19/04/2022
Regards n°1084

Daniel Blaufuks, artiste de la mémoire

Avec la levée des confinements, Lisbonne redevient une grande destination du tourisme global. L’œuvre de Daniel Blaufuks montre la vie d’une ville disparue sous les coups de la modernité néo-libérale. Elle évoque aussi la mémoire juive des victimes du nazisme, temps des réfugiés que l’invasion de l’Ukraine rend si tragiquement actuel.

 

 

Artiste plasticien, photographe et vidéaste réputé, Daniel Blaufuks est né en 1963 à Lisbonne dans une famille de Juifs allemands. Toute son œuvre tourne autour des rapports entre photographie et littérature, mémoire intime et mémoire collective. Formé tout d’abord à l’Ar.Co, centre d’art et de communication visuelle à Lisbonne, il se lance dans la photographie de presse et de mode puis expose en galeries, au Portugal et à l’étranger, ainsi à la Galerie Contretype de Bruxelles (1997). Son film Sob céus estranhos – uma história de exílio (« Sous des cieux étranges – une histoire d’exil », 2002) lui attire une renommée internationale. 

Publié ensuite en DVD, accompagnant un livre photo bilingue (portugais et anglais : Under Strange Skies) Sob céus estranhos relate l’odyssée de ses grands-parents, originaires de Francfort et de Magdebourg. Histoire visuelle et méditation poétique sur le sentiment de diaspora et l’exil juif au Portugal sous le nazisme. Au contraire de la plupart de ces réfugiés en transit, les grands-parents de Daniel s’établissent à Lisbonne. Daniel y passe sa petite enfance dans le même immeuble que ses grands-parents, entouré des traces matérielles de leur expérience de réfugiés. Photographiant certains de ces souvenirs, puisant des images dans les films d’époque ou les films familiaux, citant des extraits de mémoires et de textes de réfugiés, des récits de membres de sa famille et reproduisant des documents d’archives, Blaufuks réalise un chef-d’œuvre retrace de manière très personnelle l’exil juif au Portugal. Parmi ses nombreux travaux photo et vidéo, citons Terezin (2010), autre temps fort d’une œuvre consacrée à des thématiques mémorielles.

Lisboa cliché (2021), dont le titre renvoie au lexique de la photographie et de la typographie, vient d’être exposé au Museu de Lisboa, Palacio Pimenta. Cette autobiographie photographique relate les déambulations de l’auteur dans Lisbonne, il y a une trentaine d’années. C’est la vie nocturne et de sa bohème, à Cais do Sodré et au Bairro Alto, quartiers populaires devenus aujourd’hui les hauts-lieux du tourisme global. Accompagnés de textes très personnels et de citations poétiques, des clichés noir et blanc inspirés par l’esthétique du Film noir américain et de la Nouvelle Vague, nous montrent les amitiés de l’auteur, des cinémas disparus, les petits métiers, l’incendie du quartier du Chiado (1988), « Montmartre » de Lisbonne. Clichés d’une ville fascinante qu’on fait disparaître la spéculation immobilière, les rénovations urbaines, la multiplication des enseignes globalisées et des boutiques de souvenirs, tout comme la prolifération des logements airbnb et des hostels où s’entassent les jeunes visiteurs étrangers. En ce mois de mars, alors que la guerre ravage l’Ukraine, des groupes de visiteurs festifs, avides d’alcool bon marché et de consumérisme, envahissent les ruelles de la vieille ville, vidées de leurs habitants, dans une atmosphère de fête permanente et débridée, marquant le retour du tourisme international et la reprise d’une industrie majeure de notre monde globalisé. Retiré dans la villa que firent construire ses grands-parents à Birre, localité estivale, voisine de Cascais, Daniel me montre les photos de famille, les jouets que fabriquait son grand-père, sa propre collection d’objets hétéroclites… accumulation de souvenirs d’un artiste hanté par les mémoires de l’exil. Au-dehors, un brouillard étrange, créé par les poussières sableuses du Sahara, enveloppe tout le paysage… Tourisme de masse, guerre, réfugiés, et effets climatiques témoignent des réalités présentes de notre monde que l’art mémoriel de Daniel Blaufuks et la beauté de ses images ne cessent de questionner.

Écrit par : Roland Baumann

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