’emblée, je me dois de préciser que cette étude aura l’effet, pour la Belgique à tout le moins, d’un pétard… mouillé et ce, tant elle va à contre-courant d’une certaine doxa qui se refuse de sortir l’antisémitisme de son périmètre bien compris : celui de l’extrême-droite. Or, notre étude démontre que l’antisémitisme contemporain a bien dépassé ce cadre paradoxalement rassurant car cognitivement confortable. Nos statistiques démontrent, en effet, à la suite de l’enquête menée, voilà dix ans en Flandre par le professeur Mark Elchardus (VUB), que l’extrême droite n’est plus isolée dans le processus de fabrication antisémite.
A lire nos données, ce sont aujourd’hui les premières victimes du racisme ordinaire, entendez les auto-proclamés « racisés », qui sont les principaux porteurs de préjugés tout à la fois antisémites, sexistes et homophobes : 25% de nos sondés musulmans se refusent d’avoir un professeur homosexuel et ce, contre… 6% des personnes non-croyantes. Notre étude valide ainsi la grille d’analyse ethno-religieuse et culturaliste de différentes enquêtes européennes menées ces dernières années qui soulignent toutes un « effet religion » dans la représentation péjorative et rétrograde de l’Autre.
Il est, en effet, frappant de constater que les élèves qui se déclarent catholiques pratiquants et ceux qui se réclament de l’islam partagent significativement une même vision du monde s’agissant du statut des femmes comme de la religion : 38% des pratiquants musulmans et 29% des catholiques pratiquants soutiennent que les principes qui émanent de la religion devraient prévaloir sur la loi civile ; 29% des premiers et 20% des seconds déclarent douter de la véracité du darwinisme ; 36% de ceux-ci et 38% de ceux-là qu’il faudrait abolir la loi sur le mariage homosexuel. Soulignons que les catholiques « culturels », c’est-à-dire non pratiquants, affichent des opinions plus proches des non-croyants, ce qui ne se vérifie pas dans le cas des musulmans non pratiquants, par ailleurs très minoritaires (17% vs 83%).
Si 21% des sondés musulmans et 17% des catholiques pratiquants estiment que le nombre de victimes de la Shoah est gonflé, ils ne sont que 10% des catholiques non pratiquants et 6% des non-croyants à le penser. S’agissant précisément du rapport aux Juifs, question qui nous intéresse au premier chef, nos données confirment les résultats de l’enquête de la VUB. Les jeunes catholiques radicaux apparaissent avoir deux fois plus de préjugés antisémites que les non-croyants et les musulmans, trois fois plus et ce, quels que soient leur genre, leur parcours scolaire, leur filière et niveau d’étude et/ou socio-économique de leurs parents.
Dans certains cas, les élèves musulmanes révèlent des attitudes plus conservatrices que leurs coreligionnaires masculins. Ainsi 40% des musulmanes pratiquantes refusent d’envisager un mariage avec un conjoint juif contre 29% des hommes musulmans. S’il y a un constat qui réunit tous nos sondés, c’est leur égale ignorance abyssale de l’histoire. Toutes les questions qui touchent aux connaissances, et non aux valeurs, ont des taux de non-réponse effarants. Ainsi s’agissant de la réalité du génocide des Arméniens (63%), des Tutsi (73%) et de la malignité d’Hitler (43%) et ce, même s’agissant des non-croyants. Comment comprendre et/ou accepter qu’une majorité de sondés, toutes croyances confondues, se refuse à reconnaître qu’ « Auschwitz est pire que Gaza » ; 1,3 million de victimes contre 2.310 victimes (2014), combattants et civils confondus, si l’on s’en tient aux chiffres officiels du Ministère de la Santé de Gaza contrôlé par le Hamas ? La désinformation est telle que près de 40% des sondés musulmans en sont convaincus ; seuls 8% d’entre eux étant d’un avis contraire.
Notre enquête démontre surtout que la détestation paranoïaque des Juifs, qui surgit dans l’Occident chrétien au 12e siècle, est le symptôme d’un dérèglement individuel ou collectif largement indépendant des aléas du réel. Quel rapport, en effet, entre la guerre à Gaza et la péjoration des Juifs mais aussi des femmes et des homosexuels ? Le conflit israélo-palestinien amplifie, voire justifie manifestement une vision du monde d’origine culturelle et familiale. Les jeunes radicalisés s’attaquent certes aux « sionistes » mais aussi à tous les symboles de la modernité -homosexuels, caricaturistes, enseignants, etc.- et de la chrétienté. Les assassinats de Samuel Paty et de croyants catholiques le confirment à souhait. Hélas, le racisme et l’antisémitisme ne sont pas l’apanage des seuls « Blancs ». Il serait temps que nos médias, instituts de recherches et pouvoirs publics intègrent cette donnée. Il paraît urgent d’en finir avec « les ravages du déni » pour reprendre l’expression d’Elisabeth Badinter.
P.S. N’hésitez pas à diffuser notre enquête à tous ceux qu’elle pourrait intéresser. Nous devons lutter tous ensemble –Juifs, chrétiens, musulmans, laïques, athées- pour une société ouverte, fraternelle et sans racisme.