, on sera en prise avec le judo, la lutte des corps, les pressions politiques, les dictatures et leurs agissements intimidants, il sera question de liberté des athlètes, des femmes, de stratégies, de force du mental.
Voici l’intrigue : la judoka Leila (Arienne Mandi) et son entraîneuse Maryam (Zar Amir) se rendent aux championnats du monde de judo afin de remporter une médaille d’or pour l’Iran. Alors que Leila a de bonnes chances de gagner, le régime iranien s’aperçoit de la possibilité d’un round contre une adversaire israélienne et met tout en œuvre pour dissuader Leila de concourir…
Écrit par Guy Nattiv (le réalisateur de Golda) et Elham Erfani avant que la révolution des femmes n’éclate, le scénario s’inspire d’histoires d’athlètes iraniennes défiant leur régime politique : Sadaf Khadem, première boxeuse iranienne, a fait défection en France et est devenue une championne des droits des femmes ; l’alpiniste Elnaz Rekabi a concouru sans son hijab, sachant qu’elle encourait la mort dans son pays ; quant à Kimia Alizadeh, enfant chérie de l’escrime iranienne aux Jeux Olympiques de Rio, elle a décidé de faire défection avec son mari en raison de menaces provenant du gouvernement. Autres dictatures, même horizon : la gymnaste roumaine Nadia Comăneci avait également connu pareils supplices.
La tension du film tient de bout en bout
Que l’issue de cette fiction soit plus ou moins connue, on sera happés par la forme musclée de cette œuvre en noir et blanc filmée en Géorgie, séduits par son grain, par ses décors et ses cadres soignés ; par les rythmes visuels et sonores qui se superposent : des halètements des judokas durant le match aux commentaires passionnés du journaliste sportif, en passant par le silence de la réflexion et les cris du public. La tension du film tient de bout en bout. On notera le nombre de grands rôles féminins à l’écran : voilà un beau film de femmes initié par un homme ; on observera la « menace israélienne », présente tout au long du film, alors qu’elle est invisible. Le scénario habile repose sur l’unique tension dans le clan iranien. Et on s’amusera même de cette éventuelle autre réalité : les judokas, l’iranienne et l’israélienne, se saluant cordialement dans l’espace d’entraînement. Il paraît d’ailleurs que ces deux nations se démarquent, toutes deux, dans cette discipline.
Tatami traite de courage extraordinaire, de choix douloureux, de prix de la liberté, de résistance, de sport aux accents de politique et de politique aux allures de sport de combat, de méthodes totalitaires, de perspectives autres dans les espaces démocratiques.
La délicate Zar Amir – qui joue donc dans le film – et Guy Nattiv ont, en fin de compte et en toute simplicité, uni leurs dons pour, d’une part, rendre hommage aux athlètes et aux artistes forcés de renoncer à leurs rêves ou contraints de quitter leur pays et leurs proches du fait de régimes autoritaires et, d’autre part, pour démontrer que les artistes iraniens et israéliens ont beaucoup à partager ensemble : du respect, du talent, de l’humanité, comme on peut le voir à l’écran.
Mention spéciale pour les actrices Arienne Mandi et Zar Amir !