Préjugés antisémites en Europe

Véronique Lemberg
Une enquête* sur les préjugés antisémites a été lancée à l’initiative de la Ligue d’action et de protection et réalisée par les instituts de sondage Ipsos et Inspira dans 16 pays de l’Union européenne. Grâce à sa typologie précise et actualisée, cette enquête explore la prévalence et l’intensité des préjugés antisémites en Europe.
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Supervisée par András Kovács, sociologue et professeur à la Central European University (CEU) où il dirige le centre des études juives, et par György Fischer, ancien directeur de recherches de Gallup Hongrie et sociologue spécialisé en statistiques appliquées, cette enquête a été réalisée par l’institut Ipsos entre décembre 2019 et janvier 2020 dans 16 pays de l’Union européenne : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la France, la Grèce, la Hongrie, l’Italie, la Lettonie, les Pays-Bas, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie, l’Espagne, la Suède et le Royaume-Uni.

Cette enquête s’attache à explorer la prévalence et l’intensité des préjugés antisémites dans les sociétés européennes. Condition préalable nécessaire mais non suffisante au développement de l’antisémitisme en tant que vision du monde et idéologie politique, le préjugé nécessite donc une enquête approfondie. « Notre intention est de montrer à quel point il est probable qu’en temps de crise, des citoyens européens deviennent sensibles à la rhétorique de mouvements antisémites dans leur interprétation des conflits sociaux et d’expliquer dans quelle mesure ils peuvent voir dans les politiques antisémites des solutions à leurs problèmes », soulignent ces deux chercheurs hongrois. Concernant le lien entre les préjugés antisémites et la violence envers les Juifs, ils font preuve de prudence dans leur analyse : « Notre recherche peut fournir des informations sur la proportion des personnes ayant des préjugés antisémites dans les sociétés étudiées, mais elle ne permet pas de conclure quels sont les pays particulièrement dangereux pour les Juifs qui y vivent ».

 

Antisémitisme primaire et secondaire

L’intérêt majeur de cette enquête réside dans la typologie fine et actualisée des différentes formes d’antisémitisme diffusées aujourd’hui. Selon ces deux chercheurs, les préjugés antisémites se présentent aujourd’hui sous trois formes. La première forme consiste en une série de stéréotypes antisémites traditionnels présents depuis longtemps dans la société ; il s’agit de stéréotypes qui attribuent des caractéristiques défavorables aux Juifs et qui conviennent pour exprimer la haine des Juifs. Egalement considéré comme primaire, cet antisémitisme peut revêtir trois dimensions : cognitive, affective et conative. La dimension cognitive des préjugés recouvre le contenu des déclarations préjudiciables : les traits de personnalité, les caractéristiques, les comportements et les rôles historiques et politiques qui sont attribués au sujet des préjugés selon la personne concernée ((influence et domination juive, complot, perfidie, peuple déicide, …). La dimension affective du préjugé renvoie aux émotions ressenties à l’égard de l’objet du préjugé, l’intensité émotionnelle du préjugé : distanciation, rejet, aversion, aversion, haine. Enfin, la dimension conative renvoie à la volonté d’agir conformément aux préjugés, notamment à travers la volonté de voir se réaliser la discrimination.

La deuxième forme d’antisémitisme, également souvent appelé antisémitisme secondaire, se rapporte à la négation, la relativisation et la contestation de la Shoah et de ses leçons historiques.

La troisième forme concerne le rejet antisémite d’Israël. « Il ne s’agit pas de la critique d’Israël mais de l’expression ou l’acceptation de points de vue anti-israéliens qui dépassent les limites généralement acceptées de la critique politique », précise András Kovács. « Israël est condamné pour certains actes qui ne sont jamais attribués à d’autres Etats et les condamnations injustes de l’Etat juif sont extrapolées à tous les Juifs ». Les deux auteurs de l’enquête n’ignorent pas les controverses sur la nature antisémite de l’antisionisme et les modes d’actions qu’il encourage (boycott) aujourd’hui. Pour ce faire, ils ont d’abord retenu trois affirmations considérés unanimement comme antisémites :

(1) quand je pense à la politique israélienne, je comprends pourquoi certaines personnes haïssent les Juifs ;

(2) les Israéliens se comportent comme des nazis envers les Palestiniens ;

(3) à cause de la politique israélienne, je déteste les Juifs plus que d’autres.

Ils ont ensuite choisi une quatrième affirmation relative au boycott d’Israël : (4) la politique israélienne envers les Palestiniens justifie le boycott international d’Israël.

« Pris isolément, cette dernière affirmation ne procède pas de l’antisémitisme », signale András Kovács. « Mais dans d’autres situations très fréquentes, elle peut être antisémite, notamment lorsque la personne interrogée valide les trois premières affirmations ». Et pour affiner leurs analyses, cette enquête s’intéresse aussi aux personnes réticentes à exprimer leurs préjugés antisémites ouvertement. C’est ce que ces deux chercheurs qualifient d’antisémitisme latent. Ils ont donc identifié un groupe de personnes interrogées qui ne partagent pas de préjugés antisémites traditionnels (primaires) mais font preuve d’antisémitisme secondaire et d’hostilité antisémite à l’égard d’Israël.

En cartographiant les opinions antisémites selon cette typologie, les auteurs de cette enquête réussissent à mettre en exergue une division géographique importante entre l’Europe occidentale et l’Europe orientale. Ainsi, c’est au sein des pays de l’ancien bloc communiste et de la Grèce que les préjugés antisémites sont affichés dans des pourcentages élevés. Les scores les plus élevés en matière d’antisémitisme primaire se retrouvent en Grèce (48%), en Hongrie (42%), en Pologne (42%), en Slovaquie (39%) et en Roumanie (38%). Le seul pays d’Europe occidental à atteindre ces pourcentages est l’Autriche.

Selon l’indicateur de la répartition des attitudes antisémites dans la négation, la relativisation et la contestation de la Shoah et de ses leçons historiques (antisémitisme secondaire), la moyenne globale des 16 pays étudiés est de 39% d’affirmations exprimant ce type d’antisémitisme. A nouveau les pays marqués par un antisémitisme primaire important affichent des scores encore plus élevés dans cette catégorie : 71% de Polonais, 67% de Grecs, 63% de Hongrois et de Roumains, 58% d’Autrichiens et 53% de Slovaques sont d’accord avec les affirmations relevant d’un antisémitisme lié à la Shoah et sa négation.

 

La Belgique dans le peloton de tête du rejet antisémite d’Israël

La répartition de l’hostilité antisémite à l’égard d’Israël diffère d’un pays à l’autre même si les pays affichant des scores très élevés en matière d’antisémitisme primaire et secondaire atteignent des pourcentages tout aussi édifiants. Ainsi, dans les échantillons polonais et grec, la proportion de ceux qui expriment des sentiments antisémites à l’égard d’Israël est remarquablement élevée (74% et 70%, respectivement), mais dans cette dimension, cette proportion est la plus élevée en Autriche (76%). Il est en revanche frappant de constater que ces pays sont suivis par la Belgique (62%) et la France (59%), deux pays où ni l’antisémitisme primaire ni l’antisémitisme secondaire ne sont exceptionnellement forts. La Lettonie, l’Italie et l’Allemagne présentent des niveaux d’hostilité antisémite à l’égard d’Israël beaucoup plus faibles que les données françaises, belges ou espagnoles. Aux Pays-Bas et en Suède, le taux d’hostilité antisémite à l’égard d’Israël était de 36%, et il était de 31% au Royaume-Uni. Ces trois pays d’Europe occidentale forment ainsi un groupe de pays caractérisés par une hostilité antisémite relativement modérée envers Israël et un faible antisémitisme lié à la Shoah.

Si cette enquête n’analyse pas le processus par lequel les préjugés antijuifs se transforment en une culture antisémite où des acteurs sociaux qui exploitent cette culture à des fins politiques, elle a le grand mérite de se focaliser sur des angles morts de nombreuses politiques de lutte contre l’antisémitisme : les préjugés des personnes qui, même si elles n’ont pas tendance à commettre ou à soutenir des actes antisémites violents, « comprennent » souvent leurs auteurs ou du moins ne les condamnent pas fermement, créant ainsi une atmosphère qui favorisent les auteurs potentiels à passer l’acte. Le rejet antisémite d’Israël est aussi un de ces angles morts que cette enquête ne néglige pas et qui devrait être traitée avec moins d’indulgence par les pouvoirs publics et les faiseurs d’opinion en Europe occidentale en générale, en Belgique en particulier.

*Antisemitic prejudices in Europe, Survey in 16 European countries, vol. I & II, András Kovács and György Fischer. Téléchargeable sur le site d’Action and Protection League (APL) https://apleu.org/

Les résultats de la Belgique

19% de Belges (10% modérément et 9% sévèrement) ont des préjugés antisémites primaires ;

34% de Belges (31% modérément et 3% sévèrement) ont des préjugés antisémites secondaires ;

62% de Belges (48% modérément et 14% sévèrement) expriment un rejet antisémite d’Israël ;

38% de Belges expriment des sentiments philosémites.

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Amos Zot
Amos Zot
1 année il y a

62% de Belges (48% modérément et 14% sévèrement) expriment un rejet antisémite d’Israël ;

Quand j’ecoute certaines émissions radio de la RTBF , je crois qu’il faut féliciter les 38% de Belges qui sont parvenus à résister à la propagande anti-israélienne et antisémite de ce média de service public. Pour les 62% qui n’ont pu résister, il faut reconnaître que c’est très difficile vu le “professionnalisme” des propagandistes qui quasi tous les jours s’emploient à dénaturer les faits, user du double standard à l’encontre d’Israël,…..
Des descendants de ceux qui ne savaient pas , qu’au coeur de l’Europe , les nazis massacraient 6 millions de Juifs, s’emploient maintenant à nazifier les Juifs; le comble c’est que tout cela se fait au nom du progressisme, de l’antiracisme,…..

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