Aux sources de l’engagement politique

Nicolas Zomersztajn
Pour Sophie Wilmès, ministre des Affaires étrangères du gouvernement belge et Première ministre d’octobre 2019 à octobre 2020, l'engagement prend la forme d'un cheminement personnel qui l’a menée à exercer des fonctions politiques alors que pour Benjamin Beeckmans, président du CCLJ, il se traduit par un militantisme associatif et communautaire. Deux formes d’engagement différentes marquées toutefois par la même volonté d’agir et de faire société.
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Comment avez-vous fait le choix de l’engagement et de l’action politique ?

Sophie Wilmès Travailler activement pour contribuer au bien commun me guide depuis mon enfance. A travers mes actions, petites ou grandes, j’ai toujours pensé que je me dois d’apporter quelque chose aux autres. Cela n’implique pas immédiatement un engagement politique mais cela peut prendre la forme d’initiatives plus modestes. Ne dit-on pas qu’au lieu de se plaindre de l’obscurité, il vaut mieux allumer des petites lumières. Lorsque vous combinez ce fil rouge avec une expérience de vie et des rencontres personnelles marquantes, cela conduit à l’engagement. Quant au passage à l’action politique, il se produit lorsqu’on décide de défendre des valeurs mais aussi de les concrétiser. C’est l’occasion qui m’a été donnée de transformer ces valeurs en projets concrets à travers les responsabilités que j’occupe.

Le cheminement est-il semblable dans votre engagement communautaire au CCLJ ?

Benjamin Beeckmans Le cheminement que Sophie Wilmès vient de décrire est en réalité très proche du mien et de la tradition juive. Quand le judaïsme désigne l’engagement d’un individu, il met en avant la notion de « réparation du monde » (Tikkoun Olam) qui recouvre notamment la justice sociale. En vertu de cette notion, le monde est imparfait. Il appartient donc à chacun d’essayer de le réparer. Le judaïsme n’impose aucune obligation de résultat mais il ne permet pas de s’y soustraire. L’essentiel est de faire quelque chose, que ce soit une petite ou une grande initiative et quel que soit le résultat. En s’inscrivant dans la dynamique du Tikoun Olam, on peut vaincre ses peurs et franchir le pas de l’action. Au CCLJ, cette action consiste à moderniser un héritage plurimillénaire pour qu’il puisse entrer en résonance avec le quotidien de Juifs sécularisés. J’ai pu observer qu’avec cette dynamique, des gens vont nous suivre et agir parce que cela les relie à une tradition à laquelle ils sont attachés et qu’ils veulent aussi moderniser.

S. Wilmès Vous replacez votre engagement dans le cadre plus collectif d’une culture et d’une tradition. Tout le monde ne choisit pas l’engagement de cette manière. En dehors de ce cadre culturel ou traditionnel, il y aussi un moteur personnel. Ce n’est pas l’un ou l’autre mais plutôt la réunion des deux qui favorisent l’engagement. Ce n’est que lorsque le terreau fertile des aspirations individuelles est nourri par un environnement et toute une série de rencontres que cela finit par porter ses fruits. Lorsque je porte un regard rétrospectif, quelle que soit la fonction exercée, je m’aperçois que j’ai toujours choisi de me consacrer à la collectivité. Et lorsque j’essaie de me projeter dans l’avenir, je suis convaincue que je continuerai à agir en faveur de la collectivité et de l’intérêt général.

B. Beeckmans Mon ancrage culturel se combine aussi avec des aspirations individuelles. J’éprouve énormément de satisfaction à voir les gens accomplir des initiatives ou des projets que j’ai initiés ou facilités. J’évalue surtout la qualité de mon engagement quand j’arrive à mettre en place des initiatives qui perdurent. On m’a transmis le flambeau de la présidence du CCLJ et il m’appartient à faire en sorte que la maison soit vivante et que le public ait du plaisir à s’y retrouver. Nous vivons hélas dans un monde où les gens ne se rencontrent pas suffisamment et où la tendance à la communautarisation des valeurs ne cesse de croître. C’est la raison pour laquelle notre mission est de rassembler les gens en construisant des ponts. Si à un niveau modeste nous réussissons à réunir des gens qui n’avaient a priori rien en commun et qu’ils arrivent à faire quelque chose ensemble, alors nous pouvons estimer que notre action n’est pas vaine. C’est ce que j’appelle le « faire ensemble » que je préfère au  « vivre ensemble ». On peut vivre ensemble dans le même immeuble sans jamais se parler pendant des années. Si en revanche on construit quelque chose ensemble, on établit une relation durable sur base de valeurs partagées et on réussit à faire société.

En tant que responsable politique, quel regard portez-vous sur ceux qui ont fait le choix de s’impliquer activement dans la sphère associative ou communautaire ?

S. Wilmès Quand je vois ce que fait le CCLJ, je ne peux m’empêcher d’y voir une forme d’engagement politique car il
témoigne d’une participation active à la société. De toute manière, l’engagement, quel qu’il soit, implique une ouverture sur l’Autre. Mais je voudrais malgré tout ajouter que ce besoin de participer à un projet collectif se retrouve aussi dans le monde politique. La réalité politique est très loin des visions caricaturales que certains se plaisent à projeter. Ainsi, il ne faut jamais oublier les milliers de conseillers communaux ou conseillers de CPAS qui au quotidien s’engagent pour leur commune de manière quasi bénévole. A travers leur action, ces femmes et ces hommes témoignent d’un altruisme analogue à celui des militants associatifs.

B. Beeckmans La question est de savoir ce qui fait société. On peut se retrouver sur des valeurs et des engagements. Nous nous voyons comme des acteurs politiques au sens étymologique du terme, c’est-à-dire des citoyens impliqués dans la vie de la Cité. Nous agissons en veillant à construire des ponts nécessaires. L’histoire du CCLJ est jalonnée de moments que nous ne pensions pas possibles. C’est en mobilisant les gens sur des valeurs que nous avons concrétisé nos aspirations. Du statique, on est passé au dynamique, de la réflexion à l’action. Cette mobilisation nous permet de ne pas sombrer dans l’indifférence. Par le passé, nous l’avons fait pour venir en aide aux Juifs d’URSS et pour favoriser le dialogue israélo-palestinien. Aujourd’hui, nous nous efforçons de construire des ponts au sein de la société belge. Ainsi, nous avons un programme d’éducation la citoyenneté, « La haine, je dis non ! », qui nous permet de réunir des élèves d’écoles de la Fédération Wallonie Bruxelles où le débat sur des notions comme l’égalité, la mixité, la laïcité. est devenu très difficile. Des enseignants de certaines écoles nous disent qu’il leur est impossible de parler du 20e siècle car cela déclenche des conflits entre élèves. Avec « La haine, je dis non ! », nous y arrivons même si c’est difficile.

L’individualisme n’est-il pas un frein à l’engagement politique ?

S. Wilmès. On vit dans une société qui fonctionne à la carte. Ce qui n’est pas nécessairement négatif. Quand on n’a pas une grande faim, on n’est pas obligé de commander tout le menu. En termes d’engagement, cela signifie que les citoyens prennent exactement ce qui leur convient à un moment précis. Cela ne sert à rien de les culpabiliser en leur disant que cette manière de s’engager à la carte est négative. Il faut accepter cette réalité et en tirer le meilleur. Il y a des moments où le citoyen est plus disponible pour s’engager en faveur de la collectivité et d’autres moments où il préfère se consacrer à lui ou à sa famille. Si on s’obstine à déplorer cette situation, on se prive de talents et de forces d’action importantes.

B. Beeckmans Nous connaissons bien cette problématique. L’histoire du CCLJ est imprégnée par le militantisme. Nous étions dans une dynamique d’engagement total et ces dernières années, nous avons dû apprendre à accepter que les gens conçoivent leur engagement à la carte. La modernisation des modes d’action est une priorité pour que nous puissions être le porte-voix de celles et ceux qui partagent nos valeurs. En travaillant sur les valeurs, nous pouvons mieux lutter contre les dynamiques de repli et toutes les formes de communautarisme. La tâche d’une organisation comme le CCLJ est d’offrir les outils pour que les optimistes puissent agir et chercher ce qui rassemble au lieu d’affirmer ce que nous sépare.

S. Wilmès. Je n’ignore pas le danger du repli sur soi et des égoïsmes mais je reste convaincue que la société est mue par une dynamique fondamentalement plus rassembleuse. La crise du Covid-19 l’a illustré admirablement. De nombreuses initiatives de solidarité ont été déployées ces derniers mois. Les Belges ont exprimé le besoin de se rassembler autour de projets communs et collectifs. C’était d’autant plus fort que nous étions tous confinés dans nos foyers et que certains ne cessaient de répéter que la Belgique fédérale fonctionne mal. Ils ont sûrement oublié que lorsqu’on y met la volonté, cela fonctionne. Il y aura toujours des gens pour vous dire que c’est impossible et que ce n’est même pas la peine d’essayer. Or, comme vous, je vois qu’il est toujours possible d’agir, de mobiliser des bonnes volontés et de changer le cours des évènements.

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Nicolas Zomersztajn
Rédacteur en chef