Antisémitisme : quand Les Ecologistes français décident de montrer patte blanche

Laurent-David Samama
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Soucieux de se distancier de leurs alliés insoumis, les Verts français prennent enfin le sujet de la lutte contre l’antisémitisme à bras le corps et entreprennent un travail d’information et de formation de leurs troupes. Pour quels résultats ?

« Comment osez-vous ? » Vos propos récurrents alimentent la haine qui mène au pire. Non, l’antisémitisme n’est pas résiduel. » Au lendemain du viol d’une adolescente juive à Courbevoie, en banlieue parisienne, le 19 juin 2024, Eric Dupond-Moretti, ministre français de la Justice, tançait publiquement Jean-Luc Mélenchon pour son aveuglement sur la question de l’antisémitisme. Un mal qui, à en croire ce dernier, serait semblable à une persistance du passé, certes présente au sein de la société française mais loin d’être déterminante. Circulez, il n’y a rien à voir ! Depuis plusieurs mois pourtant, l’ampleur de la vague antisémite qui touche la France inquiète. Régulièrement pointés du doigt, le leader de la France Insoumise et l’ensemble de sa formation politique sont accusés de nourrir la bête immonde. Une accusation reprise à son compte par Yonathan Arfi, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), identifiant semaine après semaine toujours plus de dérapages verbaux et de preuves d’une clientélisation de l’offre politique, en fonction des publics cibles. De quoi jeter l’opprobre sur tous les partis constituante le Nouveau Front Populaire, cette alliance des partis de gauche allant de LFI au PS en passant par le Parti communiste et les Verts. Une accusation qui pèse… En off, certains militants écologistes interrogés s’inquiètent d’être assimilés à leurs alliés politiques de circonstance : « La stratégie mélenchoniste est désastreuse ! Si LFI décide de flirter avec la ligne rouge, ce n’est pas notre cas ! ». Pour mettre les choses au clair, Les Verts français ont donc décidé de montrer patte blanche…

Les leçons de « l’affaire Médine »

Un acte fondateur qui, aussi symbolique soit-il, ne suffira à éviter ni les reculades, ni les voltefaces. En dépit des annonces, plusieurs épisodes dont la médiatique « affaire Médine » semblent témoigner d’une attitude toujours ambiguë sur la question de l’antisémitisme. Résumons les faits. Deux années après la constitution du groupe de travail, à l’été 2023, EELV organise son université d’été et convie, en grandes pompes, le rappeur Médine. Une invitation qui passe mal. Le rappeur est en effet connu pour une série de déclarations polémiques, des paroles sans équivoques de la chansons Don’t Laik clamant « crucifions les laïcards » sur l’album Jihad (2005) à une photo datant de 2014 où l’on voit l’artiste faisant le geste de la quenelle popularisé par Dieudonné. Sans évoquer un jeu de mots pour le moins scandaleux ciblant Rachel Khan, petite-fille de déportés. En dépit d’une levée de boucliers au sein de l’opinion et de la fronde d’une partie des forces écologistes en interne, la direction d’EELV tient contre vents et marées et maintient son invitation. Médine est à la tribune, comme si de rien était… Il faut alors relire le commentaire de l’éditorialiste Laurent Sagalovitsch publié, au moment des faits, sur Slate : « Pour certains écolos ou Insoumis, le combat contre le racisme s’arrête là où commence l’antisémitisme. Autant on sait se montrer impitoyable (et a juste titre) dès lors qu’il s’agit de défendre des populations opprimées, autant quand on en vient aux juifs, on fait montre d’un pragmatisme pour le moins étonnant. On n’accepterait jamais cela venant d’un individu qui par le passé aurait eu des accointances avec des personnes ouvertement racistes, mais pour celui coupable d’avoir plus ou moins frayé avec des courants de pensée dominés par la haine du juif, on déploie tout un argumentaire où, à grands coups de ‘‘oui mais non’’, on donne l’impression de vouloir l’exonérer de ses fréquentations tapageuses. Autrement dit, la vigilance s’arrête là où commence l’antisémitisme. On traitera avec mépris celui qui aurait eu une attitude désinvolte vis-à-vis de minorités sexuelles ou identitaires, mais pour celui dont l’attitude aura entretenu le doute sur son rapport à l’antisémitisme, on découvre soudain les charmes du repentir et de l’erreur de jeunesse… » Comme le souligne Sagalovitsch, les Verts ont bien un problème avec la question juive, celle-ci constituant au mieux un impensé total, au pire un sujet que l’on cherche par tous moyens à mettre sous le tapis.

Marine Tondelier, secrétaire nationale des Verts aux côtés de Yannick Jadot, ancien candidat écologiste à la présidentielle française. ©Reuters/Yara Nardi

Dans le chapitre qu’il consacre au sujet dans l’ouvrage collectif Histoire politique de l’antisémitisme en France (Éditions Robert Laffont, 2023), Emmanuel Debono, docteur en Histoire et rédacteur en chef du Droit de vivre, la revue de la LICRA parle « d’angle mort » mais également de « problème structurel » et surtout « de la difficulté à singulariser l’antisémitisme », c’est-à-dire à le distinguer des autres formes de racisme, découlerait un « amateurisme persistant » prenant la forme d’éléments de langage mal maitrisé, de formulations hasardeuses et de rétropédalages courants lorsque le réel impose de dénoncer sans ambiguïté un mal que les Verts ne comprennent que partiellement. En la matière, l’absence de doctrine et d’héritage politique solide, notamment au sein de l’œuvre de René Dumont icône et grand inspirateur du mouvement écologiste en France, s’avère problématique. Hormis une position anticolonialiste constante et un tropisme antisioniste marqué, on ne trouve rien à proprement parler chez Dumont au sujet de l’antisémitisme. Demeure alors la question juive abordée sous le seul angle du conflit au Proche-Orient, une tradition reprise de génération en génération, de Dumont à Ginette Skandrani en passant par Esther Benbassa, Patrick Farbiaz ou Eric Piolle.

Sortir de l’ambiguïté

Comment sortir de l’ambiguïté ? Pour l’heure, le retour au premier plan du conflit israélo-palestinien semble encore et toujours constituer une difficulté majeure de nature à éclipser la possibilité de la prise en compte de la question antisémite, continuellement liée aux considérations géopolitiques proche-orientales. En interne, la passion antisioniste a fait son chemin. De la même manière qu’au sein du PCF, du NPA et de LFI, elle constitue un carburant utile et fédérateur, permettant de voir dans la convergence des luttes un horizon régénérateur. « La sortie de l’adolescence est décidément bien longue, comme le serait, sans doute, le chemin qui conduirait à se départir d’une ligne et d’une image antisionistes, devenues profondément encombrantes et dont le bénéfice politique reste à démontrer », opine Debono. Reste que les bonnes nouvelles existent. Et puisqu’aux frontières du parti, Jean-Luc Mélenchon s’aventure sur un chemin dangereux, un front de rébellion interne s’est constitué et solidifié ces dernières années au sein des Ecologistes. Celui-ci traverse le parti en deux et est incarné par des figures de premier ordre telles que Yannick Jadot, Alice Timsit, Karima Delli, Jeanne Barseghian ou encore Sandrine Rousseau. Des vigilants dont le travail et l’influence ont permis de relancer l’idée de formations internes et de débats autour des violences antijuives. Dernièrement, à l’occasion des Journées d’Été du parti, un atelier intitulé « Comment rassembler à gauche contre l’antisémitisme après le 7 Octobre ? » était organisé. Le début d’une nouvelle ère ?

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