Préférons Tchekhov à Shakespeare

Nicolas Zomersztajn
Editorial de Nicolas Zomersztajn
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Depuis le 7 octobre 2023, il n’est pas rare que des non-Juifs nous demandent ce que nous pensons de la guerre à Gaza et de son lot de bombardements commis par l’armée israélienne. Leur interpellation faisant abstraction des massacres commis par le Hamas le 7 octobre et du cas des otages israéliens retenus à Gaza, il est difficile de répondre quoi que ce soit de nuancé qui puisse les satisfaire.

Dans un entretien qu’elle a accordé dans Le Monde le 18 février dernier à l’occasion de la publication de son dernier essai, Comment ça va pas ? Conversations après le 7 octobre (Éditions Grasset), le rabbin Delphine Horvilleur décrit bien ce type de situation et le malaise qu’il suscite en nous : « À chaque fois qu’on m’interroge, je sais que, quoi que je dise, ce n’est pas suffisant pour mon interlocuteur. En tant que Juive, pour apparaître légitime, je dois commencer mes phrases en rappelant à quel point la situation à Gaza est terrible, avant d’évoquer la douleur israélienne, elle aussi insupportable. Notre langage est comme pris en otage, lui aussi parasité par les passions, et on voudrait en permanence que je somme je ne sais qui que tout s’arrête immédiatement… »

Que répondre à tous ces gens évidemment pétris de bonnes intentions ? Non, nous ne minimisons pas la souffrance palestinienne à Gaza. Nous condamnons les prises d’otages et les massacres commis par le Hamas le 7 octobre, et nous nous désolons sans aucune ambiguïté de la mort de tous ces civils palestiniens. Nous le faisons même si les massacres du 7 octobre ont réveillé la logique mortifère des persécutions dont nous avons été les victimes tout au long de notre histoire et qu’ils ébranlent terriblement l’essence même d’Israël en tant qu’État refuge pour les Juifs. Ils ont aussi entraîné une augmentation vertigineuse d’incidents antisémites en Belgique, en Europe et à travers le monde.

Notre attachement indéfectible à l’existence d’Israël ne nous aveugle pas pour autant. Au contraire, nous voyons bien que les résultats de l’offensive militaire israélienne sont équivoques et que l’issue des combats n’est pas claire. La victoire complète promise par Benjamin Netanyahou semble une illusion. Il n’est donc pas réaliste d’envisager une défaite complète du Hamas doublée d’une libération des otages. Même s’il est nécessaire d’éloigner la menace mortelle du Hamas en détruisant ses infrastructures militaires, seul un cessez-le-feu assorti d’une libération des otages semble être la seule issue raisonnable.

Il fallait évidemment punir les responsables des massacres du 7 octobre et s’assurer qu’ils n’aient plus jamais la capacité de récidiver. Pourtant, cette guerre asymétrique n’est pas gagnable sur le long terme, car la solution militaire n’en est pas une. Seule une solution politique à ce conflit peut permettre à Israël de gagner, et donc de vivre en sécurité dans des frontières reconnues. Ce n’est pas en échafaudant un plan de réoccupation de Gaza pour l’après-guerre que Benjamin Netanyahou offrira la paix et la tranquillité à ses concitoyens. L’aspiration palestinienne à l’indépendance et à la souveraineté est intacte et non-négociable, ce n’est donc pas en dominant les Palestiniens par la force qu’Israël se débarrassera de cette question.

Bien avant sa mort en 2018, l’écrivain israélien Amos Oz avait écrit que le conflit israélo-palestinien ne peut se terminer que deux manières : soit comme une tragédie shakespearienne avec une scène jonchée de cadavres où justice sera peut-être faite, soit comme une tragédie tchékhovienne où la scène est remplie de gens déçus, amers mais vivants. Tout le monde aura compris que pour mettre fin à ce trop long conflit, il faudra tirer un trait sur le panache et l’éclat de Shakespeare et plutôt suivre Tchekhov en privilégiant un compromis insatisfaisant et imparfait. Mais au moins, il permettra aux Israéliens et aux Palestiniens de s’engager dans une nouvelle phase caractérisée par la prise de conscience que l’Autre est là pour durer.

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