Mafia Queens

Florence Lopes Cardozo
Forte de son succès d’audience, Mafia Queens vient enrichir la collection « Héroïnes en séries » sur arte.tv. Corrosive et décalée, la tragicomédie israélienne offre quelques beaux premiers rôles féminins.
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Une fusillade éclate sur le yacht des Malka, une des plus célèbres familles mafieuses d’Israël, un soir, à Tel-Aviv. Seuls les hommes étaient à bord et tous sont criblés de balles, excepté Ido, l’unique petit-fils. Voilà comment les mères, épouses, maîtresses, sœurs et filles du clan, qui ne bénéficiaient que des retombées du système, ont dû, sans délais, plonger les mains dans le cambouis, se relever et continuer à gérer « l’entreprise familiale » dans le monde très macho du crime organisé. Parce qu’il faut payer les factures, honorer les contrats, venger les victimes, obtenir un marché, écrabouiller les balances, protéger des vulnérables, se servir des uns et berner les autres.

Malkot/Mafia Queens,

Israël, 2018, série de 2 saisons, 21 épisodes, VOSTFR

A voir sur arte.tv jusqu’au 31 mars 2023

Si le premier épisode s’avère bordélique et décourageant, les reliefs des personnages commencent à émerger aux suivants : Il y a d’abord la sulfureuse matriarche Dori, qui, du visage contrit de colère au jeu de séduction le plus maîtrisé, semble habitée par tous les rouages de la tragédie antique. Cette calculatrice se révèle, tour à tour, mère imbue, fille indifférente, belle-mère méprisante, sœur hautaine, veuve éplorée, diva capricieuse et manipulatrice malgré quelques couleuvres dégustées à la petite cuillère. Sa fille Lizzie, jeune femme ingénieuse au célibat lourdement décrié par sa mère, s’imposera en véritable businesswoman. Humaine et courageuse, elle fait ses armes sur le terrain. Le gang comprend aussi Naama, son ex-belle-fille, mère du petit Ido, qui aurait vraiment souhaité rester réglo ; et encore Nilli, bombasse russe qui s’apprêtait à devenir la
dernière belle-fille mal-aimée, sans oublier Tzipi, sa sœur, gaffeuse comme pas deux. Les rôles et acteurs masculins, qui gravitent autour de cette ruche royale, ne manquent pas de panache non plus.

La production s’est, par ailleurs, offert un casting des plus « bankable » en embarquant Rita, la célèbre chanteuse israélienne d’origine iranienne pour jouer la pittoresque Dori, la très renommée Dana Ivgy pour interpréter Lizzie ainsi que deux figures de la série Shtisel : Orly Silbersatz Banai, enlaidie et abrutie au possible, ainsi que Mickael Aloni, à son avantage quoique ce garçon ne doive pas trop forcer. L’ingéniosité du scénario et le cynisme des dialogues pince-sans-rire servent la distribution. Inspirée de ses aînés : Kill Bill, Les Soprano, Desperate Housewives, Gomorra, Suburra ou bien sûr Le Parrain version Marraine, la série sportive collectionne les rebondissements, les scènes et situations se succèdent à un rythme effréné.

Israël hors des sentiers touristiques

Disons qu’« indoor », les personnages troquent leurs doutes en coups de poker et leurs coups de sang en ordres impérieux. Quant à ce qui reste de la famille dysfonctionnelle, elle réagit avec hypocrisie, solidarité, contre-production, espoirs, piques frontales, humiliations publiques, maladresses, actes manqués, Bref, de quoi assurer la retraite de quatre psys. Côté « outdoor », la série brosse une petite étude sociologique des populations existantes en Israël, hors des sentiers touristiques. On y découvre le sort de divers groupes ainsi que le regard qu’ils se portent mutuellement. Une scène, raciste et édifiante, ne semble hélas pas relever de la fiction. Il sera question ici d’Israéliens arabes, de Russes, d’immigrés soudanais, de SDF. Et des femmes !

Et, on pourrait aussi se demander – même si les mafias fascinent et inspirent les auteurs et scénaristes du monde entier – pourquoi, dans un pays où la tension est permanente, les séries violentes, où l’on touche à la vie des enfants ou au sort des soldats, de Hatufim, prisonniers de guerre à Hostages, en passant par Fauda, sont si bien accueillies dans les salons des spectateurs… Exutoire ? Expérience de terrain ? Soif d’adrénaline ? Recettes assurées ? Savoir-faire scénaristique ? Pita avec un peu de tout ça ? Dans Mafia Queens, si crimes et exactions il y a, l’inversion des genres donne une autre couleur au contexte comme si, d’une part, des femmes aux manettes relevait de la fiction et était destiné à faire sourire la galerie et si, d’autre part, on avait encore besoin d’une démonstration d’égalité.

Alors, si le Spritz en terrasse ne vous suffit pas, tentez ce cocktail d’actions, de coups de poings, d’hémoglobine, de traîtrises, suspens, répliques marrantes, alliances et vengeances, génériques entrecoupés de rappels et d’annonces, de trafic de coke, etc. On en reparle à la rentrée. Bel été !

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