Antisémitisme et extrême-droite : un loup déguisé en agneau

Sarah Borensztein
En ce début d’été, un sujet bien sombre s’est retrouvé au centre du débat politique français. À la suite d’une déclaration de Serge Klarsfeld, la scène médiatique s’est mise à discutailler, des jours, des semaines durant, afin de savoir quel parti était le plus antisémite, et ce que les Juifs allaient voter. Une ère surréaliste qui appelle à la plus grande prudence.
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En juin dernier, lors de la dissolution de l’Assemblée nationale française par le président Emmanuel Macron, un sujet est devenu névralgique : l’antisémitisme. Ceci notamment parce qu’une grande figure publique, qui a fait de la traque des nazis et de la mémoire de la Shoah les combats de sa vie, a affirmé que si, au second tour, elle n’avait le choix qu’entre LFI et le RN, elle choisirait sans hésiter le second. Le 15 juin, Serge Klarsfeld expliquait, effectivement, au micro de Darius Rochebin (LCI) constater « les relents antisémites et le violent antisionisme » de LFI, là où le RN, selon lui, aurait « fait sa mue ». Il fut rejoint sur ce point par son fils, Arno Klarsfeld. Précisons que Serge Klarsfeld, qui n’envisageait là que le pire scénario, a indiqué toujours voter au centre et considérer « le Nouveau Front populaire comme un ennemi politique, et le RN comme un adversaire politique ».

« Le Nouveau Front populaire constitue la première menace pour les Français juifs ».

Il n’en fallait pas plus pour que les verrous sautent et que les médias de tous bords se mettent à s’interroger sur « le vote juif », et à retranscrire des opinions de Français juifs lambda qui abondaient ou pas dans le sens des célèbres avocats père et fils. Alors que certains se seraient purement et simplement prononcés en faveur du RN, d’autres, moins affirmatifs, auraient néanmoins déclaré qu’aujourd’hui, il leur paraissait moins dangereux que LFI et que donc, en cas de face-à-face, ils choisiraient peut-être le premier. Comprenez : des deux maux, on choisit le moindre. D’autres, enfin, refusaient tout net d’envisager un vote pour l’extrême droite, quel que fut l’adversaire en face.

L’indécence insoumise

Il est important de rappeler qu’il ne s’agit là que d’impressions et de quelques témoignages. En tirer des conclusions sur un supposé « vote juif » serait simpliste et dangereux. Toutefois, on constate, ne serait-ce que dans les paroles publiques de personnalités et d’organisations juives, une inquiétude très importante vis-à-vis de LFI, voire plus importante encore que vis-à-vis du RN. Comment en sommes-nous arrivés là ?  C’est une équation à plusieurs degrés.

Tout d’abord, élément le plus évident : le comportement et le discours des différents partis. Sur Israël comme sur l’antisémitisme, La France Insoumise est en roue libre et inquiète énormément par ses outrances et ses thèmes obsessionnels. En témoigne cette tribune parue dans le Figaro du 5 juillet dernier, titrée « Le Nouveau Front populaire constitue la première menace pour les Français juifs ». Dans ce texte, signé par des universitaires, chercheurs, historiens, philosophes, comme Georges Bensoussan et Pierre-André Taguieff, les auteurs rappellent qu’au sein du NFP, le parti le plus représenté est LFI, « ce parti qui a fait de la haine antijuive une stratégie électorale » et dont ils listent les propos sidérants, comme ceux du député David Guiraud, admettant avoir été ‘‘biberonné aux vidéos d’Alain Soral’’ ». À chaque semaine sa petite phrase. On notera ainsi que malgré les sondages, rapports et chiffres alarmants sur la montée de l’antisémitisme, Jean-Luc Mélenchon a jugé bon de déclarer celui-ci comme étant « résiduel » en France, « contrairement à ce que dit la propagande de l’officialité ».

« Nous avons un boulet, c’est Mélenchon »

Deux semaines plus tard, on apprenait qu’une fillette de douze ans avait été entraînée dans un guet-apens, séquestrée, insultée, menacée avec un briquet, frappée, puis violée par deux de ses trois bourreaux… pour avoir caché sa judéité. Joli « résidu », Jean-Luc !

Pour ne rien gâcher, l’inénarrable Aymeric Caron a trouvé judicieux de souligner qu’un meurtre sur une personne rom, quelques mois auparavant, n’avait pas fait autant de bruit. Une fillette subit l’impensable, et le Che Guevara des anophèles agite la concurrence victimaire. La classe.

« Nous avons un boulet, c’est Mélenchon », a déclaré François Ruffin. Certes, mais il n’est pas seul. Les propos douteux sont désormais trop nombreux pour que le parti puisse plaider la maladresse. Entre le complotisme sur la tuerie de Toulouse, les jeux de mots écœurants (« campe à Tel-Aviv »), la minimisation des crimes du 7 octobre, l’inversion accusatoire, les sous-entendus dégoûtants sur le supposé pouvoir du CRIF et sur le « réseau d’influence du Likoud », les allusions complotistes aux Dragons Célestes (terme crypté pour parler des Juifs qui tireraient les ficelles du monde), ou encore, les soupçons d’admiration pour les « résistants » du Hamas [2]… La liste est suffisamment longue pour comprendre, sans difficulté, pourquoi les Français de confession juive se méfient de LFI comme de la peste. En revanche, qu’en est-il du Rassemblement National ? Pourquoi semble-t-il faire moins peur qu’avant ? Ou, plus exactement, pas autant que son équivalent de gauche ?

Communication bien rodée, image travaillée

La première chose, la plus visible, encore une fois, c’est le comportement et le discours. Là où LFI fonctionne aux déclarations outrancières et fracassantes, aux menaces, aux sous-entendus douteux, bref, à la brutalisation de la vie politique, le RN, lui, a lissé son image de façon brillante. Un discours toujours cadré et courtois, pas de cris, pas de « bordélisation » de l’Assemblée. Ils jouent les bons élèves et, au moindre dérapage, à la moindre brebis galeuse du parti qui effectue une sortie de piste : on fait le ménage. Le RN a compris comment se racheter une vertu aux yeux du grand public. Il y œuvre patiemment et méthodiquement depuis des années, mais le comportement lamentable de son adversaire d’extrême gauche/gauche radicale lui a permis de gagner quelques années de travail.

Concernant l’antisémitisme, chaque camp ne le voit que lorsqu’il se déclare chez l’adversaire. L’hypocrisie est donc en miroir. Cependant, depuis une douzaine d’années, des grandes affaires de meurtres ou d’attentats antisémites perpétrés par des individus radicalisés (ou « déséquilibrés », c’est selon…) souhaitant « tuer le sheitan » ou « venger la Palestine », ont rendu la tâche très facile au RN, qui a pu enfiler son costume de défenseur des Juifs sans risquer d’agacer ses électeurs, puisqu’il s’attaquait à l’islam ou à l’immigration. Il n’est pas certain qu’il eût la même pugnacité face à des terroristes néonazis. Car si le RN a changé la vitrine, nombre de journalistes essayent de gratter la couche de vernis. Caroline Fourest, qui travaillait déjà sur le FN dès ses premières années d’investigation, le martèle régulièrement : dans l’arrière-salle du parti, on trouve toujours le GUD, organisation d’extrême droite violente et ardemment antisémite.

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