Une expérience sensorielle de Jérusalem

Frédérique Schillo
Après trois ans de travaux et des investissements dans les technologies interactives qui ont coûté 46 millions d’euros, la citadelle de la Tour de David rouverte au public en juin devient le musée officiel de la Ville sainte.
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La visite s’ouvre sur un film d’animation d’Ari Folman, le réalisateur multirécompensé de Valse avec Bachir. 3.000 ans d’histoire défilent devant nos yeux, croqués en une série de tableaux tantôt poétiques pour évoquer la cité de David, tantôt dramatiques au moment des Croisades ou tragi-comiques quand il s’agit de représenter la bureaucratie du Mandat britannique de façon kafkaïenne. L’hologramme projeté directement sur la roche joue subtilement des aspérités des pierres, se transformant un moment en Mur occidental, puis en miniature de cette « ville-monde » où se croisent tant de peuples. C’était bien l’enjeu de cette rénovation : faire d’une austère forteresse médiévale un musée accueillant pour tous les publics, quelle que soit leur confession, et notamment les plus jeunes.

Le musée de la Tour de David rouvre ses portes après une décennie à planifier des travaux de rénovation et de conservation et seulement trois ans à les réaliser, en profitant du confinement imposé. Le projet d’un coût de 46 millions d’euros a permis de doubler le musée pour offrir 20.000 m2 de surface d’exposition le long des salles de garde de la citadelle, aux plafonds magnifiquement voûtés, avec des galeries thématiques qui disent la centralité de la Ville sainte pour les trois religions du Livre.

La part belle est faite aux nouvelles technologies. Dès la galerie introductive, le visiteur en prend plein les yeux avec un mur multimédia interactif de 12 mètres, qui permet d’entrer dans l’histoire de Jérusalem d’un simple toucher. Une expérience immersive développée par la société Local Project, qui a notamment conçu le musée du 11 septembre à New-York.

Plus loin, c’est l’animation d’une carte de 1584 représentant la cité à l’époque du Second Temple, puis la projection interactive sur une copie de la mosaïque de Madaba, la plus ancienne représentation cartographique de Jérusalem, datant du VIe siècle. Le relief de Stefan Illés, une maquette de la Ville sainte faite de zinc fondu et modelé créée pour l’Exposition universelle de Vienne en 1873, prend vie grâce à la video mapping 3D, qui consiste à y projeter un son et lumière. Au bout de la galerie des « Sables du Temps », un globe interactif offre au visiteur de mesurer la distance avec Jérusalem, plus que jamais nombril du monde.

Equilibre confessionnel

Le plus grand défi technologique selon Yoav Cohen, responsable de la direction artistique et des médias numériques, est le film immersif sur le cycle annuel des fêtes de la Ville. Réalisé par le célèbre illustrateur David Polonsky, il offre une expérience unique des coutumes et fêtes juives, chrétiennes et musulmanes. « Notre mission était de représenter les trois religions d’une façon qui leur permette de cohabiter harmonieusement au sein de sensibilités politiques et religieuses complexes », explique Cohen en précisant que le projet a été supervisé par un comité religieux égalitaire.

C’est là l’esprit du musée : célébrer la Ville trois fois sainte dans toutes ses dimensions. Le visiteur peut à la fois visualiser le Temple de Salomon, découvrir l’intérieur du Saint Sépulcre mais aussi du dôme du Rocher grâce à un film à 360° qui lui ouvre les portes du Haram al-Sharif. « Jérusalem appartient à tout le monde », déclare Eilat Liber, la directrice du musée, « nous essayons de trouver pour chacune des communautés une manière de s’inscrire dans son histoire. »

Sous son appellation trompeuse de « Tour de David » (attribuée par les Byzantins), l’endroit lui-même est un bouillon de cultures. Bâtie sous les Hasmonéens (IIe siècle av. J.-C.), fortifiée par Hérode le Grand, détruite et reconstruite par chaque conquérant des Croisés jusqu’aux Ottomans (un tunnel croisé a été découvert lors des fouilles), la citadelle avec son minaret ottoman datant de 1635 est devenue un symbole chéri du mouvement sioniste.

Au final, le magnifique spectacle nocturne son et lumière projeté dans le jardin archéologique a quand même pour thème « la vie tumultueuse de David, le jeune homme qui s’avéra être un courageux guerrier, mais aussi un poète et un musicien talentueux qui devint roi d’Israël ».

Trait-union entre les deux Jérusalem

Malgré cette belle ouverture d’esprit, le musée reste forcément fidèle au narratif israélien. Il n’est pas non plus prêt de parler des sujets qui fâchent, même s’il y est bien disposé. Une conférence intitulée « Pourquoi (certains) Juifs crachent sur des Gentils ? », organisée par le Centre d’études des relations entre juifs, chrétiens et musulmans de l’université ouverte d’Israël, devait débattre le 16 juin de la recrudescence des violences contre des chrétiens à Jérusalem. La directrice a dû l’annuler in extremis sous la pression de la municipalité. La conférence jugée « antisémite » par le maire Moshe Leon était indigne du lieu, désormais musée officiel de Jérusalem. Autant dire qu’il y a peu de chances d’y voir parmi les reconstitutions 3D celle du quartier des Maghrébins [voir encadré].

L’endroit n’en demeure pas moins une formidable ouverture sur la Vieille Ville et ses méandres, au sens propre comme figuré. C’est d’ailleurs l’une des innovations majeures du nouveau musée : l’entrée se fait désormais côté Ouest, à l’extérieur des remparts près de la porte de Jaffa, si bien que les visiteurs débarquant du quartier commerçant de Mamilla peuvent s’y engouffrer et ressortir directement dans le quartier arménien de la Vieille Ville, passage traditionnel vers le mur Occidental. D’aucuns y voient un moyen habile de faire oublier la position du musée à Jérusalem-Est, dont l’annexion par Israël n’est pas reconnue par le Droit international. C’est surtout une belle manière de créer un pont entre la Ville neuve et la Vieille Ville, la modernité et l’Histoire.

Une application pour visiter en 3D le quartier des Maghrébins rasé en 1967

Dans la nuit du 10 au 11 juin 1967, à la fin de la guerre des Six jours, Israël s’est empressé de raser tout un quartier au pied du Mur occidental. Le but : faire place nette à une immense esplanade qui accueille aujourd’hui les fidèles et les cérémonies militaires. Ainsi le quartier fondé en 1187 par Saladin pour des pèlerins d’Afrique du Nord a-t-il été complètement détruit. Et complètement oublié.

Personne n’avait vraiment intérêt à s’en souvenir. Ni les Israéliens dont il entache l’image d’une conquête glorieuse de la Vieille Ville ; la destruction du quartier avait d’ailleurs été confiée à des entreprises privées pour ne pas y impliquer Tsahal ou la municipalité. Ni non plus les Palestiniens, qui préfèrent taire le fait que les 700 habitants du quartier maghrébin évacués manu militari ont tous été indemnisés et relogés par Israël.

Il revient à l’historien français Vincent Lemire associé à une agence italienne de modélisation et à l’université italienne de Modène et de Reggio Emilia de faire revivre le quartier grâce à une application mobile 3D. Elle « permet aux utilisateurs de vivre une expérience immersive à travers les rues, les mosquées, les écoles et les cours du quartier maghrébin », résument ses concepteurs, qui ont mobilisé des sources inédites et des témoignages d’anciens résidents.

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Frédérique Schillo
Frédérique Schillo
Historienne, spécialiste d’Israël et des relations internationales. Docteur en histoire contemporaine de Sciences Po Paris