Bons Baisers de Russie (made in Belgium)

Véronique Lemberg
Alain Berenboom a publié Clandestine (Genèse éditions). Dans ce roman d’espionnage où l’on suit une ancienne espionne du KGB impliquée dans un scandale politique, Alain Berenboom nous plonge en 2005, l’année où Vladimir Poutine vient d’être réélu président de la Fédération de Russie.
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Ecrire un roman dont un des personnages principaux n’est autre que Vladimir Poutine laisse supposer que son auteur ait été particulièrement inspiré par la guerre en Ukraine que le maitre du Kremlin s’obstine encore aujourd’hui à qualifier d’opération spéciale. Contre toute attente, ce n’est pas le cas d’Alain Berenboom qui a terminé le premier jet de son manuscrit lorsque Poutine a décidé de déclencher les hostilités en Ukraine. « Je me suis donc demander si je ne devais pas revoir certaines choses dans ce livre », explique-t-il. « Mais comme l’action de ce roman se situe en 2005 et que le personnage de Poutine est déjà trouble à une époque où la presse occidentale voit plutôt en lui un homme fiable avec lequel on peut s’entendre, je ne devais rien changer ».

Le choix de situer l’action en 2005 est judicieux car il permet à Alain Berenboom de prendre toutes les libertés romanesques que la fiction lui procure mais aussi de s’appuyer sur un contexte historique et géopolitique largement documenté. A cet égard, le choix de l’année 2005 ne relève en rien du hasard. « Il fallait que la période corresponde à l’âge de Iulia, l’héroïne de ce roman. C’est-à-dire une femme ayant terminé ses études durant les années 1980, engagée par le KGB et envoyée à Dresde où elle travaille sous les ordres du fonctionnaire Poutine, également en poste dans cette ville d’Allemagne de l’Est, pour enfin terminer dans la Russie postsoviétique des années 2000 », raconte Alain Berenboom. « Si j’avais situé l’action dix ou quinze plus tard, Iulia était trop âgée et n’aurait pas vécu ce dont je voulais parler : l’Union soviétique et la transition vers la Russie postsoviétique. Et en 2005, c’est précisément le moment d’hésitation où la Russie aurait pu basculer sans problème dans le camp occidental. Voyant qu’il y avait un marché au potentiel énorme qui s’ouvrait, il faisait les yeux doux à la Russie. D’autant plus qu’on sortait de la Guerre froide et que tout le monde voulait tourner cette page de l’histoire. J’ai le sentiment que l’année 2005 est la dernière fois que la Russie aurait pu passer du bon côté du manche. C’était d’ailleurs le pari d’Angela Merkel ».

Guerre froide et Russie éternelle

Ce n’est pas à un cinéphile passionné comme Alain Berenboom qu’on suggèrera que Poutine évoque ce méchant que le cinéma hollywoodien affectionnait tant durant la Guerre froide même si le président russe est un personnage complexe. Il apparait sur la scène politique russe dans le sillage de Boris Eltsine qui avait libéralisé la Russie du joug du parti communiste, privatisé l’économie mais n’avait pas pu empêcher la corruption généralisée et le désastre social balayant les plus modestes et les plus vulnérables.

« Poutine a remis dans l’ordre dans ce chaos même si ses méthodes sont contestables et s’il a également toléré la corruption de son entourage et des oligarques », rappelle Alain Berenboom. « Mais pour le Russe moyen, Poutine incarne l’équilibre et la sécurité après le désordre des années Eltsine. C’est à partir de 2014 qu’il commence à montrer des velléités impériales et à devenir ce méchant digne des films d’espionnage de la Guerre froide. Il se comportera d’ailleurs comme Ivan le Terrible. Comme si tout ce qui existait avant la Russie soviétique avait fait sa réapparition ».

Alain Berenboom / S.piraux

Grâce à sa nostalgie des salles obscures Alain Berenboom entraine à nouveau ses lecteurs dans un univers romanesque où plane l’ombre de Lubitsch et de Wilder. Le personnage de Iulia, l’espionne russe qui s’échappe de Russie et trouve refuge chez une ancienne émigrée russe nostalgique de la Russie éternelle et l’URSS, s’inscrit dans la le droit fil de Ninotchka, la caricature de l’espionne soviétique froide interprétée par Greta Garbo qui voit ses convictions mises à rude épreuve quand elle rencontre le séduisant et corrupteur occidental à Paris.

En lisant ce roman, on sera surtout amené à démêler la réalité de la fiction car il est aussi question de kompromat, ce terme russe utilisé pour désigner un scandale public généré par la diffusion des documents compromettants fabriqués de toute pièce pour décrédibiliser une personnalité gênante. Mais cet ingrédient majeur pour un roman d’espionnage est précisément le seul élément réel de cette fiction drôle et rythmée.

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