En route pour la cinquième

Elie Barnavi
Ce quatrième tour de notre interminable saison électorale a débouché, comme les trois premiers, sur un match nul. De longues tractations censées accoucher d’une coalition gouvernementale vont débuter maintenant, avec de fortes chances qu’elles ne produisent rien d’autre qu’une nouvelle échéance électorale, la cinquième en deux ans. En attendant, on peut établir avec quelques certitudes cinq faits.
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1. Avec quelque 75 membres sur 120, la nouvelle Knesset confirme et accentue la poussée à droite de l’électorat. Fait nouveau, Otzma Yehoudit (« force juive »), un parti « sioniste religieux » messianique, raciste et homophobe s’assure six sièges et une place garantie dans l’éventuelle coalition de Netanyahou. En son sein, des émules de feu rabbin Kahana, jadis chassés de la Knesset par la Cour suprême pour cause de racisme. On mesure l’évolution des mœurs politiques du pays au sort fait à ces voyous : dans les années 1980, lorsque Kahana, seul représentant de son parti Kach (« Ainsi »), montait à la tribune, le Premier ministre Shamir et tous les députés du Likoud quittaient l’hémicycle ; aujourd’hui, Netanyahou a fait des pieds et des mains pour assurer l’élection de ses disciples.

2. Cela dit, les deux blocs qui se sont fait face n’étaient pas définis par des options idéologiques concurrentes du type droite/gauche mais par leur attitude à l’égard de Netanyahou, qui continue de dominer de la tête et des épaules le champ de ruines de la politique nationale. « Bibistes » contre anti-Bibi. 

3. Aucun de ces blocs n’a réussi à s’assurer la majorité lui permettant de gouverner le pays. Le camp des « bibistes » réunit 52 députés, celui qui se réclame du « changement » en aligne 57. Deux partis réservent leur jugement et font ainsi figue de fléau de la balance : les sept élus de Yamina de Naftali Bennett, une formation de la droite dure mais en principe hostile à Netanyahou ; et les quatre islamistes de Ra’am (la Liste arabe unie de Mansour Abbas).

4. La répartition des forces à l’intérieur des deux camps répond tout de même à une certaine logique idéologique. D’un côté, le Likoud, qui a perdu plus de 300 000 voix par rapport au scrutin précédent, soit 20% de sa représentation à la Knesset, mais reste, avec 30 élus, la première force du pays ; ses « alliés naturels » ultra-orthodoxes du Shas séfarade (neuf députés) et du Judaïsme unifié de la Torah ashkénaze (sept) ; et les extrémistes de Sionisme religieux (six). De l’autre, un pot-pourri de formations de gauche, du centre et de droite, dominé par Yesh Atid de Yaïr Lapid (dix-sept élus) et dont le seul ciment est le rejet du premier ministre. C’est ce bloc autoproclamé du « changement » qui réserve le plus de surprises. Avec six maigres sièges, Gideon Sa’ar, rival de Netanyahou au sein du Likoud qui a fait défection pour créer sa propre formation, Tikva Hadasha (« Nouvel espoir »), a visiblement perdu son pari. Défiant toute attente, le Kahol Lavan de Benny Ganz, tout dévalué qu’il fût par son entrée malencontreuse dans le dernier gouvernement Netanyahou, a réussi à sauver les meubles. Certes, les scores des précédentes campagnes qui en faisaient le premier parti du pays et lui permettait de défier Netanyahou, ne sont plus qu’un lointain souvenir ; mais, pour quelqu’un qu’on donnait pour mort, huit sièges constituent un appréciable lot de consolation. De même, les travaillistes ont connu sous la houlette d’une femme remarquable, Merav Michaeli, une véritable résurrection. Là encore, sept sièges pour le parti de Ben Gourion, fondateur de l’Etat et son façonneur quatre décennies durant, c’est apparemment modeste, mais, à l’heure où son avis de décès s’affichait partout, ce n’est pas si mal. Enfin, Meretz, seul représentant de la gauche sioniste jusqu’à la remontée des travaillistes du royaume de morts, a arraché six sièges. Ceux qui se désespéraient à l’idée d’un parlement avec des kahanistes et sans Meretz, respirent mieux.

5. A court terme, les citoyens arabes d’Israël sont les grands perdants de ce scrutin. La Liste arabe unifiée, une alliance de quatre formations disparates obligées à joindre leurs forces par l’élévation en mars 2014 du seuil électoral de 2 à 3,25%, s’est défaite à l’approche de ce dernier scrutin. Les islamistes de Ra’am ont fait cavalier seul. Ensemble, ils avaient réussi lors de la dernière élection à arracher quinze sièges, ce qui en faisait le troisième groupe de la Knesset. Cette fois-ci, la Liste restante – les communistes de Hadash, les nationalistes de Balad et les centristes de Ta’al d’Ahmad Tibi – n’en a obtenu que six. Ra’am, lui, après avoir frôlé le seuil électoral, a fini par le franchir. Je dis à court terme, car la signification de ce divorce va bien au-delà de l’arithmétique électorale actuelle. Le chef de Ra’am, Mansour Abbas, s’affiche comme un pragmatique, déterminé à jouer le jeu politique israélien au bénéfice de sa communauté. Il a trouvé en Netanyahou un allié potentiel – un Netanyahou qui, à rebours de tout ce qu’il a fait et prêché jusque-là, s’est mis brusquement à courtiser les Arabes avec la même vigueur avec laquelle il les traînait naguère dans la boue. Cette pantalonnade a un côté positif : elle accélère le processus d’insertion des citoyens rabes dans la société israélienne. Demain, il sera difficile à la droite d’accuser ses adversaires de trahison sous prétexte qu’ils recherchent la coopération politique des Arabes israéliens.

Avec ces faits à l’esprit, risquons un regard prospectif. Le bloc anti-Netanyahou dispose d’une courte majorité. Mais son parti dominant, Yesh Atid, n’a obtenu que 17 sièges, bien en deçà de qu’il espérait. Surtout, le « camp du changement » est fait de bric et de broc, l’éventail des attitudes et des personnalités le rendant incapable d’offrir une alternative crédible. Mettre ensemble l’extrême droite séculière d’Avigdor Lieberman, la droite nationaliste de Gideon Sa’ar, la gauche sioniste du parti travailliste et de Meretz et la gauche arabe de la Liste unifiée ? Imaginez en Belgique une alliance des libéraux, des écolos, du PTB et du Vlams Belang. En principe, la tâche est plus aisée pour Netanyahou, seul leader incontestable de son camp, lequel est aussi plus cohérent. Une cohérence sinistre : qu’il réussisse à former la coalition « à droite toute », comme il dit, et Israël dégringolera en chute libre dans l’abîme de la démocratie illibérale chère à Viktor Orban. Mais le compte n’y est pas. Le Premier ministre devra surtout convaincre Naftali Bennett, qui le déteste et n’aimerait rien tant que de lui faire payer les humiliations que lui, sa femme et son fils n’ont cessé de lui faire subir. Et il lui faudra surtout s’adjoindre le Ra’am de Mansour Abbas. Là encore, ce n’est pas gagné, et pas du fait du Likoud, dont les chefs se répandent déjà dans la presse pour dire que, tout bien pesé, compter un parti arabe « modéré » dans la coalition ne serait pas si terrible que cela. Mais parce que les suprémacistes juifs de Sionisme religieux ont déjà affirmé qu’il n’était pas question pour eux de faire alliance avec un parti arabe ; et parce que Abbas lui-même aurait quelques explications à fournir à ses mandants sur sa participation au pouvoir aux côtés desdits suprémacistes juifs. Bref, un nouveau scrutin n’est pas à exclure. Pour l’heure, c’est même la moins improbable des éventualités. Il paraît que Netanyahou s’y prépare déjà. 

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Elie Barnavi
Elie Barnavi
Historien, professeur émérite de l’Université de Tel-Aviv et ancien ambassadeur d’Israël