Emmanuel Nahshon, nouvel ambassadeur d’Israël à Bruxelles

Nicolas Zomersztajn
Après avoir été porte-parole du ministère des Affaires étrangères à Jérusalem et occupé différents postes diplomatiques en Amérique latine, en Asie et en Europe, Emmanuel Nahshon a été nommé ambassadeur d’Israël à Bruxelles. Dans un entretien qu’il a accordé à Regards, ce diplomate expérimenté précise comment il envisage cette mission.
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Votre mission d’ambassadeur d’Israël ressemble-t-elle à celle de vos collègues en poste à Bruxelles ?

Emmanuel Nahshon Au fil des rencontres avec mes collègues en poste à Bruxelles, je m’aperçois qu’être ambassadeur d’Israël, c’est tout à fait différent. Tout d’abord parce que la Belgique compte une communauté juive qui joue un rôle dépassant largement sa petite taille. Ce trait d’union unique avec la communauté juive ajoute une responsabilité supplémentaire à ma fonction d’ambassadeur que mes collègues ne doivent pas assumer. La seconde raison pour laquelle ma fonction est différente tient aux rapports entre la Belgique et Israël. La Belgique est un pays ami, mais un pays qui se montre critique envers certaines politiques israéliennes. Le dialogue entre ces deux pays qui ont beaucoup de choses en commun est amical, même s’il comporte parfois des aspects irritants. Ce qui rend à nouveau mon rôle atypique par rapport à d’autres ambassadeurs en poste à Bruxelles.

Vous venez d’évoquer la communauté juive de Belgique. Comment envisagez-vous vos rapports avec celle-ci ?

E.N. Nous sommes membres de la même famille : le peuple juif. Ce lien particulier fait de la communauté juive de Belgique une de mes priorités. La première personne que j’ai rencontrée à Bruxelles, c’est le Grand rabbin. Cette rencontre symbolise la nature de ma mission, même si je suis bien conscient que je ne suis pas le représentant de l’Agence juive et que mon rôle n’est pas de convaincre les Juifs de Belgique de faire leur alya. S’ils la font, tant mieux. S’ils restent en Belgique, c’est bien aussi. Il y a des questions fondamentales concernant l’avenir du peuple juif que nous devons nous poser ensemble et non pas chacun de son côté. J’aimerais que l’ambassade d’Israël puisse être cet espace où nous pouvons dialoguer. Notre ambassade est certes la maison d’Israël, mais elle est ouverte à la communauté juive. J’inviterai tous les représentants des organisations juives, qu’elles soient bruxelloises ou anversoises, laïques ou religieuses pour aborder des questions à l’ordre du jour en Israël susceptibles de les intéresser.

Vous êtes donc d’accord que les Juifs de Belgique puissent exprimer leur opinion sur ce qui se passe en Israël ?

E.N. Evidemment. Nous devons en parler et nous ne devons pas nécessairement être d’accord. Les Juifs de Belgique peuvent évidemment exprimer leur opinion sur Israël, mais au bout du compte, ils doivent savoir qu’ils ne prendront pas les décisions à la place des Israéliens. Je peux vous assurer que la porte de l’ambassade d’Israël sera toujours ouverte à tous les membres de la communauté juive, pour autant qu’ils acceptent qu’Israël est l’expression de la volonté nationale du peuple juif sur sa terre. Je ne rencontrerai pas ceux qui proclament que l’Etat d’Israël ne devrait pas exister.

Les circonstances ont changé depuis votre premier séjour en Belgique entre 1996 et 1999. Quelle est votre perception de l’antisémitisme qui a connu une résurgence à partir du début des années 2000 ?

E.N. Il est nécessaire de rappeler que l’antisémitisme n’est pas un problème juif. C’est avant tout l’expression d’une maladie des sociétés non juives. Il concerne l’ensemble de la société, car ce phénomène est un danger pour la Belgique. Nous assistons à une montée en puissance de nouvelles formes d’antisémitisme pernicieuses qui se cachent derrière l’antisionisme et la haine d’Israël, alors qu’il est clairement établi qu’il n’y aucune distinction entre l’antisémitisme et l’antisionisme. Ce qui semblait évident il y a plus de vingt ans ne l’est plus aujourd’hui. Et c’est dans cette confusion que se glisse ce que je nomme « la trinité malsaine » de l’extrême droite, l’extrême gauche et l’islamisme. Ces trois mouvances sont à la pointe de l’antisémitisme. Même si chacune d’elle agit à sa manière et au nom de ses propres motivations, elles se nourrissent l’une de l’autre. Nous devons comprendre ces phénomènes, mais nous devons aussi lutter contre chacune de ces expressions antisémites. C’est une lutte difficile et frustrante, car les résultats ne sont pas toujours perceptibles. Nous ne pouvons pas nous permettre de passer l’éponge sur les petites manifestations d’antisémitisme. Il est inutile d’attendre une Nuit de Cristal pour comprendre que la situation est inacceptable. Cette lutte ne peut être menée seule par la communauté juive. Elle concerne tous les démocrates sincères de ce pays.

Serez-vous présent dans les médias pour défendre l’image d’Israël ?

E.N. Oui. Je me rattache à l’école de la diplomatie publique. C’est d’ailleurs ce que j’ai pratiqué pendant ces cinq dernières années en tant que porte-parole du ministère des Affaires étrangères. Je suis profondément convaincu que la diplomatie publique est celle que nous devons privilégier dans un monde où les médias jouent un rôle majeur. Il faut donc utiliser toutes les plateformes de communication : la presse écrite, les télévisions, les radios, mais aussi internet et les réseaux sociaux. Nous serons donc présents sur Twitter, Instagram et Facebook dans une moindre mesure. La timidité et le silence ne sont pas inscrits dans mon agenda. Si j’ai quelque chose à dire, je le dirai et je serai toujours accessible pour répondre aux questions.

Israël s’est-il éloigné des démocraties libérales d’Europe occidentale dont il est pourtant proche culturellement et politiquement, et préfère-t-il nouer de nouvelles alliances avec des Etats moins soucieux du respect des valeurs démocratiques ?

E.N. Je dirai plutôt que ce sont les démocraties d’Europe occidentale qui se sont éloignées d’Israël. Nous avons toujours privilégié le dialogue avec les pays d’Europe occidentale et de l’Union européenne. Ce que nous avons reçu en retour, ce sont des critiques qui vont au-delà de ce qui est légitime et des mesures honteuses de boycott de la Commission européenne. Un rituel aveugle et sourd de litanies critiques s’est substitué au dialogue. Certains gouvernements européens ne nous parlent pas, ils préfèrent nous faire la morale. Or, l’Europe occidentale est mal placée pour nous adresser des leçons de morale. Indépendamment de ces relations parfois difficiles, les évolutions mondiales ont conduit Israël à envisager de nouvelles alliances stratégiques. Nous ne sommes plus dans le monde bipolaire de la Guerre froide. Nous évoluons dans un monde multipolaire confus où de nouveaux acteurs ont émergé : la Chine, l’Inde, le Brésil, certains pays d’Afrique et des pays d’Europe orientale. L’émergence de ces pays sur la scène mondiale entraîne inévitablement une baisse d’influence des pays d’Europe occidentale. La diplomatie israélienne s’est donc adaptée à cette nouvelle configuration mondiale pour mieux défendre les intérêts d’Israël. Dans les relations que nous nouons avec ces pays émergents, nous ne leur donnons aucune leçon de morale et nous ne leur disons pas de quelle manière ils doivent se conduire. Nous ne sommes qu’un petit pays de neuf millions d’habitants évoluant dans un environnement complexe et dangereux. Nous faisons donc nos choix en fonction de nos priorités sécuritaires, économiques et politiques. Je tiens toutefois à souligner que cette réorientation n’implique en aucun cas de mettre fin au dialogue avec l’Europe occidentale. Bien au contraire, elle demeure un élément essentiel de notre politique internationale. Nous sommes conscients que nous puisons nos valeurs démocratiques au cœur de l’Europe et nous n’avons pas oublié la contribution majeure des Juifs dans l’élaboration et la diffusion de ces valeurs. 

Un diplomate expérimenté

L’ambassade d’Israël auprès du Royaume de Belgique a-t-elle enfin à sa tête un ambassadeur capable de défendre efficacement les intérêts de son pays et de s’exprimer avec aisance dans les médias ? Tout indique qu’Emmanuel Nahshon correspond à ce profil. Il en a l’expérience. Il a en effet assumé la fonction de porte-parole au ministère des Affaires étrangères à Jérusalem, ainsi que dans des ambassades clés comme celles d’Ankara et de Berlin.

Si l’art de communiquer n’a pas de secret pour ce diplomate de carrière, il maîtrise aussi parfaitement deux des langues nationales de Belgique : le français et l’allemand. Ses futurs interlocuteurs auront même du mal à deviner qu’il est israélien tant il s’exprime sans accent et sans faute de français. Ce spécialiste de l’Europe occidentale au ministère des Affaires étrangères à Jérusalem n’ignore pas non plus qu’une diplomatie moderne s’exerce aussi en dehors des coulisses. L’idée de rencontrer les journalistes ne l’effraie pas. Il est même déterminé à intervenir dans le débat lorsqu’il est question d’Israël. Et pour ce faire, il sait que ce n’est pas en servant la Hasbara à la grosse louche qu’il défendra au mieux les intérêts de son pays. Imprégné de culture européenne, il privilégiera le débat, l’argumentation et la pédagogie. Enfin, sa connaissance de la Belgique et de Bruxelles où il fut secrétaire d’ambassade entre 1996 et 1999 constitue aussi un atout précieux.

Autant de qualités qui doivent faire d’Emmanuel Nahshon un ambassadeur de grande classe qu’Israël n’a pas eu à Bruxelles depuis le départ d’Avi Primor en 1991.

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