Le syndrome Gronowski

Joel Kotek
Commençons par l’indispensable. Simon Gronowski : on l’aime ! On l’aime pour son courage, sa générosité, surtout sa résilience à toute épreuve. Il en est l’exemple même : avocat de renom, pianiste de talent, témoin à succès invité aux quatre coins du monde ; le voilà même devenu héros d’opéra et, depuis peu, statufié de son propre vivant (Jette). Pour tout dire Simon est un homme comblé. Mieux, heureux, en tout cas à l’entendre ou le lire, comme en témoigne sa toute récente et très longue interview accordée le 16 octobre dernier à l’ex-rédacteur en chef de La Libre*, Francis Van de Woestyne.
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Dans cet entretien, Simon reprend, développe et défend, oserais-je le dire pour la énième fois, sa marotte du pardon aux bourreaux. C’est d’ailleurs le sujet et titre même de l’article : « j’ai pardonné à mon geôlier nazi ». Si, en soi, l’idée du pardon n’a rien de scandaleux, elle n’en est pas moins problématique. Tout en souscrivant à l’idée que « les fils de nazis ne sont pas coupables », ce n’est pas à un « fils de » mais bien à un nazi qu’il donne absolution de ses crimes. Celui-là même, à l’en croire qui l’aurait poussé, lui, sa mère et sa sœur, vers la mort depuis la caserne Dossin. Et quant à revenir aux « fils de nazis », s’ils ne sont effectivement pas coupables, ils n’en restent pas moins responsables devant l’histoire des crimes de leurs pères. Et c’est heureux qu’il en soit ainsi. C’est bien cette responsabilité devant l’histoire qui poussa Angela Merkel à accueillir, non sans d’âpres résistance, près d’un million de réfugiés syriens.

Dans cet entretien phare, Simon revient sur une autre de ces marottes tout aussi problématiques : « à votre avis qui porte le poids le plus lourd : le fils de la victime ou le fils du criminel ? (…) Voici ma réponse, avec beaucoup de précautions. Je crois qu’il est plus dur d’être le fils du criminel ». A mes yeux, cette affirmation, sans cesse réitérée, tient de la méthode Coué. Certes, j’ai rencontré dans ma petite vie, pas mal d’Allemands tourmentés par les crimes de leurs pères mais aussi, avouons-le, tout autant qui ne l’étaient pas. Et je doute que cette proposition s’applique aux descendants des génocidaires (jeunes-)turcs. Englués dans un déni des plus apaisants, la majorité d’entre eux s’accommodent fort bien de la disparition totale et … « inexpliquée » de leurs voisins arméniens. Mais là n’est pas l’essentiel : ce qui rend cette affirmation largement gratuite réside dans le simple fait que le destin des bourreaux et des victimes n’est en rien comparable. Ceux-ci ont pu faire des enfants, tout simplement au contraire de ceux-là. Rappelons ce simple fait : la Shoah emporta plus d’un million et demi d’enfants, dont la sœur de Simon ; autant d’innocents privés, par définition, de la moindre descendance.

Cette tragique réalité des faits souligne l’incomparable abîme qui sépare les fils de bourreaux des fils de victimes, ce qu’accrédite par ailleurs Simon à mi-mot : « encore aujourd’hui, ajoute-t-il, je pleure souvent parce que je pense tous les jours à mes parents et à ma sœur. J’ai été très malheureux mais je n’ai jamais eu de haine ». Comment dès lors penser que les tourments de Tinel, ce « fils de nazi » mais « frère » de cœur de Simon puissent un seul instant surpasser, voire égaler les siens ? L’artiste flamand ne perdit comme membre de sa famille que la … jambe d’un frère SS ; le rescapé du 20e convoi, sa mère, sa sœur puis son père de chagrin. C’est bien ce deuil impossible, ces absences, cette béance qui explique, à mes yeux, cette abyssale quête d’amour et de reconnaissance du petit orphelin … et ce, jusqu’auprès des « méchants ». C’est bien là que se trouve la source de son tropisme, de sa propension au pardon. Je le cite : « La leçon est qu’il faut pardonner (…) la victime non seulement peut pardonner mais elle doit pardonner. Seul le crime impardonnable peut être pardonné. Celui qui affirme être favorable au pardon sauf dans les cas les plus graves est en réalité contre le pardon.  (…)  Je l’ai pris {le SS flamand} dans mes bras et je lui ai pardonné. (…)  Je n’ai jamais eu de haine en moi ».

Si la haine est mauvaise conseillère, est-elle pour autant la seule alternative au « pardon christique » ? Pour ma part, je ne le crois pas. Je rappelle qu’au sortir de la guerre, l’écrasante majorité des rescapés se refusèrent à la haine pour se consacrer pleinement à leur reconstruction, autant personnelle que collective (sionisme). Ni haine, ni pardon, fut en quelque sorte leur credo. Si l’expression « pardon christique » pourrait paraître outrée, elle ne l’est guère si l’on songe à cet opéra que le compositeur britannique, Howard Moody, a consacré au destin tragique des Gronowski. L’on se souviendra que la pièce se termine par l’accolade puis l’absolution qu’accorde notre orphelin à son présumé bourreau et ce, sous le regard bienveillant et approbateur de sa sœur qui fut gazée dès son arrivée à Auschwitz. Celle-ci, figure sur un piédestal, en posture quasi-mariale. Pas étonnant que mes amis chrétiens, de droite comme de gauche, raffolent de cette farce, de cet happy ending St Sulpicien. Evidemment, cette pièce fait davantage encore sens auprès des petits-fils et petites-filles, tout à leur culpabilité latente, de la collaboration flamande.

Que Simon pardonne à son bourreau ne me pose aucun souci. C’est son choix personnel mais qu’il implique sa sœur, et au-delà, toutes les victimes de la Shoah pose question. N’est-ce pas, en effet, aller vite en besogne ? Pour ma part, je n’imagine pas (mais je puis me tromper) ma petite cousine Rachel Tomar, gazée, elle aussi, dès son arrivée à Auschwitz, accorder l’absolution à ses bourreaux. Mais l’essentiel n’est toujours pas là : il réside dans cette attitude visant à relativiser la frontière entre victimes et bourreaux. Cette posture « Ni victimes, ni bourreaux, tous libérés » me paraît annonciatrice du… pire. Elle explique en tout cas pourquoi la VUB en est venu à honorer conjointement le fils de nazi et l’orphelin de la Shoah d’un diplôme de Docteur honoris causa, la commune de Zedelgem de construire un monument en hommage à des SS lettons antibolcheviques, le Parlement flamand à publier une brochure honorant Staf Declercq et August Borms, deux figures majeures de la collaboration flamande. C’est ça, le syndrome Gronowski.

*https://www.lalibre.be/debats/opinions/2021/10/17/jai-pardonne-a-mon-geo…

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Droit de réponse de Simon Gronowski  

Dans son article intitulé « LE SYNDROME GRONOWSKI » paru en page 5 de la revue REGARDS n° 1080 du 2 novembre 2021, M. Joël KOTEK, directeur de publication, me met nommément en cause.

Analysant notamment le reportage que me consacre La Libre des 16 et 17 octobre 2021 dans sa rubrique Débats/Etats d’âme, il commet plusieurs erreurs et tient des propos inadmissibles :

1) « Simon reprend… sa marotte du pardon », comme si je n’arrêtais pas d’accorder mon pardon à plein de gens ;

je n’ai pardonné qu’une seule fois, à savoir à mon geôlier nazi de Malines qui me l’a demandé ;

c’est  M. KOTEK qui a une marotte, reprenant constamment, année après année, la même antienne sur mon pardon ;

2) il admet pourtant : « Que Simon pardonne à son bourreau ne me cause aucun souci. C’est son choix personnel…. ».  Ouf !

3)  il dit que mon pardon serait « christique » et que l’opéra PUSH de Howard Moody présente ma sœur Ita en position « quasi mariale », approuvant mon pardon ;

Voilà pourquoi, selon lui, « les chrétiens raffolent de cette farce, de cet happy ending Saint-Sulpicien » ;

je n’ai pas à intervenir dans la dramaturgie d’une mise en scène ;

je rappelle que je n’ai pas pardonné pour des raisons religieuses mais humaines et ce, en mon nom personnel, pas au nom de ma sœur ni de quiconque ;

4) Il dit : « les fils des nazis ne sont pas coupables mais responsables devant l’histoire… »: c’est absurde car dans un cadre individuel, le coupable est responsable ; et pourquoi « devant l’histoire » ? les enfants des nazis n’ont jamais été, ne sont pas et ne seront jamais ni coupables, ni responsables des crimes de leurs pères ;

5) quant à la question : qui souffre le plus : le fils du criminel ou le fils de la victime ? (je préciserais : de sa victime), ce n’est pas une « autre marotte » de ma part, c’est la première fois que je la pose ;

– dans l’article de La Libre, je dis : «  Voici ma réponse, avec beaucoup de précautions. Je crois qu’il est plus dur d’être le fils du criminel », mais à la réflexion, je crois que  la réponse est impossible ;

– M. KOTEK compare inutilement nos deux destins qui sont évidemment différents ; j’ai toujours dit à propos de Koenraad Tinel: « Notre peine n’est pas comparable, mais je comprends la sienne » ;

– il dit « qu’il a rencontré pas mal d’Allemands qui n’étaient pas tourmentés par les crimes de leurs pères » : parmi eux, il y a des néo-nazis qui ne demanderont jamais pardon;

6) il ajoute que le drame de mon enfance explique « cette abyssale quête d’amour et de reconnaissance du petit orphelin… et ce, jusqu’auprès des méchants » : si tel est le cas, je n’aurais pas attendu 65 ans pour le chercher; tout le monde a besoin d’être aimé, moi pas plus qu’un autre ; je n’ai jamais rien demandé aux « méchants », c-à-d aux nazis et collaborateurs et c’est par hasard que j’ai rencontré Koenraad ;

7) l’essentiel pour M. KOTEK, c’est que mon attitude viserait « à relativiser la frontière entre victimes et bourreaux » ;

pour le démontrer, il tronque le titre de mon livre « Ni victime,  ni coupable, ENFIN LIBÉRÉS » en le mettant au pluriel qui devient  « Ni victimes,  ni coupables, TOUS LIBÉRÉS », alors que mon titre  ne concerne que Koenraad et moi.

8)  finalement, M. KOTEK m’accuse « de la construction à Zedelgem d’un monument  en hommage à des SS lettons antibolchéviques et de la brochure du Parlement flamand honorant Staf Declercq et August Borms, deux figures majeures de la collaboration flamande », et de conclure : « C’est ça, le syndrome Gronowski » : c’est surtout ça, le délire de M. KOTEK.

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Roland Douhard
Roland Douhard
2 années il y a

Bien audacieux celui qui juge son frère pour excès de naïveté, de fragilité ou de quête de rédemption. Bien imprudent celui qui baisse la garde au nom d’un partage de destin entre le bourreau et sa victime. Il est vrai que l’homme seul a le droit pour lui-même d’apaiser sa souffrance et sa mémoire par un cheminement qui lui appartient. Mais, tout autant, il a le devoir de s’abstenir de préjuger de l’état de celles de ses frères, surtout si les racines du mal sont encore bien vivaces.

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