Depuis sa création en 1945, l’Union des étudiants juifs de Belgique s’efforce d’apporter de l’aide aux étudiants juifs et d’organiser de nombreuses activités culturelles ou récréatives. Dans le contexte de la crise du Covid-19, il est évidemment difficile de remplir cette double mission avec le même dynamisme et le même enthousiasme. Le maintien d’une vie étudiante en commun est également sérieusement ébranlé. « Aujourd’hui, tout se fait masqué en veillant à ne pas dépasser une heure. Et au lieu d’organiser une journée porte ouverte, nous avons décidé de séquencer en plusieurs journées par petit groupe de quelques étudiants. Une bonne dynamique est malgré tout enclenchée car nous avons vu une vingtaine d’étudiants nous rejoindre », assure Joanna Peczenik, membre du comité de l’UEJB.
Reconnue par la Fédération Wallonie-Bruxelles comme organisation de jeunesse poursuivant des objectifs d’éducation permanente, l’UEJB propose également des formations et un accompagnement pour ses membres et son comité. Cette mission pourra se poursuivre sans trop de difficultés. « Comme nous ne pouvons plus organiser des activités en présence d’un public, nous allons nous concentrer sur des activités de formation et de réflexion au sein du comité », relève Joanna Peczenik. « De cette manière, nous pourrons mieux souder notre groupe et assurer une bonne intégration des nouveaux ».
Orientation plus militante
Ces activités de réflexion renforceront l’action de cette organisation juive qui souhaite la déployer en privilégiant la dimension citoyenne. Bien que l’UEJB ait toujours combattu toutes les formes d’extrémisme, de racisme ou d’antisémitisme, le comité actuel a décidé de s’engager dans une orientation plus militante en se positionnant aussi sur d’autres questions politiques. Ce qui n’est d’ailleurs pas une singularité belge dans la mesure où l’Union des étudiants juifs européens (EUJS) s’inscrit dans cette orientation. Au sein de cette fédération européenne, les membres de l’UEJB ont pu observer que la manière dont ils vivent leur judaïsme est partagée par la majorité des autres unions d’étudiants juifs en Europe. « Nous nous inscrivons dans un véritable schéma de jeunesse juive européenne partageant les mêmes valeurs progressistes en dépit de cultures nationales différentes. Cela ouvre des perspectives de collaboration intéressantes à l’échelle européenne. Nous avons déjà pu le faire à travers la campagne « Never again, right now ! », une campagne lancée par l’UEJS pour dénoncer le génocide culturel des Ouïgours en Chine », souligne Sacha Guttmann, président de l’UEJB..
Cette orientation plus politisée a évidemment exigé certaines remises en question. « J’ai longtemps cru à tort que nous étions à l’UEJB pour produire de la culture à travers des conférences ou d’autres types d’événements plus récréatifs », se souvient Sacha Guttmann. « Dans les différentes discussions que nous avions eues, nous avons vite pris conscience que la culture n’était qu’une modalité de notre action. Tout ce que nous faisons consiste en définitive à agir en faveur des libertés individuelles et collectives. En militant, certes, mais aussi en aidant les étudiants à devenir des citoyens responsables, actifs, critiques et solidaires. C’est comme cela que nous avons défini une grille de lecture idéologique en nous posant la question de savoir pourquoi nous avons choisi l’UEJB ». Cette orientation s’inscrit donc dans un processus visant à faire de l’UEJB un lieu de réflexion, de débat et d’action. « Nous avons réussi à créer un véritable espace de débat qui nous permet de forger notre propre opinion et de changer d’avis », se réjouit Sacha Guttmann. « En partant d’un système de valeurs communes privilégiant la liberté, les conditions pour débattre sereinement étaient réunies. Le débat s’engage, des divergences s’expriment mais nous arrivons toujours à adopter une position commune tout en restant ouvert à tous ». C’est ce qui les a amenés à lancer une campagne en faveur des Ouigours en Chine et à mener une réflexion sur le racisme. Pour l’alimenter, ils ont entamé un travail de fond en faisant l’état des lieux des connaissances et des recherches scientifiques sur le racisme. Dans la même perspective de réflexions et de débats, ils ont aussi abordé la question du conflit israélo-palestinien pour aboutir à un positionnement favorable à la solution des deux Etats.
Progressiste et sioniste
De manière générale, l’UEJB ne se positionne pas sur l’axe gauche/droite mais sur celui qui sépare les progressistes des conservateurs. Sans l’ombre d’un doute, l’UEJB est une organisation progressiste. Ce qui implique toute une série de partenariats avec d’autres associations et cercles sur des problématiques comme le racisme, les questions de genre, l’aide aux migrants, etc. Dans un milieu associatif où la question palestinienne fait figure d’étalon de mesure du degré de progressisme, la présence d’une organisation juive revendiquant son sionisme tout en étant favorable à la création d’un Etat palestinien peut susciter l’incompréhension et l’irritation des plus radicaux. « Nous constatons malheureusement que certaines associations nous ostracisent à cause des divergences liées au conflit israélo-palestinien », déplore Sacha Guttmann. « Bien souvent, cela résulte de problèmes d’incompréhension mais cela pose malgré tout la question fondamentale de la place d’un mouvement juif progressiste dans un monde associatif. Je pense sincèrement qu’il n’y a pas de fatalité et que la situation peut changer. Quand nous exprimons notre vision du sionisme et d’Israël, il n’est peut-être pas entendu ni compris complètement mais nous nous rendons compte que nous pouvons trouver des points de convergence avec certaines de ces associations. Bien évidemment, pour autant qu’ils acceptent la légitimité d’Israël. Parce que de notre côté, nous reconnaissons la légitimité du mouvement national palestiniens et de ses aspirations à créer un Etat ». Les étudiants de l’UEJB vont inévitablement se heurter aux militants et aux étudiants qui proclament la liberté d’expression comme principe vital de la vie académique mais qui en viennent à se retourner contre ce principe en réduisant la marge de liberté pour ceux qui ne partagent pas leurs idées radicales. « Le positionnement ambivalent et trouble de certains acteurs associatifs rend le débat compliqué. Mais cela ne doit pas empêcher les Juifs d’agir dans le monde associatif. Ils sont d’ailleurs déjà présents et le CCLJ en est la preuve », rappelle Sacha Guttmann.
L’UEJB est donc bien loin de l’image caricaturale et fausse d’une organisation juive à caractère récréatif où les jeunes juifs pratiquent l’entre soi et privilégient le repli communautaire. « L’UEJB, c’est une ouverture décomplexée sur le monde en tant que Juifs », réagit Sacha Guttmann. « Si un étudiant souhaite s’ouvrir sur le monde en tant que Juif, il a sa place à l’UEJB où tout est mis en place pour qu’il concrétise son aspiration d’ouverture. Notre vocation est aussi de montrer au monde qui nous entoure ce qu’est être juif. Cela peut prendre la forme d’une conférence avec un rescapé de la Shoah dans un auditoire de plus de mille personnes mais aussi la présence d’un petit stand sur le campus à l’occasion d’Hanoucca qui nous permettra de faire connaitre cette fête juive et les valeurs de liberté qu’elles véhiculent à une cinquantaine d’étudiants. C’est une occasion de discuter avec un étudiant qui n’a jamais vu un Juif de sa vie ».
Réflexion sur les questions de genre
Comme toute organisation progressiste qui se respecte, l’UEJB ne fait pas l’impasse sur les questions de discriminations de genre et de sexisme. « Nous avons initié la réflexion lors du confinement », précise Joanna Peczenik. « Cela a commencé par une formation qu’un détaché pédagogique nous a dispensée. Lors de la discussion, nous avons constaté qu’il n’y a pas de véritable parité homme/femme au sein de nos instances et que lors de nos réunions, les prises de parole n’étaient pas réparties équitablement. Au sein du comité, nous avons donc décidé de travailler sur la question du genre pour voir s’il est nécessaire de mettre en place des mécanismes pour que la parité et l’égalité soient garanties ».
Voilà donc une organisation juive qui prend à rebrousse poils tous ceux qui, par une ignorance crasse et un manque de sens historique, veulent ranger les Juifs dans le camp de la domination et de l’oppression en raison de leur attachement à Israël. L’UEJB a résolument fait le choix de l’engagement politique au sens le plus noble du terme en privilégiant la réflexion et le débat et s’efforçant de nouer des alliances avec ceux qui partagent leurs préoccupations progressistes. Ce n’est pas la voie de la facilité car les conditions ne sont peut-être pas toujours propices au débat sur les campus. Mais ce choix forge leur sensibilité démocratique et leur permet d’être présents dans les débats fondamentaux qui engagent la société. Une manière de poursuivre l’idéal juif de justice et de liberté.