Le projet de refonte du mémorial attaché au Musée Kazerne Dossin date de plusieurs années déjà. Il vient de se concrétiser. Quelle doit être la fonction d’un mémorial comme celui-ci ?
A.G. Il faut tout d’abord rappeler que c’est Natan Ramet qui a tout fait pour sauver une partie du bâtiment de la promotion immobilière pour le conserver comme lieu de mémoire, témoin en Belgique du plus grand génocide. C’est essentiel, quand on sait que 80% des bâtiments qui entourent la cour ont été transformés en logements. La fonction de ce mémorial est de s’adresser aux familles des victimes en offrant une pierre tombale à ceux qui n’en ont pas eu, en redonnant aussi une âme à tous ces disparus. En incluant le facteur émotionnel, très important, qui permet aux visiteurs de rendre hommage à leurs proches ou de s’identifier à des situations vécues. J’ai choisi de commencer la visite « les yeux dans les yeux », par un mur de regards, comme une seule humanité, dénuée de toute temporalité, d’appartenance à une histoire, une religion. Cela peut être n’importe lequel de nous, hier comme aujourd’hui.
La première salle est consacrée à des photos d’avant-guerre, des scènes de mariage, de vacances à la mer…
A.G. Oui, dans la prolongation de cette idée d’humanité. Nous sommes dans un lieu de mémoire et je tenais à commémorer la vie, en recréant un lien pour permettre aux nouvelles générations qui l’ont parfois perdu justement de s’identifier. Une fresque de ce qu’est la population juive d’avant-guerre en Belgique, issue à 90% de l’immigration. C’est important dans le contexte actuel, surtout quand on sait comment cela s’est terminé. A côté de cela, un petit film montre ce qui se passe en Allemagne au même moment, avec la montée en puissance du régime, et la Nuit de Cristal notamment.
Que représente la caserne Dossin dans tout le périple qu’ont traversé les Juifs de Belgique ?
A.G. Il a fallu en effet expliquer où se situait l’horreur dans ces murs puisque personne n’est mort ici. Mais en passant les portes de la caserne, entre 1942 et 1944, la machine de la déshumanisation de mettait en œuvre. Les gens rentraient ici en hommes libres, avant d’être privés de leurs biens, de leur identité, leur intégrité physique était mise à mal. Avec son bruit incessant de machines à écrire, dressant les « transportlists », la « aufnahme » (salle d’enregistrement) évoque cet endroit où passaient les futurs détenus, et montre cette administration macabre qui demandait souvent à des Juifs de remettre à d’autres Juifs leur numéro de convoi… Le tout entouré de vitrines remplies de cartes d’identité, pour leur redonner en quelque sorte cette identité qui leur a été confisquée.
Parce que Caserne Dossin, c’est la dernière étape avant les trains, une cloche (d’origine) marque le rythme des départs…
A.G. Vingt-huit convois sont partis de Malines, et nous avons voulu représenter cela sur une heure. Chaque fois que retentit la cloche, on comprend que 1.000 personnes environ quittent la caserne Dossin en direction d’Auschwitz. Au début, les sonneries sont plus rapprochées, parce que les convois se succèdent à un rythme effréné, avant de s’espacer…
Vous avez réservé une crypte pour les portraits d’enfants détenus dans la caserne, avant le tombeau final, symbolisé par les lettres « Zakhor » (souviens-toi).
A.G. Ce mémorial des enfants existait dans le tout premier mémorial réalisé avant le grand musée. Il rappelle qu’une des particularités du génocide est d’anéantir prioritairement les femmes et les enfants, pour supprimer toute descendance. Après un espace amené à évoluer, dédié à la reconstruction,
« survivre après l’horreur », un tombeau achève la visite, couvert de petites pierres blanches pour symboliser le nombre de victimes. Des victimes qui écrivent ensemble le mot « Zakhor » et nous invitent à nous souvenir, pendant que s’échappe des haut-parleurs la liste de 28.544 noms.
Infos : kazernedossin.eu/fr
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