Andrée Geulen-Herscovici fête ses 99 ans

Il est communément admis dans le journalisme qu’un train à l’heure, ce n’est pas vendeur comme information. Peu importe cette considération. Nous avons une excellente nouvelle à annoncer : une grande dame et grande résistante fête ses 99 ans aujourd’hui.

Toujours élégante et sensible aux marques de galanterie, Andrée Geulen-Herscovici n’apprécierait pas qu’un homme révèle son âge. Mais il faut bien reconnaître que dans notre contexte plutôt morose, cela fait du bien de savoir qu’une femme aussi exceptionnelle soit toujours parmi nous et célèbre son 99e anniversaire. Ces derniers temps, nous avons annoncé trop de décès de femmes et d’hommes que nous apprécions qu’il nous semble important de célébrer la vie, d’autant plus lorsqu’elle est exemplaire (Yad Vachem l’a reconnue comme Juste parmi les nations et le CCLJ lui a décerné en 2004 le titre de Mensch).

Exemplaire car le militantisme et le sens de l’engagement se sont manifestés très tôt chez Andrée Geulen. Issue d’une famille bourgeoise libérale bruxelloise, elle s’est engagée lors de la guerre d’Espagne en faisant des colis pour les enfants républicains. Institutrice de 21 ans lorsque la guerre éclate, elle est révulsée par la vue des enfants à l’étoile jaune, Andrée Geulen décide d’entrer dans la Résistance.

A l’été 1942, les rafles succèdent aux convocations pour « mise au travail ». Le Comité de Défense des Juifs (CDJ) entre en action : Yvonne Jospa, Ida Sterno et Maurice Heiber mettent en place le plan de sauvetage des enfants juifs.

Jeune enseignante, elle est décidée à combattre la barbarie nazie : « J’habitais au pensionnat Gatti de Gamond où j’étais entrée comme surveillante et donnais quelques cours. La directrice, Odile Henri, mère d’une de mes amies d’études, avait recueilli une douzaine d’enfants juifs. Elle recevait régulièrement la visite d’Ida Sterno qui m’a demandé de rejoindre leur groupe et d’aider à transporter les enfants. J’ai accepté immédiatement ».

 

 

Au printemps 1943, Andrée rejoint donc le CDJ à la demande d’Ida Sterno. Andrée devient ainsi l’une des membres non-juives de la section enfants du CDJ. Sa tâche consiste à contacter des familles juives, à les convaincre de se séparer des enfants, de doter ces derniers d’une fausse identité et de les conduire en un lieu où ils pourront être cachés. Entre le printemps 1943 et la libération de septembre 1944, Andrée accompagne plus de 300 enfants juifs dans un lieu où ils sont cachés.

Ces missions périlleuses sont aussi pénibles moralement car ces enfants vivaient la douleur de la séparation. « C’était pour moi le moment le plus difficile. Prendre les enfants à la maison. La séparation! Les enfants ne pleuraient pas. Les plus grands raisonnaient leur maman. Les plus petits me faisaient directement confiance quand je leur disais qu’on partait à la campagne, voir les petites vaches et les poules. Je crois que si j’avais eu moi-même des enfants, je n’aurais pas eu le courage de les enlever à leurs mères en refusant de leur dire où on allait les cacher. Je ne pleurais pas avec elles… J’avais toujours peur d’arriver trop tard, me disant : ‘Peut-être que cette nuit l’enfant sera raflé’ ».

Bien plus tard, elle exprimera la souffrance qu’elle éprouvait lors de ces « transports ». L’enfant qu’elle conduit au couvent et qui pleure en silence lorsqu’elle le quitte. Devant cet enfant, elle ne doit laisser transparaître de ses sentiments. Ce qui peut parfois laisser l’image d’une jeune femme sans émotion et sans cœur. Image trompeuse et fausse car une fois sortie, elle sanglote car elle aime déjà cet enfant qu’elle a dû abandonner, le symbole de tous ceux qu’on pourchasse.

Andrée Geulen-Herscovici a sauvé des centaines de vies durant cette période terrible. Les témoignages des enfants juifs qu’elle a sauvés sont nombreux et convergents. David Inowlocki, ancien président de l’Enfant caché, exprime bien ce qu’ils éprouvent à l’évocation de son nom : « C’est comme si nous nous étions toujours connus. Elle fait partie de ma famille. Elle aide à vivre, nous réconcilie avec l’humanité! Ceux qui n’ont pas vécu la clandestinité et le placement des enfants ont du mal à comprendre l’attachement viscéral que nous éprouvons pour elle ! ».

Aujourd’hui, nous souhaitons tous à Andrée Geulen-Herscovici un joyeux anniversaire qu’elle célèbre aujourd’hui avec ses filles, ses petits-enfants et arrière-petits-enfants. Nous espérons qu’elle pourra encore chanter l’Internationale, dont elle connait encore toutes les paroles, jusqu’à 120 ans.

Écrit par : Nicolas Zomersztajn
Rédacteur en chef
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